
« De Tijd » – Piet Depuydt, Lars Bové, Wim Van De Velden », 12 décembre 2020, repris par « L »Echo »
Pour Bart De Wever, 2020 est une année à oublier au plus vite. Il a manqué son rendez-vous avec l’histoire. En été, il était à deux doigts de signer un accord historique avec le Parti socialiste pour arriver au confédéralisme. Mais finalement, ce n’est pas la violette-jaune qui l’a emporté, mais la coalition Vivaldi.
L’horloge tourne. Le 21 décembre, Bart De Wever fêtera ses cinquante ans. « Quand vous êtes dans le tram 5, vous vous demandez combien d’autres chapitres suivront dans votre vie. Je ne pense pas que je ferai encore de la politique après 70 ans. Il me reste donc les tramways 5 et 6 pour faire quelque chose d’utile, puis ce sera terminé. »
L’échec de cet été avec la violette-jaune vous est-il resté sur l’estomac ?
Il a donné un goût amer à 2020. En juin, l’accord semblait être à portée de main. Nous devons maintenant voir quelle sera la situation en 2024. Au mieux, les résultats des élections seront si dévastateurs pour les libéraux – qui nous ont abandonnés et ont déshabillé la Flandre en échange du 16 rue de la Loi – que le basculement vers le confédéralisme sera inévitable. Beaucoup de choses seront alors possibles, car le président du PS, Paul Magnette, a annoncé la couleur pendant nos discussions. Il m’a confié qu’Elio Di Rupo ne voulait pas que les militants socialistes se préparent au confédéralisme et il a donc dû prendre un virage serré. Mais c’est ce qu’il voulait.
« Au mieux, les résultats des élections de 2024 seront si dévastateurs pour les libéraux – qui nous ont abandonnés et ont déshabillé la Flandre en échange du 16 rue de la Loi – que le basculement vers le
À quoi faites-vous référence quand vous dites que Magnette vous a annoncé la couleur?
Nous avions abouti un accord équilibré sur le plan socio-économique. Nous aurions dû faire certaines concessions, mais elles auraient été compensées par une réduction des charges. Au niveau du volet institutionnel, l’idée du confédéralisme était acceptée. La gauche, ou du moins le parti au pouvoir, était prête à y amener la Wallonie. La question qui se pose maintenant est la suivante: qu’est-ce que tout cela donnera en 2024? Je ne pense pas que le PS changera encore de direction. La nomination de Pierre-Yves Dermagne et de Thomas Dermine (régionalistes wallons du PS, NDLR) en est la meilleure preuve. Ce sont des personnalités qui sont prêtes à prendre cette direction. J’espère encore pouvoir conclure un accord historique avec le PS en 2024, mais le parti aura-t-il encore suffisamment de pouvoir électoral pour mener sa Région dans cette voie?
CONSEIL
La N-VA pourra-t-elle convaincre la Flandre de basculer vers le confédéralisme?
Si cela devient trop amer, ça pourrait faire mal. Parce que certains partis en Flandre proposent de l’acide. Ce serait le pire des scénarios: non seulement le pays sera ingouvernable au niveau fédéral, mais d’ici 2024, nous nous serons tous fait avoir.
Revenons à Magnette. Quel était exactement l’accord historique sur la table?
Nous étions convenus que la voie vers le confédéralisme devait être préparée en 2024. Bien entendu, cet accord s’est fait dans des circonstances difficiles: la constitution n’avait pas été déclarée ouverte à la révision et il n’y avait pas de majorité des deux tiers. Nous voulions réutiliser l’astuce de Dehaene et réduire les budgets de manière fonctionnelle, comme cela s’était produit auparavant avec l’éducation. Vous mettez les budgets dans des carquois et vous diversifiez la politique. C’est irréversible. Ce que vous scindez de cette façon, vous ne réussirez plus jamais à le réunir.
Quels sont les budgets qui devaient être scindés?
Il y avait une volonté d’aller loin. Dans le secteur des soins de santé, c’est maintenant l’unicité qui compte, mais en juin, le PS était prêt à transférer la santé aux Régions. Ils trouvent que l’ingérence flamande – qui avec le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (sp.a) n’a pas diminué – est inacceptable. Ils n’aiment pas le fait de devoir suivre une politique décidée à partir du point de vue flamand. D’ailleurs, il n’y a pas que le PS qui demandait une régionalisation, le pilier chrétien flamand était depuis longtemps en faveur de ce changement. Nous y étions donc presque arrivés, idem pour le marché du travail. Ce qui nous aurait permis d’arriver à l’essence même de ce qui nous lie.
« En juin, le PS était prêt à transférer la santé aux Régions. Ils trouvent que l’ingérence flamande – qui avec le ministre de la Santé Frank
Avez-vous également discuté avec Magnette de l’avenir de la Belgique?
En bref, nous étions prêts à conclure un accord qui donnait les pleins pouvoirs aux différentes démocraties de ce pays. C’est à cela que nous étions arrivés. Où se situe encore la controverse? Où sont les divergences de vues? Au niveau du finanzausgleich (péréquation, NDLR). Comment l’argent sera-t-il réparti ? Ou, pour le dire autrement: nous devrons payer, parce qu’ils ne peuvent pas se débrouiller seuls. Une autre question est de savoir ce que l’on fera de Bruxelles dans cette nouvelle structure. Bien sûr, les francophones veulent mettre la main sur la capitale. Chaque année, leur ambition en la matière augmente en raison de la transformation que connaît Bruxelles. Celle qui était historiquement une ville flamande est devenue une ville cosmopolite sans leitkultur (culture dominante, NDLR), avec un penchant de plus en plus marqué pour une gestion de type ‘ville-État’. Ce sont les deux choses essentielles dont nous devrons discuter et pour lesquelles nous devrons trouver un compromis historique.
En quoi un tel compromis historique sur la scission de la Belgique serait-il positif?
L’idée que la Flandre soit gouvernée par le centre droit et la Wallonie par la gauche me semble acceptable. Si vous êtes un peu honnête, vous arriverez à cette conclusion. Bien sûr, nous pourrions attendre que l’extrême droite en Flandre et l’extrême gauche en Wallonie soient devenues tellement importantes que nous ne puissions plus rien faire. Parce que, bien sûr, ces partis surfent sur l’insatisfaction des citoyens. Si vous votez à droite et que vous obtenez un gouvernement de gauche, c’est un rêve pour l’extrême droite. Pour les communistes de Wallonie, c’est un rêve que la Flandre des PME ait encore quelque chose à dire sur l’État providence socialiste qu’ils veulent établir en Wallonie.
Le PS ne prendrait-il pas un grand risque en déshabillant ainsi la Belgique?
« Je pense que le PS a compris qu’il risquait l’implosion, avec une perte de contrôle. Notre proposition de transformer la Belgique de manière contrôlée est beaucoup plus attrayante. Le PS est obsédé par ce qu’il s’est passé avec le PS français. Il craint que la même chose se passe en Wallonie, à savoir qu’il implose. Si vous voulez comprendre la Wallonie, regardez ce qui se passe en France. »
« Je pense que le PS a compris qu’il risquait l’implosion, avec une perte d contrôle. Notre proposition de transformer la Belgique de manière
Ne risquons-nous pas une implosion si la N-VA et le Vlaams Belang forment une majorité en Flandre en 2024?
« Il est difficile de prévoir ce qui se passera à ce moment-là, mais quand on parle du Vlaams Belang, le sujet devient très problématique. C’est un parti avec lequel on ne peut pas faire grand-chose. J’avais pensé que la direction de ce parti – Van Grieken est en fait devenu le vrai patron après sa victoire électorale – se débarrasserait de tout ce qui le rend peu fréquentable. Mais rien ne se passe, au contraire. Dans certains domaines, la situation est pire que jamais. Cela reste du hooliganisme politique, qui s’oppose constamment à la N-VA. Pas uniquement à Vivaldi. Cela fait peser une importante hypothèque sur 2024. Je dois disposer d’un maximum de moyens pour conduire ma communauté vers le confédéralisme. Si je ne suis pas assez fort et que l’extrême droite devient plus importante que la N-VA, alors ce sera fini. Vous ne pouvez pas traiter avec ce parti.
Le chant des sirènes du Vlaams Belang ne sera-t-il pas tellement fort que vous n’aurez pas d’autre choix que de collaborer avec lui?
Un bœuf peut devenir grand et fort, mais il reste impuissant, non ? Cela ne me fait donc pas du tout peur. Qui veut collaborer avec un parti qui crée sans cesse l’incident? Jour après jour?
Peut-être que Bart De Wever ne souhaite pas collaborer avec le Vlaams Belang, mais que Theo Francken ne le verrait pas d’un mauvais œil?
Il n’y a pas plusieurs factions au sein de la N-VA, elles n’existent que dans la tête des autres. Pourquoi ? Il existe déjà trois courants dans le pays: le Vlaams Belang et le PVDA sont des partis antisystème, le violet-vert représente le système, et entre les deux, on trouve la N-VA. Dans ce courant intermédiaire, on peut avoir l’impression que certains sont plus ou moins proches d’une rive que de l’autre. Mais il n’y a pas de lutte idéologique sur la manière dont nous voyons et promouvons notre identité flamande et quelles idées socio-économiques nous défendons. Nous nous posons toutefois la question de savoir comment maintenir le plus grand nombre possible d’électeurs dans ce courant intermédiaire et comment les ramener vers nous. Ensuite, il y a du travail – défensif et offensif – à accomplir sur les deux rives. Si vous regardez ensuite nos personnalités, vous constatez que certaines sont un peu plus enclines à défendre une rive et à aller y recruter et que d’autres préfèrent l’autre rive. C’est vrai, mais il n’y a pas différentes factions au sein de la N-VA.
Mais la N-VA ne serait-elle pas tentée par l’indépendance de la Flandre si cette opportunité se présentait en 2024 avec le Vlaams Belang?
La question de l’autonomie flamande, du confédéralisme ou même au-delà, devra être réglée au niveau fédéral. Il faut un accord ordonné, y compris dans une perspective internationale. Nous n’allons certainement pas déclencher une situation ‘à la catalane’ ? Essayez de le faire avec votre propre communauté: la couper en deux – la Catalogne est divisée jusqu’à l’os – et la plonger ensuite dans un état désespéré. Ce n’est pas mon ambition. Si vous la jouez maladroitement et que vous suivez les avis des différents stratèges, vous faites le jeu de partis comme l’Open Vld, qui veulent écrire une histoire belgiciste. Ça sent tellement les choux de Bruxelles ! On n’avait pas vu ça depuis les années 1960: tous ensemble ! À la VRT, ils vont même faire une émission de Noël ‘Met 11 millions’ (‘À 11 millions’), chacun chez soi à cause du Covid, et le grand pot de sauce belge par-dessus.
Il faut un accord ordonné, y compris dans une perspective iernationale. Nous n’allons certainement pas déclencher une situation
N’êtes-vous pas prêt à donner une autre chance à la Belgique fédérale? Certains gouvernements ont commencé sous une mauvaise étoile, mais ils s’en sont finalement bien sortis.
C’est le pari qu’ils ont fait. Ils roulent avec le pied au plancher avec une 2CV branlante en espérant franchir la ligne d’arrivée en 2024. Le piège, c’est que la Belgique sera alors réduite à la question: qui peut fournir aux francophones suffisamment de sièges pour continuer? Alors la Flandre sera réduite à être un bœuf. Vous aurez beau gagner autant d’élections que vous le souhaitez, les francophones vous poseront toujours la question: ‘Nous avons plus de soixante sièges. Qui peut nous fournir quelques sièges de plus pour former une majorité’? Et alors la Belgique sera repartie.
« Je pourrais comprendre si les libéraux avaient obtenu un bien meilleur
N’avez-vous pas vous-même été très naïf en pensant qu’il était possible de collaborer avec les libéraux pour former une coalition violette-jaune?
Que voulez-vous? Des membres du VLD, et non des moindres, sont venus me voir en décembre de l’année dernière – il y a exactement un an – pour me dire: ‘Nous n’entrerons pas dans une coalition Vivaldi, Gwendolyn Rutten peut toujours courir’. On nous a demandé d’attendre le nouveau président. J’ai connu cela avec la Volksunie: la base du parti à droite et la tête à gauche. Egbert Lachaert allait y arriver. J’ai donc attendu jusqu’au mois de mai. Quelques jours après que Lachaert soit devenu président (De Wever prend son agenda, NDLR) – le 27 mai à 12h45 – ils sont venus au siège de la N-VA et m’ont dit: ‘Merci pour votre patience, nous voilà. Et maintenant, nous allons faire du violet-jaune’. Et devant lui, ils ont aussi dit qu’Alexander De Croo ne serait à coup sûr pas Premier ministre. Oui, vous pouvez donc dire après coup que j’ai été naïf. Mais qu’est-ce que j’étais censé faire ? On m’a constamment dit que je devais prendre mes responsabilités, que la N-VA et le PS devaient se mettre d’accord. Et puis, il s’est passé ce qui s’est passé. Je pourrais le comprendre si les libéraux avaient obtenu un bien meilleur accord, mais mon accord prévoyait un basculement vers le confédéralisme, des réductions d’impôts et nous conservions l’énergie nucléaire. Que dit leur accord violet-vert? Où sont les accents libéraux?
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