« Le Soir », Bernard Demonty, 22 juillet 2023

Alexander De Croo publie un texte inédit dans plusieurs journaux ce samedi matin. Après des mois de conflits dans sa majorité, il promet « une politique meilleure » Une prise de distance après les échecs de sa majorité et la montée concomitante des extrêmes. 

L’initiative du Premier ministre ne peut être totalement détachée de la campagne qui commence.

C’est un peu le discours du roi d’Alexander De Croo que publient ce samedi matin plusieurs quotidiens. D’ordinaire, le Premier ministre s’exprime dans les médias pour présenter l’accord du 21 juillet, une façon traditionnelle, en Belgique, de saluer le citoyen une fois le travail accompli. L’an dernier, c’était la réforme des pensions. L’année d’avant le bilan de la gestion du covid et des inondations. Cette année, la tâche s’avérait plus ardue, puisqu’en fait de travail accompli, le fédéral s’est embourbé dans la réforme fiscale au point d’annoncer son abandon pur et simple, en rase campagne, au début de cette semaine. Dans un climat, hélas tout aussi traditionnel, d’invectives sur les réseaux sociaux.

Il n’y avait donc rien à annoncer le 21 juillet. Il restait au Premier ministre à confier une forme d’amertume. Et plutôt que de se risquer à affronter une presse particulièrement à cran, Alexander De Croo a décidé de prendre tout le monde à contre-pied en publiant une tribune inattendue, puisqu’il y critique lui-même les « chamailleries », ce sont ses mots, dans la coalition et alentour. « Chères Belges, chers Belges, ces derniers jours, vous avez probablement ouvert de grands yeux en observant l’arène politique. Chaque jour, la presse relate les nouvelles chamailleries entre responsables politiques qui préfèrent la confrontation à la coopération. (…) Les attaques personnelles prennent trop souvent le pas sur les arguments. Le clash l’emporte sur le dialogue. La classe politique est parfois tellement préoccupée par elle-même qu’elle en oublie les gens et les causes qu’elle doit servir. Je ne jette la pierre à personne. Cela nous arrive à tous de temps en temps. J’ai moi-même commis des erreurs et je le regrette, mais je ne suis pas pour autant résigné. »

Et le Premier ministre de s’abstenir de promesses, « trop ont été lancées en l’air » mais de s’engager à travailler sans relâche « pour une politique meilleure. »

Il s’agit là d’une forme de testament « soft » pour le Premier ministre. Dans un an, si sa coalition tient jusque-là, les citoyens iront voter et son bilan, pas nul (gestion du covid, de la crise énergétique, pensions, nucléaire) sera loin des attentes qu’il avait lui-même suscitées en annonçant il y a trois ans que « le talent fait gagner des matchs mais le travail d’équipe fait gagner des championnats », comme il le rappelle dans sa tribune. Fait inhabituel pour un Premier ministre et pour Alexander De Croo en particulier, sa lettre ne contient aucune référence à son bilan. Non, il se pose en leader déçu de lui-même, et du monde politique dont il fait partie.

Façon « underdog », le voici quasi-victime d’un système. Il faut très certainement voir dans son initiative la part de sincérité d’un homme qui a souvent confié son irritation à ses proches ou à des journalistes et qui hésitait depuis longtemps à s’épancher. On ne pourra, du reste, dire de bonne foi qu’Alexander De Croo a alimenté le climat politique de confrontation, dans lequel il ne s’est quasiment jamais sali. Mais il faut aussi lire dans son ras-le-bol voilé une incapacité à jouer son rôle de leader, face à des présidents de partis nettement plus gros que le sien.

Plus politiquement, il faudrait être naïf pour détacher totalement son initiative de la campagne qui commence. Son parti va capitaliser, c’est clair, sur ce garant malchanceux d’une stabilité mise à l’épreuve essentiellement par d’autres. La tribune a d’ailleurs, nous revient-il, été financée par son parti, celui sur lequel il a, dit-on, la haute main.

Avant le vote, il reste à voir de quoi sera encore capable « sa » Vivaldi. Cette coalition dirigée par un Premier ministre qui avoue désormais une forme d’impuissance et ne peut que constater que son enfermement dans une bulle politicienne dont il rêve de sortir. Entre espoir et défaitisme, De Croo le flegmatique s’accroche. Mais y croit-il encore ?