Jules Gheude, essayiste politique (1)

EXPO : Bruxelles, 1000 ans de rayonnement - Alliance Française Szeged

Au sein de la coalition Vivaldi, les ministres Annelies Verlinden (CD&V) et David Clarinval (MR) ont notamment pour tâche de préparer une nouvelle réforme de l’Etat pour 2024, la 7ème.

Du côté flamand, le cœur bat depuis longtemps pour un système confédéral à deux : un Etat flamand et un Etat wallon omnipotents (l’échelon central étant réduit à quasi rien), avec une cogestion qui ne dit pas son nom pour la Région bruxelloise. 

Ce système, proposé dès le début des années 90 par Luc Van den Brande, alors ministre-président CVP, a été approuvé par le Parlement flamand en 1999 (les fameuses cinq résolutions).

Il constitue aujourd’hui le point majeur du programme institutionnel de la N-VA, redevenu le premier parti de Flandre (23,4%) dans le dernier Grand Baromètre politique.

Si David Clarinval est resté discret jusqu’ici quant à ses intentions, sa collègue Verlinden, elle, s’est déjà clairement engagée, Dans une longue  interview accordée au « Soir », le 12 février dernier, elle s’est prononcée en faveur d’une régionalisation des soins de santé. Dans l’accord de gouvernement, souligne-t-elle, il est précisé que l’on veut des soins de santé proches des patients, proches des citoyens, et il est spécifié, entre parenthèses dans le texte, que cela doit se passer au niveau des « entités fédérées ».

Ce faisant, Annelies Verlinden ne fait que confirmer les propos de son président de parti, Joachim Coens, pour qui il ne peut être question de remettre le dentifrice dans le tube, entendez de refédéraliser ».

Crédité de 11,3% d’intentions de vote, le CD&V entend se refaire une virginité flamande, et retrouver la radicalité qui amena le CVP (« l’Etat-CVP ! ») à être à l’origine de toutes les mesures visant à saper les fondements unitaires de la Belgique (fixation de la frontière linguistique, Walen buiten de Louvain, Fourons, scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde…).

Il s’agit donc de s’engager dans la voie du confédéralisme et de poursuivre le démantèlement du pays L’ex-président du CD&V, Wouter Beke, aujourd’hui membre du gouvernement flamand, avait d’ailleurs été très clair en 2007 : Nous voulons une véritable confédération où chacun pourra agir comme il l’entend. Les francophones ne tiennent à la Belgique que pour l’argent. S’ils n’acceptent pas de lâcher du lest, nous n’aurons pas d’autre choix que l’indépendance.

Du côté wallon, un courant semble se dessiner pour une Belgique à quatre Régions, impliquant la suppression des Communautés.

Or, c’est précisément le concept de « Communauté » qui permet à la Flandre, via les matières dites personnalisables, d’encadrer efficacement sa minorité à Bruxelles, du berceau jusqu’à la tombe. En outre, qu’en serait-il de Bruxelles, capitale de la Flandre et siège de son gouvernement, de son Parlement et de son administration ?

On le voit, le projet relève de la chimère.

A cet égard, l’éditorial de Charles-Etienne Lagasse, « Vivre dans l’Etat Wallonie-Bruxelles », publié à la Une de « 4 Millions 7 », l’organe de la Ligue francophone et wallonne de la Région de Bruxelles », mérite attention.

Charles-Etienne Lagasse commence par rappeler l’étude commandée par Sven Gatz à trois centres universitaires francophones et qui démontre que ce modèle (une Belgique à quatre Régions) est impayable. Séparément Wallonie et Bruxelles tombent chacune en cessation de paiement.

Et de plaider en faveur d’une double fédération : une fédération Wallonie-Bruxelles au sein de la fédération belge.

Mais, précise-t-il, l’expresssion « fédération Wallonie-Bruxelles » ne doit pas être ici confondue avec le nom d’emprunt de l’actuelle Communauté française, mais comme une vraie fédération des deux Régions wallonne et bruxelloise. Pour éviter la confusion, on parlera donc ici d’Etat Wallonie-Bruxelles.

Comment fonctionnerait cet Etat ? Les deux Régions forment entre elles une fédération (…) laissant à chacune l’exercice de compétences territoriales, mais mettant en commun les matières non territoriales et celles où des économies d’échelle sont jugées souhaitables. Les compétences de la Flandre sur Bruxelles sont préservées de même que celles de la Communauté germanophone.

On connaît l’aversion des ultra-régionalistes wallons pour la Communauté française. Aussi ne pourront-ils souscrire aux exemples d’avantages que donne Charles-Etienne Lagasse : Tout d’abord, on évitera les aberrations consistant à scinder les politiques culturelles, d’enseignement et médiatiques. (…) Même chose pour les conditions d’accès aux emplois, services et subventions dans les domaines de la petite enfance, de la culture, de la petite enfance, de la culture, du sport, de l’audiovisuel : les règles resteraient les mêmes pour les Wallons et les Bruxellois. 

Pour étayer sa démonstration, Charles-Etienne Lagasse aborde l’aspect financier : L’on connaît le drame des finances wallonnes et de la Communauté française. Dans l’Etat Wallonie-Bruxelles, les budgets des deux Régions et de la Communauté française seraient réunis. (…) Les politiques « communautaires », comme la culture, l’enseignement ou l’audiovisuel ne seraient plus obligées de vivre dans le corset étriqué d’une Communauté française sans pouvoir fiscal.

Et Charles-Etienne Lagasse de préciser : La Région bruxelloise produit environ 19% du PIB, pour une population de 11% mais n’en retire que 8,34% du produit fiscal. En imputant une partie de l’impôt des personnes physiques sur base du lieu de travail et non plus du domicile, on rapatrierait vers Bruxelles, et donc vers l’Etat Wallonie-Bruxelles, des masses fiscales qui lui échappent aujourd’hui, celle des navetteurs flamands. Une autre étude du Centre Jacques Georgin a révélé que si l’on calculait les transferts interrégionaux non plus sur base du domicile, mais du lieu de travail, la Région bruxelloise passerait d’un état de bénéficiaire net de 500 millions (à charge de la Flandre) à une position de contributeur net de plus de 2 milliards d’euros. Au sein d’un Etat Wallonie-Bruxelles, ce gain profiterait indirectement aussi à la Wallonie.

Dans la cadre belge, cette option d’un Etat Wallonie-Bruxelles n’a aucune chance d’aboutir. On ne voit pas, en effet, en contrepartie de quoi la Flandre pourrait l’avaliser.

Faut-il y voir la volonté de relancer l’idée du WalloBrux en vue d’un démantèlement de la Belgique, qui s’avère inéluctable ?

La question m’est régulièrement posée lorsque je donne une conférence en Flandre.

Il faut être deux pour danser le tango. Or, une étude réalisée en 2013 par Rudi Janssens, chercheur à la VUB, indique que 73,9% des Bruxellois souhaitent l’autonomie en cas de disparition de la Belgique. Seuls 4,6% optent pour une association avec la Wallonie, et 4% avec la Flandre. Cela montre que les Bruxellois sont profondément attachés à leur spécificité.

Il y a aussi le fait que l’on est confronté à des espaces géographiques de taille et de morphologie totalement dissemblables. D’un côté, une Région-Capitale de 161,4 km2, de l’autre, une Région wallonne de 16.844 km2, trois fois plus peuplée. 

Par ailleurs, Wallons et Bruxellois constituent des populations sociologiquement distantes, avec des sensibilités souvent différentes. 

Enfin, élément majeur, l’absence d’unité territoriale, Bruxelles étant enclavée en territoire flamand, qui serait alors un territoire étranger. De quoi rallumer le feu en ex-Yougoslavie ! Car si Wallons et Bruxellois peuvent composer un Etat de la sorte, on ne voir pas pourquoi la Serbie ne ferait pas de même avec la Republika Srpska de Bosnie.

Comment organiser les pouvoirs et fixer le poids respectif de Bruxelles et de la Wallonie au sein de ce nouvel Etat, qui ne constituerait en aucun cas une nation ? Opterait-on pour le principe de l’égalité (Bruxelles = Wallonie) ou celui de la proportionnalité (Wallonie > Bruxelles) ? Déjà, au sein de la Belgique actuelle, Wallons et Bruxellois sont dans l’incapacité de se constituer en entité unifiée.

On voit mal aussi comment la Communauté internationale pourrait reconnaître une personnalité juridique identique à cette nouvelle Belgique qui, privée de la Flandre, offrirait un visage substantiellement différent de celui de l’Etat prédécesseur.

En droit international, l’Etat successeur est comme un nouveau-né, vierge de tout traité international. C’est le principe de la « tabula rasa ». Une adhésion de plein droit de la « Belgique résiduelle » aux traités qui liaient l’ancienne Belgique pourrait donc être juridiquement contestée. On a vu, par exemple, que la « petite Yougoslavie » ou « Yougoslavie continuée », composée de la Serbie et du Monténégro, a dû demander sa réadhésion à l’ONU dès septembre 1992.

En attendant, les ministres Verlinden et Clarinval mettent sur pied une plate-forme de dialogue pour récolter l’avis des citoyens. Mais tout indique déjà que les négociations futures tourneront rapidement au dialogue de sourds…

Le documentaire « Bye-bye Belgium » de la RTBF (2006) pourrait passer de la fiction à la réalité !

  1. Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Editions Mols, 2019.

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