La réalité des libéraux flamands
Jules Gheude

« J’aime notre pays ». Le contraire eût paru surprenant de la part d’un Premier ministre belge.
Cette profession de foi émane d’Alexander De Croo qui, dans sa récente interview au « Soir », ajoute : « Du côté nationaliste flamand, le confédéralisme revient quand on ne sait plus quoi faire. C’est comme le Brexit, qui était une bonne idée sur papier et voyez les dégâts que ça fait au Royaume-Uni. Ce serait exactement la même chose en Flandre, c’est une mauvaise idée. »
Alexander De Croo entend donc se distinguer des nationalistes flamands. Mais ceux qui suivent de près l’évolution politique belge savent qu’il n’en est rien.
En octobre 2021, les présidents du MR et de l’Open VLD, Georges-Louis Bouchez et Egbert Lachaert, coupaient ensemble le gâteau du 175ème anniversaire du Parti libéral belge. Un parti qui, comme les deux autres partis traditionnels (catholique et socialiste) s’est scindé depuis plus d’un demi-siècle. Cette scission, le très belgicain Georges-Louis Bouchez voudrait pouvoir la réparer, mais le lucide Hervé Hasquin est là pour rappeler la réalité des faits : « Croyez-moi, un libéral flamand est un nationaliste. »
Alexander De Croo est donc aussi un nationaliste flamand
Il n’est pas encore président de l’Open VLD depuis 5 mois lorsque, le 22 avril 2010, lassé de voir la situation s’enliser dans le dossier de la scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde, il retire la prise du gouvernement Leterme II, plongeant ainsi le pays dans la plus longue crise politique de son histoire : 541 jours sans gouvernement de plein exercice.
Qu’est-ce qui a poussé Alexander De Croo à agir de la sorte ? « Certains ont émis l’hypothèse que l’Open VLD cherchait à passer en force sur le dossier BHV, le but étant de prouver que le parti pouvait rivaliser sur le terrain communautaire avec le CD&V et la N-VA », explique Jean Faniel, le politologue du CRISP.
Sur le terrain communautaire, il est aisé de citer maints exemples de la radicalité libérale flamande.
Fin juillet 2007, alors que les négociations pour la formation d’un gouvernement piétinent à Val-Duchesse, les artilleurs de l’Open VLD Karel De Gucht et Patrick Dewael menacent de « couper les robinets » financiers de certaines politiques face à l’intransigeance communautaire du MR et du CDH (« Madame Non »…).
Quelques années plus tôt, Patrick Dewael, alors ministre-président flamand, avait présenté ses priorités pour une future réforme de l’Etat. Il était question de scinder quasi tout l’éventail des compétences restées fédérales : scission des soins de santé et des allocations familiales, régionalisation partielle de la SNCB, flamandisation totale de Bruxelles-National, autonomie accrue pour l’impôts des personnes physique, régionalisation partielle de l’impôt des sociétés, fixation par la Flandre de ses salaires et des sanctions de ses chômeurs…
Dans son « Vlaams Manifest » de mai 2002, Patrick Dewael avait clairement pointé du doigt les transferts financiers Nord-Sud imposés par la solidarité : « Chaque Flamand paie 815 euros pour son compatriote du Sud. Soit huit fois plus qu’un citoyen ouest-allemand pour son voisin est-allemand. »
On eut droit aussi, le 6 novembre 2002, à cette fameuse déclaration de Karel De Gucht, alors président de l’Open VLD, sur VTM : « La Belgique est condamnée à disparaître à terme, à s’évaporer et, en attendant, n’apporte plus aucune valeur ajoutée à la Flandre. Il est inadmissible que la Flandre paie davantage pour les soins de santé et reçoive moins en retour de la Wallonie. »
Au lendemain du torpillage du pacte d’Egmont par le Premier ministre CVP Léo Tindemans, le 11 octobre 1978, François Perin s’efforça de mettre libéraux francophones et flamands d’accord sur un projet institutionnel. Mais il se heurta à l’intransigeance de ces derniers : « Pendant trois ans, je n’ai cessé tenter cela, élaborant des documents avec un excès d’imagination que m’ont parfois reproché certains de mes amis. J’ai des dates, des rendez-vous annulés unilatéralement, sans motif. Lors d’une séance de rencontre, Vanderpoorten est venu, toujours aussi gentiment, muet comme une carpe, entrant à 9 heures et sortant à mid , sans piper un mot ! (…) Voyez aujourd’hui les amendements déposés au Sénat par Vanderpoorten. Tous plus ultra-flamingants les uns que les autres, en surenchère du CVP et de la Volksunie ! Et après cela, il vient dire qu’il a foi en la nation. De quelle nation parle-t-il ? De la belge ? Mais il a contribué comme les autres à la faire disparaître !»
Feu Jean Gol avait également perçu que le virus de la séparation avait atteint le libéralisme flamand. En privé, il disait ne plus croire à l’Etat belge. Dans un mot manuscrit adressé à François Perin, le 14 mars 1983, il confesse « agir chaque jour pour préparer cette échéance (ndlr : celle où la Flandre proclamera son indépendance) et une réponse francophone de survie digne, raisonnable et dans l’ordre ».
En vue du grand congrès qu’elle tiendra en mai prochain, la N-VA a organisé quatre journées à thème, la dernière portant sur « Une Flandre forte en Europe : la Belgique est un dogme, La Flandre est un défi ».
A cette occasion, on put voir apparaître Alexander De Croo sur un écran, avec une déclaration datant de 2010 : « Nous avons besoin d’un nouveau départ, de temps pour décider ce que nous voulons encore faire ensemble et partager le reste. La Flandre doit obtenir plus de compétences. Nous devons faire des choix fondamentaux. »
Aujourd’hui, selon le dernier sondage RTBF/La Libre, le parti du Premier ministre Alexander De Croo recueille 12,1% d’intentions de vote, contre 24,8% pour le Vlaams Belang et 21,5% pour la N-VA. Ce n’est certes pas en faisant preuve de tiédeur communautaire qu’il pourra récupérer des plumes…
Nous laisserons le mot de la fin à Bart Somers. Aujourd’hui membre du gouvernement flamand, voici ce qu’il déclarait le 2 septembre 2006, en tant qur président de l’Open VLD : « Dans ma génération, nous donnons priorité aux intérêts flamands. (…) Les francophones doivent savoir que nous sommes résolus. (…) La Flandre veut cette réforme. (…) Nous n’accepterons plus que notre croissance et notre emploi soient freinés parce que la Wallonie ne veut pas rencontrer nos demandes. Le monde politique flamand doit prendre ses responsabilités vis à-vis des siens. »
- Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Editions Mols, 2019.