Jules Gheude, essayiste politique

En 1937, le gouvernement belge rompt l’accord militaire avec la France malgré la menace que représente l’Allemagne hitlérienne. Afin de protester contre cette décision, le collège échevinal de Liège, sous l’impulsion de Georges Truffaut, décide de célébrer, tous les 14 juillet, la Fête nationale française. La tradition s’est maintenue et l’événement suscite toujours l’engouement populaire.

L’affection de Liège pour la France ne date pas d’hier. Comme tint à le rappeler le président Jacques Chirac, le 3 juin 1996, lors d’une visite d’une délégation liégeoise à l’Elysée : « Je voudrais surtout vous dire que Liège occupe une place entière dans le cœur des Français. Ces liens ont été tissés par l’Histoire. Dans toutes les épreuves, vous avez été à nos côtés. (…) J’irai plus loin ; c’est une région qui fait honneur à la culture française. (…) C’est dire l’estime, l’affection, l’amitié que nous éprouvons pour vous. Aujourd’hui, ce ne sont pas des visiteurs étrangers qui sont présents à l’Elysée mais des compagnons, des frères. »

Le 14 juillet 1789, la Révolution française éclate et elle rencontre d’emblée un écho dans la Principauté de Liège. Jean-Nicolas Bassenge publie une « Note aux Citoyens » qui amène, le 18 août, le peuple, arborant la cocarde aux couleurs liégeoises rouge et jaune, à envahir l’Hôtel de Ville. Sur la Place du Marché, on élit à haute voix les nouveaux bourgmestres patriotes, Jacques-Joseph Fabry et Jean-Remy de Chestret.

Dans son livre « France-Wallonie – L’impossible mariage ? Etude sur le rattachement et le séparatisme (Editions Luc Gilson, 1997), Guy Denis décrit l’évènement :

« A la lueur des chandelles, cerné par une barricade de piques, Constantin-François de Hoensbroeck, Prince-Evêque, baisse sa tête chevaline avant de ratifier les décisions prises par les nouveaux chefs de la cité, tandis que le peuple d’Outre-Meuse ouvre les prisons, s’empare sans résistance de la Citadelle. Le Régiment national, fort de 600 hommes, seule armée de l’Etat, rend les armes. Dare-dare, les bourgeois organisent des milices privées pour protéger leurs biens de l’émeute. La nuit venue, danses et musiques saluent cette journée mémorable, le sang n’a pas coulé. (…) Les Trois Etats de la Principauté ecclésiastique indépendante de Liège (…) ne représentent pas le peuple des paysans et des ouvriers des manufactures en plein essor, où l’on tisse la laine, forge l’acier ; extrait le charbon… Le terreau de la Révolution. Liégeois, vous êtes un peuple libre ; un peuple est libre quand il n’obéit qu’aux lois qu’il se donne lui-même, harangue Bassenge. »

Aujourd’hui, la passerelle qui relie à Liège le quartier des Guillemins et le parc de la Boverie porte le nom de « La Belle Liégeoise » en hommage à Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt. A l’époque de la Révolution française, celle-ci tint à Paris un salon et créa un cercle de propagande révolutionnaire. Surnommée « la muse politique », elle se fit également connaître pour son combat en faveur de l’émancipation des femmes.

A l’automne 1795, le citoyen Bassenge proclama officiellement la réunion à la France de la Principauté de Liège.

Dans son livre « La vie quotidienne en Belgique sous le régime français 1792-1815 » (Hachette, 1966), Jean Cathelin écrit : « Ce précurseur (Bassenge) des politiciens professionnels modernes sera parlementaire sous tous les régimes de 1795 à 1814. (…) Il devait être l’artisan essentiel de la fidélité de Liège à la France de Bonaparte et de l’Empire. »

Au niveau historique, il y eut également ce fameux Congrès national wallon qui se tint à Liège, les 20 et 21 octobre 1945.

L’idée d’un vaste rassemblement des forces vives de Wallonie avait germé, dès le début de la guerre, dans les esprits des responsables de « Wallonie Libre ». Ceux-ci, excédés par l’attitude bienveillante du Mouvement flamand envers l’occupant et par la discrimination dont souffraient les prisonniers de guerre wallons, étaient bien décidés à ébranler l’unitarisme belge sitôt la liberté retrouvée.

Rien ne fut négligé pour faire de ce Congrès national wallon une réussite totale. Jamais encore une assemblée n’avait été aussi représentative de l’opinion wallonne. Le secrétariat général en avait été confié à l’avocat liégeois Fernand Schreurs.

Lors du premier vote, dit du cœur, l’option du rattachement de la Wallonie à la France, recueillit 486 voix, soit la majorité relative. Quant au second vote, dit de la raison, il rallia l’unanimité, moins 12 voix, en faveur de la thèse fédéraliste, défendue notamment par les Liégeois Fernand Dehousse et Jean Rey.

L’événement fit grand bruit à l’étranger, notamment en France. On apprit ainsi, de source sûre, que le chef de la France libre avait formé le dessein de s’enquérir ouvertement de la situation wallonne, mais qu’il en avait été dissuadé par son ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault, au nom de la sacro-sainte politique de non-ingérence du Quai d’Orsay. On imagine, en effet, quel aurait pu être l’impact d’un « Vive la Wallonie libre ! », lancé par le général de Gaulle du haut du balcon de l’Hôtel de Ville de Liège…

Lors de la Question royale, le 26 juillet 1950, Joseph Merlot, le président du Congrès wallon, annonça que si le Roi ne se retirait pas, des Etats généraux de Wallonie seraient convoqués à l’Hôtel de Ville de Liège, avec l’accord du bourgmestre Paul Gruselin. Il fut même question, dans les heures qui suivirent le drame de Grâce-Berleur (la gendarmerie avait ouvert le feu sur les manifestants, faisant quatre morts), de mettre sur pied un gouvernement provisoire wallon, que la France était disposée à soutenir. Jules-Daniel Lamazière, consul général de France à Liège et ministre plénipotentiaire, assista, en effet, le 29 juillet 1950, à une importante réunion au cours de laquelle il promit le soutien de deux régiments français, qui devaient se trouver non loin de la frontière, dans la région de Charleville. Selon Fernand Schreurs, le consul agissait sur ordre de l’ambassadeur de France, Jean de Hautecloque, dont les instructions venaient directement de Paris.

Jacques Chirac avait souligné que Liège « faisait honneur à la culture française ». Comment ne pas rappeler ici le rôle important joué par le compositeur liégeois André Modeste Grétry, chaleureusement recommandé par Voltaire à Paris. Jean Cathelin explique : « Grétry est tellement le maître de l’époque qu’on lui attribue toujours, pour le meilleurs ou pour le pire, les airs célèbres du temps. » Et d’ajouter : « Les instrumentistes liégeois accourent pour se faire reconnaître par Paris, avant de rentrer plus tard en vedette au théâtre de la Monnaie à Bruxelles ou à l’Opéra de Liège. »

Dans le domaine des beaux-arts, les exemples d’échanges Paris-Liège ne manquent pas non plus. Entré dans l’atelier du sculpteur Houdon en 1800, François-Joseph Rutxhiel fera toute sa carrière à Paris. Jean Cathelin commente : « Aux Invalides et à la colonne Vendôme, son ciseau a été capital, comme au Père-Lachaise, tandis que celui d’Ambroise Théline a laissé sa marque sur l’arc de triomphe de l’Etoile comme sur le château de Compiègne. »

C’est également à Paris que, plus tard, le compositeur/organiste César Franck connaîtra la renommée. Et lorsque Georges Simenon quittera Liège l’âge de 17 ans, ce sera aussi pour rejoindre la capitale française.

En guise de conclusion, ces quatre vers extraits d’une chanson patriotique en l’honneur des Parisiens et des peuples de France et de Liège (auteur anonyme) :

De Paris, suivons le modèle.

Allons, amis, tous nous armer,

Puisque les choses se renouvellent,

Et ne nous laissons plus duper.