En cas de séparatisme, d’aucuns rêvent du rattachement du sud du pays à l’Hexagone. Mais plus qu’un rêve, il pourrait surtout s’agir d’une condition sine qua non de sa survie.
« Le Soir » le 16/09/2019
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que le démantèlement du Royaume de Belgique est un processus inéluctable.
Au fil des décennies, le Mouvement flamand est parvenu à faire de la Flandre une véritable nation. Le terme figure expressément dans le préambule de la « Handvest voor Vlaanderen », la Charte pour la Flandre, adoptée en 2012. Et il est plusieurs fois cité dans le projet de gouvernement flamand, actuellement négocié par la N-VA, le CD&V et l’Open VLD.
Si d’aucuns, en Flandre, persistent à affirmer que la mouvance séparatiste ne dépasse pas les 5 à 10 %, force est toutefois de constater qu’il ne manque que 5 sièges à la N-VA et au Vlaams Belang, formations ouvertement indépendantistes, pour détenir ensemble la majorité absolue au Parlement flamand.
Autre fait majeur : en 1999, le Parlement flamand s’est prononcé, à une forte majorité, en faveur d’un système confédéral, basé sur deux Etats, la Flandre et la Wallonie, ceux-ci étant amenés à cogérer Bruxelles.
La faiblesse francophone
En d’autres termes, il s’agit de dépiauter au maximum l’Etat belge, avant de le considérer comme totalement superflu. Les responsables francophones s’opposent à ce projet, qu’ils qualifient, à juste titre, d’« antichambre du séparatisme ».
Mais l’on sait aussi que ces responsables francophones, éternels « demandeurs de rien », ont toujours fini par céder. Dernier épisode en date, la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, assurant l’homogénéité linguistique de la Flandre, et la scission des allocations familiales.
L’argument utilisé par la Flandre (pas seulement par la seule N-VA !) est bien connu : la Flandre et la Wallonie ont des visions socio-économiques diamétralement opposées. La première doit sa prospérité économique à une gestion basée sur l’esprit d’entreprise. Elle représente, à elle seule, 80 % des exportations belges. La seconde peine à se redresser car, depuis la mise en place de la régionalisation en 1980, elle a subi, de façon quasi-ininterrompue, l’influence néfaste du Parti Socialiste. Libre à la Wallonie de faire les choix politiques qu’elle souhaite, à condition d’en assumer pleinement la responsabilité financière. D’où la décision de supprimer progressivement les transferts financiers en provenance de Flandre, qui constituent quelque 7 milliards d’euros par an.
Bart incontournable
Le nouveau gouvernement wallon (PS-MR-Ecolo) s’engage à ne pas lever de nouveaux impôts, mais son programme ne prévoit le retour à l’équilibre budgétaire qu’en 2024. On va donc laisse filer la dette, dont certains annoncent déjà qu’elle explosera à 20 milliards d’euros.
Le président du PS et nouveau ministre-président wallon, Elio Di Rupo, est bien conscient de cette situation, puisqu’il a d’ores et déjà annoncé qu’il faudrait revoir la loi de financement.
Bien qu’il se soit engagé à ne jamais gouverner avec la N-VA, il semble cependant qu’il ne pourra éviter de négocier avec Bart De Wever. Davantage de moyens financiers pour la Wallonie et la Communauté française contre un énième dépeçage de l’Etat, comme ce fut le cas en 2001 pour refinancer la Communauté française, laquelle, aujourd’hui est à nouveau exsangue.
Une étude de l’Institut wallon pour l’évaluation, la prospective et la statistique (Iweps) révèle que les Wallons, à 92 %, sont contre la dislocation de la Belgique. Il n’empêche que la question de l’avenir post-belge de la Wallonie n’a rien de fantaisiste. Feu Xavier Mabille, l’ancien directeur du Crisp dont la sagesse était unanimement reconnue, disait d’ailleurs à propos de l’hypothèse de la disparition du Royaume : « hypothèse dont je dis depuis longtemps qu’il ne faut en aucun cas l’exclure ».
Une échéance inéluctable
C’est pour préparer les esprits wallons à cette échéance qui nous paraît incontournable, que nous avons tenu, en mars 2009, les Etats généraux de Wallonie à l’Université de Liège.
Il est apparu, à l’analyse, qu’une Wallonie indépendante et un WalloBrux représentaient des options irréalistes et non viables, et que seul le scénario de la réunion à la France était de nature à offrir un avenir pérenne et crédible.
Présent lors de ces États généraux, Jacques Lenain, haut fonctionnaire français aujourd’hui retraité, commenta l’étude qu’il avait faite à ce sujet et dans laquelle il proposait d’accorder à la Wallonie un statut particulier, qualifié d’« intégration-autonomie ». « Les Wallons ne doivent pas bazarder tout ce qui fait leur spécificité et se présenter nus devant Marianne pour revêtir l’uniforme français », déclara-t-il. Et de rappeler que la Constitution française est suffisamment souple pour reconnaître à certaines collectivités des statuts sur mesure. L’article 1er de la Constitution française précise d’ailleurs que l’organisation de la République française « est décentralisée ».
Tout à y gagner
Pour Jacques Lenain, il s’agit donc de concilier une intégration étatique à la France avec une forte autonomie au sein de celle-ci, tout en garantissant, par l’exercice de la solidarité financière nationale, l’équivalence des services publics et des systèmes sociaux. Entité régionale maintenue, la Wallonie conserverait ainsi ses organes d’auto-administration actuels. Ses compétences seraient maintenues et même élargies à celles exercées actuellement par la Communauté française, qui aurait de facto cessé d’exister. Quant au droit ex-fédéral belge, conservé, sauf exceptions, il se trouverait placé sous la responsabilité du législateur français.
Des acquis garantis
Certes, il faudrait bien rendre des comptes à l’État central français, qui s’arroge en particulier le pilotage et le contrôle des dépenses sociales et qui veille à un traitement équitable des populations tant en matière de prestations reçues que d’impôts et cotisations prélevés. On peut donc présager que l’État français poserait comme préalable à l’effort pérenne de solidarité nationale l’engagement des responsables wallons sur des réformes susceptibles d’aboutir à une diminution progressive ou, à tout le moins, à une stabilisation des concours financiers en cause. Pour autant, cette exigence légitime de rigueur, qui devrait satisfaire les Wallons qui attendent plus d’efficacité de la part de leurs institutions, ne remettrait jamais en cause l’existence même des services publics et des prises en charge sociales en Wallonie, ainsi que leur équivalence avec les services et prestations assurés sur le reste du territoire français. Loin de perdre leurs acquis, représentatifs de ce qu’ils sont et résultat de leur histoire et de leurs luttes, les Wallons pourraient donc les conserver et mieux les faire fructifier au sein de l’État français.
Aucun parallèle avec le Brexit
Comment, pratiquement, les choses pourraient-elles se concrétiser ?
Lorsqu’il sera devenu pour tout le monde évident que les carottes belges sont cuites, les autorités wallonnes – après avoir écarté les options jugées irréalistes et financièrement non viables – négocieront avec Paris un cadre d’intégration, basé sur une grande autonomie. Une fois que les parties concernées se seront mises d’accord sur un projet, celui-ci sera soumis à un référendum, tant en France qu’en Wallonie. Rien ne sera donc imposé.
Une fois que les populations auront accepté cette « intégration-autonomie », c’est à la France qu’il reviendra de négocier avec la Flandre les modalités de la partition (partage de la dette belge, désenclavement de Bruxelles, etc.). « Une France souveraine depuis mille ans face à un État flamand naissant, dix fois plus petit qu’elle : on est loin ici, en termes de rapports de force, d’un Brexit », explique Jacques Lenain.
Peu d’impact financier
Qu’en serait-il du volet financier ?
Aujourd’hui, nous l’avons dit, la Wallonie coûte chaque année quelque 7 milliards d’euros à la Flandre. Mais le maintien du cadre belge est aussi fondé sur l’extinction progressive de ces transferts, alors que le cadre français garantira toujours aux Wallons le maintien, à parité égale, des services publics et des prestations sociales avec ceux de la République.
« Certes, poursuit Jacques Lenain, il y aura un impact financier, mais pas de quoi inquiéter Bercy : cela coûtera moins cher que la suppression de la taxe d’habitation. Et, en termes de puissance économique, la France vaut neuf fois la Flandre ».
Jacques Lenain a soumis son projet (1) au constitutionnaliste français Didier Maus, qui en a confirmé la faisabilité : « Il serait parfaitement possible de créer un titre spécial “De la Wallonie” qui contiendrait une mini-Constitution sur mesure pour cette région. Il en découle que, sur le fondement de cette mini-Constitution, il serait parfaitement réalisable de conserver en l’état, au moins pour l’essentiel, et pour une durée à déterminer le droit belge du travail, celui de la sécurité sociale, et certains droits « connexes », des pans du droit fiscal, le droit des affaires, du commerce, etc. La région wallonne, et aussi la région bruxelloise si la question était posée, conserveraient les compétences qui sont aujourd’hui les leurs, y compris le système éducatif, avec l’enseignement supérieur. Ce ne serait pas une difficulté de faire de la sorte puisqu’il en est déjà ainsi, même si c’est avec moins d’ampleur, dans certains territoires français, qui, selon les cas, disposent d’une sécurité sociale propre (Polynésie, Calédonie…), d’un droit du travail propre (même s’il est largement copié sur celui de la métropole), de nombre de dispositifs fiscaux particuliers, et d’autres régimes spéciaux dans divers domaines (en Corse comme en Outre- mer).
Les élites wallonnes seraient bien inspirées en approfondissant dès à présent cette option d’« intégration-autonomie ». Comme l’avait déclaré le général de Gaulle au professeur Robert Liénard de l’Université de Louvain : « Si, un jour, une autorité politique représentative de la Wallonie s’adressait officiellement à la France, ce jour-là, de grand cœur, nous répondrions favorablement à une demande qui aurait toutes les apparences de la légitimité. (…) J’ai pourtant la conviction que seule leur prise en charge par un pays comme la France peut assurer l’avenir à vos trois à quatre millions de Wallons. » (3)
* Dernier livre paru : La Wallonie, demain, préface de Pierre Verjans, Éditions Mols, 2019.
(1) Cité par Claude de Groulart dans son livre De Gaulle : Vous avez dit Belgique ?, Éditions Pierre-Marcel Favre, 1984.