Jules Gheude

(La version néerlandaise de ce texte a été publiée sur le site de « Doorbraak », le 4 août 2023 : https://doorbraak.be/wordt-elisabeth-ooit-koningin/).

Alors que l’on ne cesse de parler d’égalité des chances, comment ne pas déplorer le sort de ces enfants qui, dès leur naissance, sont calibrés pour monter un jour sur un trône, et ce quelles que leurs personnalité, aptitudes et aspirations profondes.

Certes, être né le cul dans le beurre et assuré de ne jamais manquer de rien, présente bien des avantages. Mais il n’en demeure pas moins choquant de voir un garçon ou une fille dont le destin est, somme toute, tracé à l’avance. Car le fait de porter une couronne ne va pas automatiquement de pair avec l’épanouissement personnel et le bonheur.

On commémore en ce moment les trente ans de la disparition du roi Baudouin, un roi auquel on applique communément  le qualificatif « triste ».

Sans doute faut-il voir là le fait d’avoir perdu sa mère dans des circonstances tragiques et d’avoir dû succéder à un père qui, en raison de son attitude durant l’occupation, avait amené le pays au bord de la guerre civile.

Mais il y a aussi cette foi profonde qui l’habitait. On se souvient du discours du cardinal Daneels lors des obsèques : « Il y a des Rois qui sont plus que des Rois : ils sont les bergers de leur peuple. Ils ne font pas que régner, ils donnent leur propre vie (…). Oui, à l’exemple de David, le grand roi de la Bible, le roi Baudouin a été le berger de son peuple (…). Comme la Vierge Marie, il disait d’ailleurs toujours oui. » 

Sauf en avril 1990, lorsque Baudoin Ier invoqua un problème de conscience pour ne pas signer la loi de dépénalisation de l’avortement, pourtant votée par le Parlement.

Ce jour-là, il n’avait pas hésité à outrepasser sa fonction royale en ne s’affichant plus comme le roi « de tous les Belges », mais comme celui de la hiérarchie de l’Eglise. Un coup terrible pour l’Etat de droit ! Une entourloupe relevant du mensonge : se mettre en impossibilité de régner pendant 48 heures, alors que l’on est parfaitement apte à exercer ses prérogatives…

D’aucuns ne manquèrent pas de voir dans les propos du cardinal une allusion à une possible béatification.

Au fond, la vocation de Baudouin se trouvait davantage au sein d’une abbaye que d’un palais royal.

Ce qui est gênant et incompréhensible, c’est de voir, en 2023, certain(e)s s’adonner à une forme d’idolâtrie envers les têtes couronnées.

Dans l’ouvrage collectif « Question royales » (Ed. Labor, 1994), François Perin parle de la « mythification naïve du pouvoir du roi ». Il démontre l’illusion qui consiste à penser que « le secret qui entoure la fonction permet de situer, dans le huis clos du palais, une capacité importante d’influencer d’une façon décisive sur le destin du pays. »

En fait, comme l’explique François Perin, le roi n’a strictement rien à dire. Tout se décide au sein des états-majors des partis politiques.

Le rôle du roi se résume à de la représentation, soit pour marquer les performances de scientifiques, d’artistes, de sportifs ou d’entrepreneurs, soit pour témoigner de l’empathie envers les déshérités ou victimes de cataclysmes naturels. C’est, pour reprendre les termes d’Andrea Rea dans l’ouvrage susmentionné, la « compassion élevée au rang de compétence politique ».

Il est aisé de parler de « parcours sans faute », quand votre travail est mâché de a à z.

En attendant, garante de l’unité du Royaume, la monarchie n’a pas pu empêcher les coups de butoir du Mouvement flamand. Et celui-ci poursuit inexorablement son chemin vers l’indépendance.

Toutes deux séparatistes, la N-VA et le Vlaams Belang sont sur le point de décrocher demain la majorité absolue au Parlement flamand.

Alors qu’il était encore prince, Philippe avait déclaré à un journaliste flamand : « Dans notre pays, il y a des gens et des partis, comme le Vlaams Belang, qui veulent détruire la Belgique. Je peux vous assurer que je m’opposerai toujours à ceux-là. »

On mesure aujourd’hui la vacuité de tels propos.

Tout est fait, depuis des années, pour préparer la princesse Elisabeth à endosser son destin forcé. Mais au rythme où vont les choses, ces efforts pourraient bien se révéler vain.

En 1981, François Perin avait déclaré dans « La Meuse » : « Cela fait des années que je pressens ce qui va arriver. (…) Après d’éventuelles élections qui n’auront fait qu’exacerber le malaise dû à une crise financière et économique insoluble, le malheureux chef de l’Etat se mettra à courir après un gouvernement introuvable : le Belgique peut disparaître par implosion. Qu’est-ce qui empêcherait les Flamands de proclamer unilatéralement leur indépendance et d’affirmer leur nation ? Ils ont créé tous les instruments de leur future légitimité. »

Le pressentiment de François Perin pourrait fort bien devenir réalité au lendemain du 9 juin 2024. Mais les responsables francophones préfèrent se mettre la tête dans la sable en répétant, tel Elio Di Rupo, que « la Belgique est notre maison commune »…