Il est intéressant de relire l’analyse de Louis Verbeke, président de la Vlerick Businee School, publiée par « De Tijd », le 2 avril 2013

La scission de la dette fédérale peut certainement créer de l’espace politique. Et le fait de  sortir du raisonnement binaire « c’est avec ou sans Bruxelles » peut vraiment faire avancer la discussion sur l’avenir de la Belgique. Un exercice de réflexion.

Par Louis Verbeke, président de la Vlerick Business School.

Le taux d’endettement élevé de la Belgique est largement dû au fait que la Wallonie (et, plus récemment, Bruxelles) vit au-dessus de ses moyens, selon l’institut de recherche de Louvain Vives. La croissance de la dette nationale de 80 à 100 % du produit intérieur brut (PIB) a été autorisée aux trois quarts par des gouvernements violets. Un quart de la hausse est dû au sauvetage de Dexia et Ethias, les deux « banques politiques ».

Vives déclare que toute augmentation de la dette via les intérêts et via les remboursements est presque exclusivement payée par la Flandre, car c’est la seule partie du pays qui a un solde positif avant prélèvement des intérêts.

En cas d’augmentation de la dette et des dépenses de l’Etat, la Wallonie recevra relativement plus du pot que la Flandre et plus qu’elle n’y contribuera, et seule la Flandre devra assumer les intérêts et le remboursement de la dette. La Wallonie et Bruxelles n’ont aucun intérêt à réduire la dette nationale. Une augmentation ne leur coûte rien et ils profitent, de manière disproportionnée, d’avantages accrus.

En cas de scission éventuelle de la dette (via la régionalisation ou, imaginez-vous,  via une scission du pays), le principe de la capacité de payer prévaudrait (selon Vives). La Wallonie ne pouvant supporter la part de la dette qu’elle a engendrée, la Flandre devra se tailler la part du lion, par exemple 70 %. Toute augmentation supplémentaire de la dette publique devrait alors être encore payée par la Flandre.

N’importe quoi plutôt qu’une augmentation de la dette publique, par conséquent.  Pas pour l’Europe ou les marchés, mais parce que la Flandre doit supporter deux fois les coûts.

Joint venture

Comment se peut-il que des partis flamands qui se sont eux-mêmes séparés et qui n’ont dû, depuis 20 ans,  gagner des voix qu’en Flandre aient accepté cela, outre que par  leurs divisions ou de leur incapacité?

La première raison est que la Belgique n’est pas une communauté, mais une joint venture. Le propre des joint ventures est qu’elles requièrent le consensus pour à peu près tout ce qui est important. La minorité obtient le même pouvoir que la majorité. Le jeu que joue la Wallonie est simple : même lorsqu’une une mesure est dans l’intérêt de l’ensemble, elle doit être achetée. Voilà longtemps qu’il n’y a plus d’intérêt de l’Etat.  Il n’y a que les intérêts des deux (ou trois, ou quatre) partenaires de la joint venture.

La deuxième raison est Bruxelles.  Par le refus historique de ce pays de reconnaître la langue de la majorité, Bruxelles est  « dégermanisée ». Pour « ne pas lâcher Bruxelles », la Flandre a obtenu la cogestion à Bruxelles (en français, on appellerait cela « une vue de l’esprit ») et a renoncé à sa majorité fédérale. Cette cogestion n’est, je le crains, pas tenable et nous continuerons à payer pour cette joint venture si la structure ne change pas de manière « copernicienne ».

Comment changer?

Je pense que la scission  la dette fédérale peut créer un espace politique et que le fait de rejeter l’analyse binaire – « avec ou sans Bruxelles » – peut faire avancer le débat.

Supposons que la Flandre assume 250 milliards de la dette (70%) – Wallonie et Bruxelles le reste – et veuille porter la part permanente à 120 milliards (60% du PIB flamand), en échange de la scission complète de la sécurité sociale et des impôts et de la fin de tous les transferts. La différence est de 130 milliards.

Supposons également que la part permanente de la dette publique flamande (les 120 milliards d’euros) continue d’être financée comme elle l’est aujourd’hui.

Supposons que tous les Flamands « doivent » souscrire (bien sûr selon leur richesse, et d’une manière que de plus qualifiés que moi doivent imaginer) à la dette de 130 milliards d’euros à un taux d’intérêt attractif (après impôt). Cela devient alors une dette entièrement intérieure et temporaire, une fraction de l’épargne flamande. Nous avons alors 16 milliards d’euros de plus à utiliser annuellement – c’est-à-dire les transferts libérés. La Flandre transfère 6 milliards via la sécurité sociale et d’autres mécanismes de solidarité et 10 milliards pour la dette nationale, nous révèle Vives.

Une partie de cet argent (que j’estime à 7 milliards d’euros) doit être utilisée pour payer les intérêts sur la dette totale. Supposons en outre que nous utilisions 3 milliards pour réduire les charges salariales, les taxes sur l’énergie et l’impôt sur les sociétés. Il nous restera alors 6 milliards sur les 16 pour rembourser ces 130 milliards, et les intérêts et le remboursement seront versés aux créanciers flamands.  S’ajoute encore à cela chaque année ce que nous aurons d’intérêts en moins à payer, plus les effets positifs d’une politique économique et budgétaire plus sensée. Le remboursement pourrait probablement se faire plus vite qu’en 20 ans.

L’effet le plus important de cette scission est que la Wallonie et Bruxelles devront agir selon leurs moyens et devenir responsables des intérêts et du remboursement de « leur » dette publique de 110 milliards. Le « moral hazard » – dépenser plus n’est pas grave parce que d’autres remboursent – disparaît alors. Les salaires et les dépenses publiques doivent être alignés sur les prestations économiques. Dans le Financial Times, vous pouvez lire un raisonnement similaire concernant l’Europe (« Dutch moralist sends stern message », 26 mars, p.2).

Bruxelles

Pour un petit moment j’ai en effet  inclus Bruxelles avec la Wallonie, en partant de l’hypothèse que l’actuelle cogestion de Bruxelles n’est pas tenable à terme. Et il est sûr et certain qu’un WalloBrux ne se mettra pas en place non plus. Sa cogestion oblige la Flandre à une « solidarité » qui rend superflue une meilleure gouvernance. Voyez ce que les derniers transferts vers Bruxelles ont apporté en termes d’amélioration administrative. C’est aussi une excuse pour ne pas devenir plus efficace.

Nous ne pouvons pas priver les Bruxellois du meilleur enseignement dont ils bénéficient. Rien que pour cela Bruxelles devra donc avoir un statut particulier. Mais une sorte de tutelle par la Flandre et la Wallonie (comme Washington DC est mis sous tutelle fédérale aux Etats-Unis) ne me semble pas réaliste , et sans doute pas très démocratique non plus. Je pense plutôt à la cité du Vatican et à la Virginie.

Il est concevable que la Flandre reste « souveraine » » à Bruxelles pour son administration, son enseignement et ses institutions culturelles. Un peu comme la cité du Vatican. Et l’Etat américain de Virginie n’a pas cédé un seul lopin de terre à Washington, une ville de 600 000 habitants dans une agglomération de près de 6 millions d’habitants. Avec le Maryland, la Virginie bénéficie des effets économiques bénéfiques de Washington DC. Le maintien des frontières actuelles de Bruxelles et un « Vatican flamand » pourraient donc suffire.

Qu’en est-il de l’impôt (des personnes) pour ceux qui travaillent à Bruxelles et résident en Flandre (ou en Wallonie) ? La taxe continue à revenir à la région où l’on habite. La raison est simple. Bruxelles ne paie pas les bureaux, l’éducation, les soins de santé, les fonctionnaires et les infrastructures de ceux qui vivent en Flandre et travaillent à Bruxelles. Bruxelles ne paie que le tram et le métro et les routes à Bruxelles même. Et Bruxelles taxe les bureaux et est spécifiquement rémunérée pour sa fonction de capitale. Il en va de même entre Washington DC et la Virginie.

Je ne me fais aucune illusion sur la faisabilité politique de cette opinion. Je sais seulement que l’actuel ’écart fédéral est insupportable et que les coûts seront finalement supportés par les contribuables flamands. De plus en plus. Et que, si rien ne change, nous ne pourrons pas résoudre le problème, malgré la pression de l’UE et du FMI. Nous n’y arriverons pas non plus avec des analyses binaires sur Bruxelles. Je n’ose pas non plus penser à ce qui se passera lorsque cette pression internationale disparaîtra.