Eric Burgraff, « Le Soir », 16 janvier 2023
La Fédération Wallonie-Bruxelles tire son financement de sa vitalité démographique. Or elle est durablement en berne. En 2030, le manque à gagner flirtera avec les 340 millions d’euros.
Seize janvier 2023, date cruciale pour la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Date cruciale parce que c’est le jour qui « compte » dans les écoles. Le jour où chaque élève régulièrement inscrit rapporte de l’argent à la Communauté française (l’autre nom de la FWB). Pour mémoire, la Fédération francophone n’a pas de pouvoir fiscal, donc très peu de ressources propres. Pour (sur)vivre, elle doit se contenter de ce que veut bien lui octroyer l’Etat fédéral, à elle et aux autres communautés (flamande et germanophone). On parle de « transferts institutionnels » coulés dans le bronze d’accords politiques passés. Les règles sont connues : l’Etat fédéral réserve une partie de ses recettes TVA (environ 21 milliards pour 2023) au financement de la Communauté flamande et de la Communauté française (les germanophones bénéficient d’un autre système). Cette manne est ensuite répartie entre les deux entités en fonction de la part d’élèves de 6 à 17 ans régulièrement inscrits dans l’enseignement obligatoire, on parle de « clef élèves ». Ce seul mécanisme assure 70 % des recettes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Un autre gros morceau (26 % des revenus) est constitué d’une dotation liée à l’impôt des personnes physiques. L’ensemble est affecté à l’enseignement (75 % des dépenses) mais aussi aux autres compétences telles que la culture, la RTBF, la jeunesse, les maisons de justice…
Décompte d’importance majeure
En 2023, le mécanisme TVA devrait rapporter quelque 13.000 euros par élève. Mais comme on travaille dans une enveloppe annuelle fermée, chaque élève francophone supplémentaire (si le nombre de petits camarades flamands reste inchangé) ajoute environ 8.000 euros à la dotation reçue du Fédéral. Autant le dire clairement, à ce petit jeu comptable, toute inscription dans l’enseignement vaut son pesant d’euros. On comprend mieux dès lors pourquoi chaque direction d’école a reçu la semaine dernière une missive officielle recommandant la plus grande diligence dans le décompte des inscrits : « Comme vous le savez, le comptage des élèves, qui s’effectuera cette année le 16 janvier 2023, revêt une importance majeure. C’est en effet sur lui que repose la plus grande part du financement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les données qui nous seront transmises seront dûment contrôlées par la Cour des comptes qui veillera à une distribution équitable du financement entre la Fédération Wallonie Bruxelles et la Communauté Flamande », rappelle Fabrice Aerts-Bancken, directeur général de l’Administration de l’Enseignement.
Il ne s’agit évidemment pas d’inventer des inscriptions mais d’être attentif aux cas particuliers. Un élève absent mais couvert par un certificat médical de longue durée compte dans le processus par exemple. Dès lors, pourquoi tant de précautions ? Parce que la Fédération Wallonie-Bruxelles fait face à une sérieuse dégradation de sa « clef élèves » : ces dernières années, la part de petits francophones régulièrement inscrits à l’école est en baisse continue et ça ne risque pas de s’arrêter. On l’a compris : qui dit élèves en moins, dit recettes en berne.
Le pourcent qui valait des millions
En 2006, la FWB percevait 43,07 % de l’enveloppe réservée aux communautés. En 2010, on parlait déjà de 42,05 % avant de remonter à 42,56 % en 2014. Depuis, à quelques soubresauts près, la clef élèves ne cesse de se dégrader pour atteindre 41,77 % en 2023.
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Le problème c’est que, quand on parle en milliards, 1 % ou même un dixième de pourcent, équivaut à beaucoup, beaucoup de millions : « entre 2021 et 2022, la clé élève s’est dégradée de 0,16 %, ce qui représente une perte de recettes d’environ 30 millions », confie le cabinet du ministre du Budget Frédéric Daerden (PS). De plus, entre le budget 2022 et celui de 2023, les prévisions tablent sur une dégradation de 0,26 %, ce qui représente un manque à gagner de 50 millions d’euros. Et ce n’est pas fini, la fameuse clef – donc la part de francophones scolarisés dans notre enseignement – devrait continuer à se dégrader ces prochaines années pour atteindre 39,98 % en 2031. De plus, les projections démographiques font état d’une baisse continue jusqu’en 2038.
« Le phénomène », analyse le cabinet du ministre Daerden, « est principalement lié aux logiques démographiques entre la FWB et la Communauté flamande sur lesquelles les communautés ne peuvent avoir d’impact. En effet, les taux de croissance démographique pour les 6-17 ans font apparaître une croissance relativement plus importante en Flandre qu’en FWB. Les perspectives démographiques laissent entrevoir une meilleure dynamique d’évolution des 6 à 17 ans pour la FWB à partir de 2040 ».
L’addition à 338 millions
On l’a dit, tout cela se paie cash, et rapidement : en 2030, la paresse de notre courbe démographique coûtera 338 millions d’euros au budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles (par rapport à un scénario de statu quo sur 2022). Juste à titre de comparaison, c’est à peu de chose près dix fois la somme que le gouvernement avait offerte en guise d’accord sectoriel pour l’enseignement.
Comment inverser la tendance ? En travaillant sur le fait que chaque élève compte… tout en gardant en tête qu’il génère plus d’argent qu’il n’en fait dépenser à la FWB : une scolarité menée tambour battant – sans redoublement donc – « coûte » de la maternelle à la fin du secondaire environ 91.000 euros par élève. Dans le même temps, de ses 6 ans à ses 17 ans, un enfant « rapporte » 156.000 euros à la Fédération. On l’a compris, la différence permet de financer les autres compétences de ce niveau de pouvoir comme les classes maternelles, l’enseignement supérieur, la culture, la jeunesse… Il y a donc, dans cette baisse de fréquentation de l’école, bien plus qu’un enjeu de scolarisation.