Jules Gheude, essayiste politique (1)

Je remercie Claude Demelenne pour sa critique de mon opinion « L’obsession unitariste de Georges-Louis Bouchez » sur le site « LeVif.be » du 2 novembre, car il me permet de compléter ma réflexion sur l’avenir de la Belgique.

Pour affirmer que la Belgique « a encore de beaux jours devant elle », Claude Demelenne avance deux arguments.

Le premier consiste à dire que seule une minorité de Flamands (il parle de « 15% au grand maximum », veulent vraiment l’indépendance de la Flandre et que parmi les électeurs des deux formations séparatistes, la N-VA et le Vlaams Belang, respectivement 25% et 30% ne souhaitent pas la scission du pays.

Mais Claude Demelenne semble oublier que les citoyens sont censés voter en toute connaissance de cause. Si, comme le montrent divers sondages, ils élisent suffisamment de députés N-VA et Vlaams Belang pour que ceux-ci soient à même de constituer une majorité absolue au Parlement flamand, ces représentants auraient toute légitimité démocratique pour proclamer unilatéralement l’indépendance de la Flandre. Ils ne feraient, en fait, qu’appliquer l’un des points majeurs de leur programme.

Claude Demelenne évoque le cas de la Catalogne où, contrairement à la Flandre, les indépendantistes manifestent massivement en rue.

La comparaison me paraît toutefois mal choisie. On a vu comment s’est soldée la déclaration d’indépendance au Parlement catalan. Car, la Catalogne ne représentant que 1/15 de l’Espagne, celle-ci  continue à se maintenir, avec un pouvoir fort à Madrid, susceptible de rallier l’Union européenne.

Si la Fandre larguait les amarres, la Belgique se briserait et l’absence d’un pouvoir central fort à Bruxelles ne permettrait pas de s’y opposer. Quant à l’Union européenne, elle ne pourrait qu’acter le divorce.

Un diplomate français m’a un jour confié que la France serait le premier pays à reconnaître un Etat flamand souverain.

Le second argument invoqué par Claude Demelenne est de constater que « de plus en plus de ponts sont jetés au sein des familles politiques ».

J’ai rappelé, dans mon opinion, la raison pour laquelle les familles politiques belges, dites traditionnelles (socialistes, libéraux et catholiques) se sont, l’une après l’autre, scindées en deux ailes linguistiques. Croire que l’on va remettre le dentifrice dans le tube est une chimère.

Tout simplement parce que, et Claude Demelenne ne soulève pas ce point, un sentiment très fort d’appartenance collective, qui s’apparente au concept de Nation, s’est forgé en Flandre et qu’il transcende les partis politiques. Comme l’a un jour déclaré Bart Somers, aujourd’hui membre du gouvernement flamand et ex-président des libéraux flamands : « Dans ma génération, nous donnons priorité aux intérêts régionaux flamands. »

Les propos tenus par Kris Peeters, ministre-président flamand (CD&V) en août 2009, sont aussi particulièrement éloquents : « Le gouvernement flamand est le seul légitime pour la Flandre. »

Pour le dire autrement, en Flandre, avant d’être socialiste, libéral ou démocrate-chrétien, on est « vlaamsdvoelend », on se  sent Flamand !

Claude Demelenne est un spécialiste de la gauche. Il connaît donc mieux que quiconque l’emprise que le PS a exercée, depuis 1982, sur la Wallonie (12 ministres-présidents socialistes !).

La gestion de la Wallonie, marquée à gauche, s’est caractérisée par une hypetrophie politico-administrative et les « affaires » à répétition. Cela aussi est un constat, qui a amené la Flandre à se radicaliser et à remettre en cause le principe de solidarité.

C’est la Wallonie qui a souhaité la régionalisation. Mais elle n’a pas su user efficacement des outils de plus en plus nombreux mis à sa disposition pour opérer son redressement économique. Elle se trouve aujourd’hui, pour reprendre les termes d’Elio Di Rupo, dans une « situation abyssale ».

Claude Demelenne est convaincu de la capacité de la Belgique à survivre. Il croit au confédéralisme. Mais, le 2 décembre 2019, il écrivait :

« Le point le plus sensible a évidemment trait à la sécurité sociale. En cas de scission sèche, la région la moins riche, la Wallonie, sera à la peine. Ce n’est évidemment pas tenable. Ni pour les Wallons, qui verront leur niveau de vie baisser. Ni d’ailleurs pour la Flandre, qui n’a aucun intérêt à appauvrir la région voisine, qui est son principal partenaire commercial. Des nouveaux mécanismes de solidarité seront à prévoir, »

Les Flamands n’auront pas manqué d’apprécier le message : oui au confédéralisme, à condition que la Flandre continue de payer pour la Wallonie !

Claude Demelenne affirme qu’il ne se passera rien en 2024. N’est-ce pas faire preuve de naïveté ? Le délai de plus en plus long mis pour constituer un gouvernement résulte d’un fossé de plus en plus grand entre ce que Bart De Wever appelle « deux démocraties ».

Claude Demelenne était davantage réaliste lorsqu’il écrivait, le 3 février 2020 : « Mieux vaut un bon divorce que le chaos belge. »

Je lui fixe rendez-vous en 2024.

(1) Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Editions Mols, 2019.

Un commentaire

  1. A force de déclamer l’indépendance sous toutes ses formes, les Flamands la réclameront à leurs élus et les Wallons pourront chanter et danser comme la cigale.
    Jacques Brel ne chanta-t-il pas:  » Ne me quitte pas, tout peut s’oublier »…
    Certes, les Flamands profitent de la Belgique mais ils connaissent « leur » histoire et ils n’oublent pas la domination fransquillonne .

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