On trouvera ici la tribune de Jules Gheude, publiée sur le site du journal « Le Monde » : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/05/07/et-si-en-2024-la-wallonie-devenait-francaise_6125096_3232.html

Depuis 2010, la Belgique a vécu deux crises politiques majeures, qui ont rendu la formation d’un gouvernement fédéral extrêmement difficile. Le fossé entre la Flandre et la Wallonie n’a cessé de se creuser et tout indique que la mise sur pied d’une 7ème réforme de l’Etat, programmée pour 2024, relèvera de la quadrature du cercle, tant les positions du Nord et du Sud sont opposées.
Le problème belge se résume en fait à une chose : la Flandre est devenue une Nation qui n’aspire qu’à revêtir les habits d’un Etat souverain.
Si, au lendemain des négociations de 2024, aucune solution ne peut être dégagée au niveau institutionnel, rien ne pourrait s’opposer à ce que la Flandre use de sa légitimité démocratique au sein de son propre Parlement pour larguer les amarres et proclamer unilatéralement son indépendance. Selon les sondages actuels, la N-VA nationaliste et le Vlaams Belang d’extrême droite, tous deux séparatistes, disposeraient en effet d’une majorité absolue.
L’exemple catalan, que d’aucuns invoquent pour réfuter un tel scénario, ne tient pas la route. Privée de la Flandre, la Belgique ne peut plus tenir et, en l’absence d’un pouvoir central fort à Bruxelles, l’Union européenne ne pourrait qu’acter le divorce belge.
La crise politique de 2010 – 541 jours sans gouvernement de plein exercice – avait suscité l’inquiétude de la France, au point que la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée générale avait chargé deux de ses membres d’une mission en Belgique, afin de faire le point sur la situation interne du pays.
Les auteurs du rapport étaient loin d’être optimistes. Ils voyaient le signe d’une divergence essentielle entre les partis en présence, divergence d’autant plus redoutable qu’elle ne concerne pas le contenu des politiques publiques, au sens traditionnel du terme, mais qu’elle touche à la conception même de l’Etat, à la nature des institutions et du pacte fondamental qui les fonde.
Ils évoquaient des clivages profonds, deux sociétés différentes : Si toutes les sociétés sont traversées par des clivages, rarement peut-être sont-ils aussi structurés qu’en Belgique.
Et ils posaient cette question essentielle : La Belgique serait donc condamnée, Etat si faible que toute crise politique serait l’occasion de poser la question de sa survie, Etat si artificiel qu’il devrait se briser à l’inéluctable envol de la nation flamande ?
« L’inéluctable envol de la nation flamande ». Tout est dit.
Cela rejoint le conseil donné en 2009 au roi par José-Alain Fralon, ancien correspondant du journal « Le Monde » en Belgique, dans son livre « La Belgique est morte, vive la Belgique ! » : Si, au lieu de ce baroud d’honneur qui risque de mal tourner, voire même de friser le ridicule, tant il est peu conforme à la philosophie de vos sujets, vous la jouiez plus finement ? En admettant, comme nous le ferons tous tôt ou tard, que rien ne pourra arrêter la marche de la Flandre vers son indépendance, et en accompagnant celle-ci au lieu de tenter en pure perte de la stopper ? »
Le fameux « compromis à la belge » a atteint ses limites. Depuis 1970, six réformes de l’Etat ont vu le jour, qui ne se sont pas parvenues à faire cohabiter, de manière sereine, les deux grandes communautés du pays.
En fait, le démantèlement de la Belgique est inscrit dans les astres. Mais tout a été fait pour le retarder. C’est la stratégie de la procrastination : tendance à ajourner, à temporiser.
Pour Wouter Beke, l’ancien président des démocrates-chrétiens flamands, ce sont les francophones qui sont les champions ce cette façon d’agir, car ils ne tiennent à la Belgique que pour l’argent (déclaration au journal québécois « Le Devoir » en 2007). Et il ajoutait : Nous voulons une véritable confédération où chacun pourra agir comme il l’entend. Si les francophones refusent de lâcher du lest, nous n’aurons pas d’autre choix que l’indépendance.
Une chose est sûre : la Flandre n’entend plus se montrer financièrement solidaire d’une Wallonie qui, en 42 ans de régionalisation, n’est pas parvenue à opérer son redressement économique.
C’est ici que les propos tenus par le général de Gaulle au professeur Robert Liénard de l’Université de Louvain dans les années soixante, prennent tout leur sens : J’ai la conviction que seule leur prise en charge par un pays comme la France peut assurer l’avenir à vos trois à quatre millions de Wallons.
Depuis lors, divers responsables politiques français ne se sont pas privés d’exprimer leur sentiment à cet égard, dont Marine Le Pen, qui se trouve aujourd’hui au second tour de la présidentielle. Le 20 juillet 2011, elle déclarait : Si la Belgique venait à éclater, si la Flandre prenait son indépendance, hypothèse de plus en plus crédible, la République française s’honorerait d’accueillir en son sein la Wallonie. Les liens historiques et fraternels qui unissent nos deux peuples sont trop forts pour que la France abandonne la Wallonie.
Un sondage réalisé par l’Ifop pour France-Soir en juin 2010, révélait que 66% des Français étaient favorables à un rattachement de la Wallonie. Le taux atteignait même 75% dans le Nord, le Pas-de-Calais, les Ardennes et la Meuse.
Le démantèlement de la Belgique est un phénomène irréversible. Aussi les dirigeants wallons feraient-ils bien de prendre langue dès à présent avec les autorités françaises pour éviter, au moment où l’inéluctable se produira, de se retrouver mis devant le fait accompli, contraints de réagir dans l’urgence et l’improvisation.
Depuis 2010, le Groupe d’Etudes pour la Wallonie intégrée à la France (Gewif ) prépare le terrain.
- Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Editions Mols, 2019.