Jules Gheude, essayiste politique (1)

Le quotidien français « Libération » faisait récemment état d’une demande formulée par Olivier Faure, le président du PS français à son homologue francophone belge, Paul Magnette, pour tirer la liste aux prochaines élections européennes.
Une telle demande avait déjà été faite pour les élections européennes de 2019, mais l’intéressé, alors ministre-président wallon, l’avait déclinée.
La motivation du PS français pouvait à l’époque s’expliquer par le souci de remonter la pente en tirant profit de la renommée internationale acquise par Paul Magnette en s’opposant au CETA, le traité de libre-échange avec le Canada.
La publication récente de son livre « La Vie large », manifeste écosocialiste, a offert à Paul Magnette quelques tribunes médiatiques remarquées en France et, toujours selon « Libération », l’intéressé a fait exploser l’applaudimètre lors de sa présence au congrès des socialistes français à Marseille, le 29 janvier. Il serait donc susceptible de requinquer un parti qui, pour reprendre l’expression du philosophe français Luc Ferry, est « dans les choux ».
Faut-il voir, dans la démarche du PS français, la préfiguration d’un rattachement de la Wallonie à la France ?
De passage à Bruxelles, le 5 mai 2011, François Hollande, candidat à la primaire socialiste en vue des élections présidentielles, s’était plu un instant à rêver : « Quand je vois les votes socialistes qui s’expriment en Wallonie… Toutes ces voix… Qui nous ont parfois manqué… Nous pourrions les prendre là… » (interview accordée au journal « Le Soir ».)
Mais l’on se souvient aussi de la déclaration faite par Paul Magnette, le 21 octobre 2010, et qui lui valut le surnom d’Allemagnette. Interrogé par le journal « La Libre Belgique » quant à l’option rattachiste, il avait en effet répondu : « Quand je vois la situation en France, je comprends qu’il n’y ait plus que trois rattachistes en Wallonie. Etre rattaché à un pays qui a une culture aux antipodes de la nôtre, c’est ridicule. (…) Il y a une rupture culturelle avec les Français. Si on doit se rattacher un jour, ce sera plutôt à l’Allemagne. C’est plus l’intérêt industriel de la Wallonie. »
Paul Magnette n’a manifestement pas lu « Wallonie, terre romane » de l’historien namurois Félix Rousseau, lequel définit ainsi « le fait capital de l’histoire de la Wallonie » : « Pendant plus d’un millénaire (à part Tournai et le Tournaisis) l’ensemble des terres wallonnes n’ont été françaises que pendant vingt années, exactement de 1794 à 1814. (…) Et cependant, dès le XIIIe siècle, c’est le français qui est adopté partout comme langue littéraire. (…) Sans aucune contrainte, de leur pleine volonté, les Wallons sont entrés dans l’orbite de Paris et, depuis sept siècles, avec une fidélité qui ne s’est jamais démentie, n’ont cessé de participer à la culture française. »
Toujours est-il que, pour le seconde fois, Paul Magnette ne donne pas suite à la proposition du PS français. Après avoir fait planer le suspense durant quelques jours, il a annoncé qu’il serait tête de liste aux prochaines législatives dans le Hainaut.
En attendant, les autorités wallonnes comptent sur la présence de l’ancien président français, François Hollande, ami personnel d’Elio Di Rupo, pour marquer le coup à l’occasion des 100 ans des Fêtes de Wallonie…
Le moins qu’on puisse dire est que la stratégie de Paul Magnette est déconcertante, pour ne pas dire inconséquente
Ainsi, il a accepté que son parti entre dans la coalition Vivaldi au départ d’un accord qui prévoit explicitement la préparation d’une nouvelle réforme de l’Etat en 2024.
Or, voilà qu’il estime aujourd’hui qu’« une septième réforme de l’Etat en 2024 n’est ni nécessaire ni souhaitable. Parce que la Wallonie a les compétences nécessaires pour travailler à son redressement, contrairement au passé. »
Sauf que l’on ne compte plus les plans de redressement wallons qui ont été lancés depuis vingt ans, sans que la Région parvienne à décoller… Sa situation budgétaire est tout bonnement catastrophique. Le fossé nord-sud est devenu abyssal. Une évolution qui a d’ailleurs amené la Flandre a remettre en cause le principe de solidarité financière.
Hormis le Brabant wallon, qui bénéficie de l’hinterland bruxellois, les provinces wallonnes stagnent pour ce qui est du PIB. Pour une moyenne européenne se situant à 100, la Hainaut est à 76, dix points en dessous du Nord-Pas-de-Calais, le pays dit des corons…
Et quand Paul Magnette entend dire que la Flandre pourrait larguer les amarres, il déclare : « La Wallonie et Bruxelles peuvent parfaitement être viables ensemble. »
Il faut être deux pour danser le tango. Or, une étude réalisée en 2013 par Rudi Janssens, chercheur à la VUB, indique que 73,9% des Bruxellois souhaitent l’autonomie en cas de disparition de la Belgique. Seuls 4,6% optent pour une association avec la Wallonie, et 4% avec la Flandre. Cela montre que les Bruxellois sont profondément attachés à leur spécificité.
Il y a aussi le fait que l’on est confronté à des espaces géographiques de taille et de morphologie totalement dissemblables. D’un côté, une Région-Capitale de 161,4 km2, de l’autre, une Région wallonne de 16.844 km2, trois fois plus peuplée.
Par ailleurs, Wallons et Bruxellois constituent des populations sociologiquement distantes, avec des sensibilités souvent différentes.
Enfin, élément majeur, l’absence d’unité territoriale, Bruxelles étant enclavée en territoire flamand, qui serait alors un territoire étranger. De quoi rallumer le feu en ex-Yougoslavie ! Car si Wallons et Bruxellois peuvent composer un Etat de la sorte, on ne voir pas pourquoi la Serbie ne ferait pas de même avec la Republika Srpska de Bosnie.
Par ailleurs, comment organiser les pouvoirs et fixer le poids respectif de Bruxelles et de la Wallonie au sein de ce nouvel Etat, qui ne constituerait en aucun cas une nation ? Opterait-on pour le principe de l’égalité (Bruxelles = Wallonie) ou celui de la proportionnalité (Wallonie > Bruxelles) ? Déjà, au sein de la Belgique actuelle, Wallons et Bruxellois sont dans l’incapacité de se constituer en entité unifiée.
Enfin, on voit mal aussi comment la Communauté internationale pourrait reconnaître une personnalité juridique identique à cette nouvelle Belgique qui, privée de la Flandre, offrirait un visage substantiellement différent de celui de l’Etat prédécesseur.
En droit international, l’Etat successeur est comme un nouveau-né, vierge de tout traité international. C’est le principe de la « tabula rasa ». Une adhésion de plein droit de la « Belgique résiduelle » aux traités qui liaient l’ancienne Belgique pourrait donc être juridiquement contestée. On a vu, par exemple, que la « petite Yougoslavie » ou « Yougoslavie continuée », composée de la Serbie et du Monténégro, a dû demander sa réadhésion à l’ONU dès septembre 1992.
Alors que Vincent Van Peteghem, le ministre fédéral des Finances (CD&V) vient d’annoncer que son parti travaillait à un plan de réforme de l’Etat avec d’autres formations politiques (« nous avons le même objectif que la N-VA »…), Paul Magnette entend, une fois de plus, jouer la carte du « demandeur de rien ». Sauf qu’une fois de plus, l’argent fait cruellement défaut, tant en Wallonie qu’à la Communauté française. Et les épisodes précédents nous ont révélé que, pour reprendre l’expression de Paul-Henry Gendebien, « la barricade francophone était en papier mâché » : « (…) dans la première moitié de 2001, en signant les accords du Lambermont, du Lombard, de la Saint-Polycarpe, les négociateurs francophones avaient marchandé des principes contre de l’argent. On n’entendit plus les matamores se proclamant non-demandeurs. » (dans « Belgique : le dernier quart d’heure ? », 2006)
Affaire à suivre, comme l’on dit…
- Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Editions Mols.