Dans « Knack, Herman Matthijs, professeur de Finances publiques à l’UGent et à la VUB, membre du Conseil supérieur des Finances, analyse les dix points sensibles pour la formation d’un gouvernement

1. Si le PS et la N-VA devaient parvenir à un accord, il faut que celui-ci contienne quelque chose de substantiel tant pour une réforme de l’Etat que pour une politique socio-économique et budgétaire. Car la base électorale n’avalera pas un compromis compliqué à la belge. Pour ce qui est des partis plus petits mais nécessaires, ils devront eux aussi être d’accord. Le Cdh est-il prêt, par exemple, à s’embarquer dans une nouvelle réforme de l’Etat ?
2. La Constitution n’est pas nécessaire pour une réforme de l’Etat, mais l’exécution de l’article 35 avec une loi spéciale rendrait les choses beaucoup plus faciles. Que transfère-t-on aux Communautés ou aux Régions : hôpitaux, justice, police, marché du travail ? Et comment cela va-t-il être financé ? Le PS est traditionnellement prêt à transférer, car il est lui-même beaucoup plus assuré d’une participation gouvernementale wallo-française. Mais jusqu’ici, cela a toujours été de pair avec les dotations, ce qui donne naturellement l’assurance budgétaire pour les entités les plus pauvres. Mais il y a une différence essentielle entre un financement par dotation et une responsabilité fiscale propre. La question est de savoir si la N-VA et le PS peuvent trouver à ce sujet un compromis honorable.
3. Pour une nouvelle réforme de l’Etat, la N-VA a aussi un problème interne avec le fonctionnement mou du gouvernement flamand. Une participation au gouvernement fédéral ouvre naturellement la possibilité de modifier la composition de ce gouvernement flamand, car il n’est jamais parvenu, en cette période corona, à sauter dans les trous laissés par le gouvernement fédéral.
4. Le paiement de la facture corona nous amène aussi au budget et aux moyens y afférents : plus de taxes et/ou des économies. Ces dernières passent très difficilement au PS et le fait d’accepter une taxe sur la fortune placerait la N-VA dans un scénario électoral Volksunie.
5. Si les deux partis libéraux, Open VLD et MR, restent scotchés l’un à l’autre, le bourgmestre d’Anvers et son collègue de Charleroi ne disposent que de 69 sièges (71 si les bourgmestres de Middelkerke et Saint Josse-ten-Noode soutiennent la coalition). La seule façon d’atteindre une majorité passe par les communistes, les écologistes ou le Vlaams Belang. En d’autres termes, la clé, depuis mai 2019, se trouve chez les libéraux. Un fait que beaucoup n’ont pas perçu. En fait, le MR et l’Open VLD n’ont aucun intérêt à se séparer. Ensemble, ils sont nécessaires. Séparés, non.
6. Mais le MR a encore un point fort. Pour l’instant, Ecolo n’est mathématiquement pas nécessaire dans les gouvernements wallon et de la Communauté française. Si on devait éjecter le MR pour le remplacer par le Cdh, alors Ecolo devient mathématiquement nécessaire. Et ce serait un vrai problème pour le PS.
7. Le problème interne du MR est la popularité de Wilmès. Elle obtient dans les sondages de meilleurs résultats que le président du FC Borains. On notera aussi que le PS attaque le président du MR, pas Wilmès ou le gouvernement.
Si le MR devait se retrouver dans l’opposition, le ravage serait immense pour ce parti. Il perdrait en effet sept ministres fédéraux, plus la présidence du Sénat. Et la chance serait plus que réelle qu’il soit éjecté du gouvernement wallon. En outre, la fonction de Charles Michel doit être prolongée après deux ans et demi. Aura-t-il encore l’appui d’un gouvernement fédéral sans le MR ? Ce parti est aussi le pilier belge de la REM du président français Macron. Le seul gouvernement où le MR survivrait est celui de l’Ost-Belgien.
8. Une tripartite avec la N-VA donnerait un gouvernement de 95-97 sièges et offrirait la possibilité de modifier les lois spéciales, du moins si l’opposition vient quelque peu en aide. Sans le MR, un tel gouvernement retombe à 81-83 sièges, et on est ici très loin d’une réforme de l’Etat. La pandémie nous a aussi appris que la sixième réforme de l’Etat ne fonctionne pas. La loi de financement des nombreuses compétences hétérogènes est impraticable. Mais il faut une majorité spéciale pour pouvoir la modifier.
9. Si un gouvernement devait voir le jour autour de l’axe N-VA/PS, il ne pourrait diriger que trois ans maximum. Car après la Noël 2023, la campagne commencera déjà pour les élections « super Sunday » de mai 2024. Avec un déficit budgétaire de plus de 70 milliards d’euros, une zone euro à la dérive et d’énormes défis socio-économiques, ce ne sera pas un long fleuve tranquille pour ce nouveau gouvernement. En d’autres termes : il faudra offrir aux gens une meilleure perspective sur une période de trois ans.
10. Quid, si l’essai de De Wever/ Magnette échoue ? Si l’on regarde les choses de façon réaliste, il ne reste que deux possibilités. Ou bien les trois partis de la Suédoise poursuivent avec leurs 38 sièges, mais alors en affaires courantes, avec des crédits provisoires. Ou bien on organise de nouvelles élections à l’automne. Dans ce dernier cas, les trois partis actuels de gouvernement restent aussi en place.
En fait, de nouvelles élections devraient être le choix logique. Mais de nombreux partis politiques les craignent. En effet, le mécontentement est très grand dans la population en ce qui concerne la manière dont a été abordée la crise du corona et les suites socio-économiques de cette pandémie ne se feront vraiment sentir qu’après l’été. Le Vlaams Belang et le PAB/PTB voient les choses de manière positive. Le MR aussi. Il a perdu peu de sièges en mai 2019. Vu que le MR n’a plus aucune concurrence à droite après la chute de Destexhe et du PP, il peut rapidement récupérer des sièges. Pour le PS, c’est le constat inverse. En outre, les partis actuels de la Suédoise ont beaucoup à perdre en ce qui concerne les mandats : avec 14 sièges, le MR a le poste de Premier ministre, six ministres, la présidence du Sénat, un commissaire européen et la présidence du Conseil européen. Avec 12 sièges, l’Open VLD a trois ministres et la présidence de la Chambre. Et avec le même nombre de sièges, le CD&V a également trois ministres fédéraux. Reste à savoir aussi s’il y a à la Chambre une majorité pour aller vers de nouvelles élections.
Conclusion
Après avoir dit durant des mois qu’un mariage politique était impossible entre la N-VA et le PS, il en est à nouveau question. Vu le résultat de mai 2019, un gouvernement fédéral stable n’est possible que sur base de ces deux partis.
S’il n’y a pas de nouvelles élections, et donc s’il n’y a pas de gouvernement de plein exercice, ce pays reste avec un gouvernement minoritaire, qui repose sur 38 sièges, en affaires courantes et avec des crédits provisoires. Mais cela est-il tenable jusqu’en mai 2024 ? A la mi-septembre, on vivra une période historique dans l’hémicycle de la Chambre des Représentants : un gouvernement qui va diriger ou se tourner vers les électeurs.