Nous reproduisons ici l’analyse de William Bouron publiée dans « Le Soir » du 8 avril 2022 : https://www.lesoir.be/434999/article/2022-04-08/election-presidentielle-2022-belgique-france-je-taime-moi-non-plus

«Si pour nous définir sur le plan identitaire, nous trouvons du sens à nous comparer à des groupes qui sont généralement d’un statut un peu supérieur, lorsque ces groupes ratent le coche, qu’ils échouent dans une compétition, c’est effectivement quelque chose qu’on apprécie», opine Vincent Yzerbit.

La France, sa géographie, son patrimoine architectural, sa gastronomie, son climat, etc., poussent chaque année des milliers de Belges à franchir la frontière sud. Mais les « débats d’idées » hexagonaux – une catégorie dans laquelle on glissera la politique – attirent également nombre de francophones d’ici, souvent avec un sentiment mêlé d’admiration et d’agacement. Un phénomène normal entre voisins d’idiome commun mais de « carrures » différentes, selon Vincent Yzerbyt, professeur de psychologie sociale et culturelle à l’UCLouvain.

« Du point de vue psychosocial, dans les relations intergroupes comme dans les relations interpersonnelles, pour se définir soi-même, on est toujours tenté de prendre des points de repère à la fois suffisamment semblables et suffisamment différents », explique-t-il. « Ainsi, au titre de francophones belges, on se tourne naturellement vers la France, qui est un peu le groupe que l’on envie à certains égards – culturellement, économiquement, peut-être aussi historiquement – mais dont, en même temps, on ne veut pas nécessairement faire partie soi-même ; un groupe qui nous permet de nous distinguer. »

Nous nous distinguons des Français par des qualités qui sont souvent moins des qualités de statut, de ressources ou de richesse, que des qualités sociales ou de « production culturelle ». Cette tendance à se dire : « Nous ne nous prenons pas autant au sérieux que ces messieurs »… Selon Vincent Yzerbyt, c’est bien cette existence « en concurrence » qui nous permet de nous situer dans ce que nous sommes, dans les valeurs auxquelles nous tenons, dans notre singularité.

Une singularité, soyons francs, pas toujours dénuée de jalousie, voire de mesquinerie pour certains… « Si pour nous définir sur le plan identitaire, nous trouvons du sens à nous comparer à des groupes qui sont généralement d’un statut un peu supérieur, lorsque ces groupes ratent le coche, qu’ils échouent dans une compétition, c’est effectivement quelque chose qu’on apprécie », opine le psychologue social. « Il y a un terme allemand pour ça : schadenfreude, la “joie malsaine” d’un outsider face à l’échec d’un concurrent supérieur. » Un sentiment qui existe aussi entre Flamands et Hollandais ou entre Autrichiens et Allemands, précise-t-il.

Un certain rapport à la langue

Sur le plan plus strictement politique, la « télédistribution » a, depuis très longtemps, rendu les candidats à l’élection présidentielle française populaires dans les foyers belges. Parfois même plus que le personnel politique indigène… « Je pense qu’il y a quelque chose de fascinant dans le procédé même de cette élection présidentielle », estime Vincent de Coorebyter, professeur de philosophie politique à l’ULB. « Une élection personnalisée, un scrutin de type majoritaire, avec un résultat en blanc ou noir, un seul élu et tous les autres battus. Avec tous les contrastes que cela suppose avec notre vie politique belge : scrutin proportionnel, coalition de partis, etc. Il y a, en France, un aspect “duel” et, c’est un fait, la vie politique est plus passionnante quand ce sont des personnes qui se confrontent plutôt que des masses collectives et abstraites que sont les partis ou leur programme. »

Des duels qui, en outre, opposent souvent de fortes personnalités, des « tempéraments », au verbe haut – parfois jusqu’au pittoresque… « Cela fait partie intégrante du phénomène, et je suis persuadé que ceux qui possèdent ce type de qualités oratoires, d’incarnation, de panache, etc., sont mieux placés que d’autres à l’élection présidentielle », affirme notre chroniqueur. « Ça ne veut pas dire que tout le personnel politique français est capable de déployer ce genre de qualités – si vous regardez la composition du gouvernement actuel, par exemple, on ne peut pas dire qu’il y a beaucoup de flamboyance. Mais, régulièrement, on voit des responsables qui restent à la hauteur, ou qui tentent de rester à la hauteur, de ce style-là. Parce que la présidentielle est l’occasion par excellence de l’exprimer. Je pense donc qu’il y a un lien avec cette élection, même s’il y a aussi un arrière-fond, qui est le rapport de la France à la langue, à la culture, à un art oratoire, etc. »