Jules Gheude

En mai 2022, l’Open VLD, le parti du Premier ministre Alexander De Croo, a déposé une proposition de loi visant à instaurer un arrondissement électoral fédéral qui permettrait de désigner 20 des 150 députés à la Chambre.

L’initiative suscita de Georges-Louis Bouchez, le président du MR, le tweet suivant : « Les libéraux travaillent à une Belgique plus forte, plus efficace. Arrêter la division et mettre en place les réformes libérales dont notre pays a besoin ».

L’homme, a la fibre belgicaine clairement affirmée, est donc prêt à soutenir toute mesure pouvant contribuer, à ses yeux, à consolider le réflexe belge.

Il fut question de cette circonscription électorale fédérale lors du débat que Georges-Louis Bouchez a eu récemment avec Théo Francken, député N-VA.

Tous deux seraient prêts à adopter la formule, qui ne devrait toutefois pas être assortie d’un système de protection spéciale pour les francophones.

Observons d’emblée que ce mécanisme de circonscription électorale « unitaire » n’est appliqué dans aucun Etat fédéral.

Il est un autre Flamand qui plaide également ardemment en faveur de cette innovation, c’est le professeur-philosophe Philippe Van Parijs, cofondateur du groupe Pavia et, plus  récemment, de Rethinking Belgium (ReBel). Et l’interview qu’il a accordée récemment à Doorbraak, est particulièrement éclairante quant à ses réelles motivations.

Pour Philippe Van Parijs, la circonscription électorale fédérale ne devrait concerner que 15 députés. Et d’expliquer : « Avant, j’étais favorable aux quotas. Je trouve à présent que cela n’est plus très important. Laissons les gens voter de manière naturelle pour les candidats fédéraux de leur choix. Les francophones voteront sans doute en plus grand nombre pour des néerlandophones que l’inverse, car les néerlandophones parlent en effet mieux le français que les francophones ne parlent le néerlandais. De cette manière, la circonscription électorale fédérale sera une correction démocratique de la surreprésentation du nombre de sièges parlementaires francophones en Belgique. »

Et pour que les choses soient bien claires, Philippe Van Parijs ajoute : « Je ne suis pas un nationaliste belge comme Bouchez. Pour moi, l’idée d’un sentiment belge n’est pas importante en soi. Le dialogue pour pouvoir encore gérer ensemble, voilà ce qui est important pour moi. »

Quant à ce « gérer ensemble », il se limite à la portion congrue : « Il reste un socle fiscal fédéral pour les besoins de base qui sont identiques dans l’ensemble de la Belgique : une base de sécurité sociale, la sûreté et la politique étrangère. »

Tout le reste, on l’aura compris, relève de la compétence des entités fédérées. Et Philippe Van Paris de bien insister sur le principe de la rersponsabilisation financière : « Une entité fédérée qui ne s’attaqu à la mauvaise gestion financière et qui ne prend pas l’économie au sérieux, aura peu de choses à offrir à ses citoyens. »

Une telle vision est celle d’un nationaliste flamand et elle ne me surprend pas. En 2011, lors d’un débat organisé à l’Université de Liège par le Cercle Condorcet sur le thème « L’après-Belgique », j’avais demandé à Philippe Van Parijs de répondre par oui ou non à la question « La Flandre est-elle pour vous une nation ? ». Et sa réponse fut « oui ».

L’article de Doorbraak révèle d’ailleurs, dans son introduction, que Philippe Van Parijs a fortement été influencé par son grand-père maternel « vlaasmvoelend » (lamingant) e qu’ « il a toujours défendu les revendications linguistiques des Flamands. C’est pourquoi, dans le bureau de M. Van Parijs, vous trouverez une grande affiche électorale de la diaspora congolaise à Bruxelles, sur laquelle on peut lire : ‘Votez flamand’, avec, en dessous, les candidats congolais sur les listes flamandes à Bruxelles. »

En fait, c’est Bruxelles qui préoccupe Philippe Van Parijs. Et sa préférence pour le fédéralisme (à quatre entités fédérées) plutôt que pour le confédéralisme n’est qu’une simple affaire tactique, une question de vocabulaire : habiller « en belge » le renforcement du vote majoritaire flamand, nécessaire au contrôle étroit de Bruxelles par la Flandre.

En effet, une telle circonscription fédérale sera surtout utile vis-à-vis du corps électoral bruxellois pour le disperser.

Car, faute de partis politiques « belges », on voit mal les Flamands voter en nombre pour des candidats fédéraux de partis francophones et les Wallons voter en nombre pour des candidats fédéraux de partis flamands. Mais on voit bien les Bruxellois voter en nombre appréciable pour des candidats fédéraux de partis flamands, au départ de promesses alléchantes sur le plan financier…

Au final, il y aurait, grâce à cette circonscription électorale fédérale, un peu plus de députés « centraux » flamands, élus par Bruxelles.

Pour Van Parijs, l’enjeu bruxellois est capital. S’il promeut l’usage de l’anglais à Bruxelles, c’est pour y affaiblir le français. S’il souhaite instaurer la circonscription électorale fédérale, c’est pour diviser le camp francophone et séparer Bruxelles de la Wallonie.