Jules Gheude, essayiste politique (1)

Le CD&V a longtemps hésité avant de lâcher la N-VA et d’accepter de monter à bord de la Vivaldi.
Crédité aujourd’hui de 10% d’intentions de vote, le parti démocrate-chrétien flamand n’est plus que l’ombre de lui-même. Le temps de « l’Etat CVP » est clairement révolu. La splendeur n’est plus au rendez-vous. L’avertissement lancé le 21 novembre 2019 par l’ex-député fédéral Eric Van Rompuy révèle toute sa pertinence : On ne va pas se suicider dans un gouvernement de gauche !
Un an et demi plus tard, dans une interview accordée au « Soir », celui qui se qualifie toujours de flamingant ne cache pas son désarroi face à la situation dans laquelle se trouve son parti.
Ceux qui ont suivi son parcours politique se souviennent de son intransigeance lorsqu’il était à la tête des CVP-Jongeren. Le Premier ministre Léo Tindemans dirigeait alors une coalition alliant l’eau et le feu : la Volksunie et le FDF. Et une sorte de miracle s’était opéré avec la signature du Pacte communautaire d’Egmont en 1978, très vite attaqué par une presse flamande déchaînée et finalement torpillé par Tindemans lui-même. Un acte d’une grande perfidie, puisqu’il visait à renvoyer, nus devant leurs électeurs, les deux partis communautaires qui s’étaient loyalement mouillés en faisant d’importantes concessions. L’opération ne réussit qu’à moitié, avec la débâcle de la Volksunie.
L’aversion d’Eric Van Rompuy pour le parti d’Antoinette Spaak, qui oeuvrait à la mise sur pied d’une Région bruxelloise à part entière, était d’une rare violence : Bruxelles ne deviendra ni aujourd’hui ni demain une Région à part entière. Pour le CVP, le chantage du FDF a assez duré !
Un mois après cette déclaration, l’épreuve de force entre le CVP et le FDF se soldait par l’éviction de ce dernier du gouvernement. La procédure utilisée ne manquait certes pas d’originalité, dans la mesure où Léon Defossen Lucien Outers et François Persoons se voyaient accorder leur démission sans même l’avoir offerte…
Au rappel de ces événements, on mesure le temps perdu dans ce pays pour régler la question communautaire. La Région bruxelloise vit finalement le jour en 1988, suite au compromis intervenu sur l’affaire des Fourons.
Ce Pacte d’Egmont n’était certes pas un modèle de simplicité institutionnelle, mais il allaiait tout de même dans le sens de ce fédéralisme de coopération en faveur duquel Eric Van Rompuy plaide aujourd’hui.
L’analyse qu’il fait est tout à fait surprenante. Elle s’apparente, en fait, à un sauve-qui peut.
On sait que la coalition Vivaldi, dont fait partie le CD&V, a notamment pour tâche de préparer le chantier d’une 7e réforme de l’Etat pour 2024.
Du côté wallon, les prises de position en faveur d’une Belgique à 4 Régions se multiplient, notamment au sein du PS et du MR. Le Nord, en revanche, penche majoritairement en faveur de ce confédéralisme à 2 (un Etat flamand et un Etat wallon cogérant Bruxelles), idée lancée dès le début des années 90 par le ministre-président flamand de l’époque, le CVP Luc Van den Brande, et approuvée en 1999 par le Vlaams Parlement.
Or, que déclare aujourd’hui Eric Van Rompuy ? Ce serait une erreur historique. Si nous faisons un pas de plus, cela mènera à la déstabilisation du pays. Dans une grande négociation institutionnelle comme le veut De Wever, mon parti, le CD&V, disparaîtrait.
Mon parti disparaîtrait. En fait, le danger, pour Eric Van Rompuy, n’est pas dans une probable implosion à terme du pays (durant des décennies, l’Etat CVP s’est trouvé à l’origine des mesures visant à saper les fondements unitaires du Royaume et à accroître l’autonomie de la Flandre !), mais dans le fait que le Vlaams Belang et la N-VA occupent désormais la majorité du champ politique flamand.
Nous avons déjà eu l’occasion d’expliquer l’intérêt que la Flandre porte à la notion de « Communauté », qui lui permet, via les matières dites personnalisables, d’encadrer sa minorité bruxelloise du berceau à la tombe. Or, une Belgique à 4 Régions, telle que la souhaite notamment le président du PS, Paul Magnette, implique la disparition des Communautés. Ce qui est inacceptable pour les Flamands, on gère une série de matières à Bruxelles, on y investit 1,5 milliard, s’empresse de rappeler Eric Van Rompuy.
L’intéressé, nous l’avons vu, a jadis tout fait pour saborder la coalition gouvernementale avec le FDF. Cocasse, quand il pointe aujourd’hui du doigt ceux qui, tel le président du MR, Georges-Louis Bouchez, joue souvent « borderline » au sein de la coalition Vivaldi… Une coalition dans laquelle Eric Van Rompuy lui-même, ne semble guère se faire d’illusions : La Vivaldi a réussi à gérer la crise sanitaire. C’est important. Mais la suite, on verra. Quand on va commencer à discuter du budget, des pensions, de la fiscalité, de l’immigration… S’il devait y avoir un accident politique, ce serait à l’avantage des partis extrémistes, au nord et au sud. Quand on a un déficit de 6% et une dette de 120%, il faut des assainissements, forcément. Et j’ai de grands doutes sur la capacité du gouvernement Vivaldi, avec les tensions en interne, à gérer une telle situation.
Récemment, Joachim Coens, le président du CD&V, a vanté les mérites du système suisse, en rappelant que la gestion émane ici principalement des communes, qui oeuvrent de manière indépendante. Et de proposer d’appliquer cela à ce qu’il appelle la Suisse de la mer du Nord : Ce qui peut être fait localement est réalisé à ce niveau-là, c’est de la démocratie de première ligne. Ce qui ne peut vraiment pas être fait localement, alors nous le réalisons au niveau de la communauté. Et ce qui ne peut être géré par la communauté, nous le faisons ensemble au niveau fédéral. Nous ne démolissons pas la Belgique, mais nous la reconstruisons de fond en comble.
L’analyse de Joachim Coens relève toutefois de la chimère.
En Suisse, l’institution « régionale » de type belge, donc ethno-linguistique, n’existe pas ; il n’y a pas de région de Suisse romande, ni de Suisse alémanique, ni de Suisse italique, ni de Suisse romanche. Qui plus est, les frontières cantonales n’épousent pas les frontières linguistiques ! Il y a des cantons bilingues : Berne, Fribourg, Valais, Grisons… Et il n’y a qu’un paragraphe dans la Constitution suisse qui traite de la question linguistique, laquelle est du ressort des cantons. L’alinéa 2 de l’article 70 stipule en effet : Les cantons déterminent leurs langues officielles. Afin de préserver l’harmonie entre les communautés linguistiques, ils veillent à la répartition territoriale traditionnelle des langues et prennent en considération les minorités linguistiques autochtones.
Au niveau fédéral suisse, il n’y a pas un camp germanophone opposé à un camp francophone (arbitré par un camp italophone). Ce sont les Cantons qui constituent la base « fédérale » du système suisse, pas les communes ! Cantons dont nombre ont été des Etats quasi-souverains pendant de siècles, dans le cadre du Saint-Empire germanique. C’est à partir de Napoléon que la Suisse est passée d’un système d’Etats-cantons « confédérés » à un système « fédéral » (établi en 1848, après un petit conflit violent).
Par ailleurs, Joachim Coens se garde bien de dire comment il conçoit la gestion de Bruxelles…
Nul ne peut dire avec précision de quoi l’avenir de la Belgique sera fait. Mais une chose est sûre : voilà longtemps que la Flandre ne se comporte plus en entité fédérée, mais en Nation. Et ce seul fait ne peut que compromettre la viabilité du pays.
(1) Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Editions Mols, 2019.