Jules Gheude, essayiste politique (1)
Pour Georges-Louis Bouchez, ce n’est pas le fait de regretter une Belgique unitaire qui est ringard, c’est le séparatisme lui-même.
Le nouveau président du MR semble ignorer certaines choses.
Que ce soit sous la forme unitaire ou fédérale, la Belgique n’a jamais connu l’équilibre et l’harmonie.
Le mariage forcé de 1830, voulu par les grandes puissances européennes – au premier rang desquelles l’Angleterre pour se prémunir contre la France -, amena la haute bourgeoisie à prendre les rênes de l’Etat. Et cette haute bourgeoisie ne s’exprimait qu’en français.
Le texte suivant, publié par le « Nederlands Kunstverbond » d’Anvers à l’occasion du 25ème anniversaire du Royaume, illustre fort bien la situation que vivait la masse populaire flamande :
Flamands,
Depuis vingt-cinq ans, vous êtes méconnus, opprimés et humiliés.
Depuis vingt-cinq ans, on vous assigne, on vous entend, on vous juge dans une langue étrangère.
Depuis vingt-cinq ans, vous avez de l’argent français, une cour française, une législation française, une administration française, une armée française, une justice française, tout ce qui peut contribuer à l’extermination de votre race.
Depuis vingt-cinq ans, sous l’influence française toujours grandissante, le gouvernement a tout mis en œuvre pour étouffer la seule chose qui vous restait en tant que Néerlandais : votre langue, la patrie de l’âme.
Depuis vingt-cinq ans, vous êtes des étrangers sur votre propre sol. (…)
Depuis vingt-cinq ans, le Wallon est l’enfant privilégié et gâté du gouvernement ; le Flamand, lui, est rejeté et méconnu.
L’un peut tout obtenir parce qu’il ne connaît, par sa naissance, que le français ; pour l’autre, rien, parce que le sort lui a donné une mère flamande.
Il fallut la longue lutte du Mouvement Populaire flamand – de nature romantico-littéraire au départ, politique ensuite – pour rectifier les choses et faire en sorte que la Flandre occupât enfin la juste place qui lui revenait.
Ces décennies de frustration ont laissé des traces durables, comme on a pu le constater lors des deux conflits mondiaux. Elles ont, en tout cas, permis de forger progressivement en Flandre un sentiment profond d’appartenance collective.
Les années 50 virent le Nord et le Sud se déchirer sur l’affaire royale et la question scolaire, tandis que le balancier de la prospérité économique se mettait à basculer de la Wallonie vers la Flandre.
La démocratie-chrétienne flamande – « l’Etat CVP » pour reprendre l’expression utilisée à l’époque – mit alors tout en œuvre pour faire de la Flandre une véritable nation : un peuple, un territoire, une langue.
La fixation définitive de la frontière linguistique en 1962 marquait clairement la dualité du pays. Restait à en assurer l’homogénéité linguistique.
L’expulsion des Wallons de l’Université de Louvain fut ressentie comme une gifle au Sud du pays et amena le parti social-chrétien à se scinder en deux ailes linguistiques.
On réalisa alors que l’Etat unitaire était dépassé par les faits et qu’il convenait de le réformer sur base des régions et communautés.
L’autonomie culturelle, revendiquée par la Flandre, fut réalisée dès 1972, tandis que l’exécution de la régionalisation se fit attendre en raison de la réticence flamande à la mise sur pied d’une Région bruxelloise à part entière. Celle-ci ne vit le jour qu’en 1989.
A ce propos, il convient de rappeler la perfidie du Premier ministre CVP Léo Tindemans, lequel n’hésita pas à torpiller en 1978 le pacte d’Egmont, qui avait le mérite de concilier l’eau et le feu, à savoir le FDF et la Volksunie. Et Eric Van Rompuy a beau se qualifier aujourd’hui de « modéré », il fut à l’époque, en tant que président des CVP-Jongeren, celui qui contribua à expulser les ministres FDF du gouvernement :
Au CVP, (…) il y a une énorme aversion contre le FDF, que l’on veut absolument voir en dehors du gouvernement. A l’automne, nous devrons donc adopter une tactique pour congédier ce parti.
Force est de constater que les six réformes de l’Etat opérées depuis 1970 n’ont pas apporté la sérénité au sein du couple belge. Qu’on se souvienne des années 80, troublées par le refus flamand de reconnaître José Happart comme bourgmestre des Fourons.
Ce n’est qu’en 1993 que la Constitution reconnut officiellement la Belgique comme « Etat fédéral ». Mais déjà, le ministre-président flamand CVL Luc Van den Brande avait proposé de passer à la vitesse supérieure en lançant l’idée confédérale : une Belgique réduite à sa plus simple expression, avec deux Etats – Flandre et Wallonie – assurant la cogestion de Bruxelles. En 1999, le Parlement flamand se prononça clairement dans ce sens.
Avec les années 2000, le radicalisme flamand allait se manifester par le biais de la N-VA, formation nationaliste dont l’article 1er des statuts prône l’émergence d’une République flamande. De 2004 à 2008, on la vit en cartel avec le CD&V, nouvelle appellation du parti démocrate- chrétien.
En 2006, par le biais d’une interview au journal français « Libération », le ministre-président flamand CD&V Yves Leterme tint un discours musclé à l’intention des responsables francophones qui n’entendaient plus accepter de nouvelles avancées en matière institutionnelle :
Oui, les difficultés s’amoncellent, le fossé se creuse. Que reste-t-il en commun ? Le Roi, l’équipe de foot, certaines bières… (…) La Belgique n’est pas une valeur en soi (…). Si les institutions n’évoluent pas (…), ce pays n’a pas d’avenir. Je veux être clair : mon parti ne participera pas à un gouvernement, après les élections de 2007, s’il n’y a pas de nouveaux transferts de compétences vers les régions. La nécessité d’avoir un gouvernement fédéral passe au second plan par rapport aux intérêts de la Flandre.
Et le futur Premier ministre de qualifier la Belgique d’accident de l’histoire…
Une fois encore, la barricade francophone céda. Avec la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde (sans extension de Bruxelles !), l’homogénéité linguistique de la Flandre était bétonnée. Et les Régions devenaient compétentes pour les allocations familiales, premier pas vers la scission de la Sécurité sociale…
La crise de 2010-2011 dura 545 jours. Celle que nous connaissons depuis les élections du 26 mai 2019 est différente en ce sens qu’elle est existentielle. C’est la survie même du pays qui est en jeu.
Il faut se rendre à l’évidence : le fait que la Flandre soit devenue une nation est incompatible avec le maintien du Royaume de Belgique.
Le confédéralisme voulu par la N-VA ne fait que s’inscrire dans la logique du Mouvement flamand : dépiauter la Belgique, afin de la rendre à terme superflue.
C’est le séparatisme qui est ringard !déclare Georges-Louis Bouchez, qui se refuse à voir que les deux conjoints ne se comprennent plus et vivent sur des planètes distinctes. Heureusement que le divorce a été légalisé pour résoudre ce type de situation !
Dernier ouvrage paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge« , préface de Pierre Verjans, Editions Mols, 2019.