« Marianne », 4 août 2023

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Dans une tribune, Jules Gheude, essayiste politique belge, militant du rattachisme, courant qui plaide pour l’intégration de la Wallonie belge à la France, explique comment cette région pourrait être rattachée à notre pays.

Souvenez-vous, Français, qu’en 2010-2011, la Belgique a connu sa plus longue crise politique : 541 jours sans gouvernement de plein exercice. Le contexte était d’une telle gravité que la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française a chargé deux de ses membres d’une mission d’information sur le sujet. Le rapport des intéressés fait clairement apparaître que la division du pays en deux groupes linguistiques de plus en plus cohérents et dissemblables rend sa survie de plus en plus improbable.

Depuis, le fossé entre la Flandre et la Wallonie n’a cessé de se creuser.

Le moteur fédéral est grippé par une Flandre qui ne se considère plus comme une entité fédérée. Elle se conçoit plutôt comme une nation n’entendant plus se montrer financièrement solidaire d’une Wallonie qui, en quarante ans de régionalisation, n’est pas parvenue à opérer son redressement.

Deux démocraties distinctes s’affrontent en permanence : le Nord, marqué à droite et à l’extrême-droite, n’a plus rien en commun avec le Sud, qui évolue à gauche et à l’extrême-gauche. Si, au lendemain des élections législatives et régionales du 9 juin 2024, le roi Philippe se met à courir après un gouvernement introuvable, rien ne pourra empêcher les deux formations indépendantistes flamandes (la N-VA et le Vlaams Belang) de constituer une majorité absolue au sein du Parlement flamand pour proclamer unilatéralement l’indépendance de la Flandre. Les sondages actuels confirment la faisabilité d’un tel scénario. L’absence de tout pouvoir central fort à Bruxelles ne permettrait pas d’empêcher le divorce belge (contrairement à Madrid lors de la proclamation d’indépendance de la Catalogne). Et l’Union européenne n’aurait d’autre choix que d’acter le fait.

La séparation de la Belgique ne pourrait se faire, comme ce fut le cas avec l’ex-Fédération yougoslave, que sur la base des frontières administratives internes qui délimitent les trois Régions officiellement reconnues par la Constitution : la Flandre, la Wallonie et Bruxelles. Bruxelles, qui fait figure de Jérusalem belge. Très majoritairement francophone, elle est enclavée en Flandre, qui la considère comme « historiquement » sienne et en a d’ailleurs fait « sa » capitale, en y établissant le siège de son gouvernement, de son parlement et de son administration.

La Flandre pourrait donc être tentée de prendre son indépendance en intégrant d’office Bruxelles. Mais un tel coup de force ne manquerait pas d’engendrer un contentieux qui ne pourrait être réglé qu’à l’échelon international.

D’aucuns considèrent qu’une Belgique résiduelle pourrait subsister au départ d’une fusion de la Wallonie et de Bruxelles. Mais il faut être deux pour danser le tango. Or, les enquêtes réalisées à ce sujet font clairement apparaître qu’une majorité des Bruxellois (de 68 à 73,9%) optent pour l’autonomie en cas de disparition de la Belgique.

Il y a aussi ceux qui ont foi en une Wallonie indépendante. Mais la situation financière de la Wallonie est à ce point dégradée (sa dette représente 257% de son PIB, contre 163% pour Bruxelles et 58% pour la Flandre) qu’elle obligerait la population à des sacrifices tels qu’il en résulterait un bain de sang social.

Le général de Gaulle avait bien anticipé tout cela. Au professeur Robert Liénard de l’Université de Louvain qui, dans les années 60, lui avait exposé la question wallonne, il avait répondu : « C’est votre drame d’appartenir à un État qui assistera impassible à votre déclin. (…) Si, un jour, une autorité politique représentative de la Wallonie s’adressait officiellement à la France, ce jour-là, de grand cœur, nous répondrions favorablement à une demande qui aurait toutes les apparences de la légitimité. Avant, c’est impossible. J’ai pourtant la conviction que seule leur prise en charge par un pays comme la France peut assurer l’avenir à vos trois à quatre millions de Wallons ».

Depuis lors, de nombreuses personnalités françaises se sont prononcées dans le même sens, de Jacques Myard à Nicolas Dupont-Aignan, en passant par François-Michel Gonnot, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Selon Jacques Attali, « le prix à payer pour la France serait sûrement plus faible que ce que cela lui rapporterait. » Réalisé en 2010, un sondage Ifop/France-Soir avait révélé que l’opinion française était disposée à accueillir la Wallonie (à 66% et même jusqu’à 75% dans les régions frontalières).

Voilà près de 15 ans que, par le biais du Gewif (Groupe d’Etude pour la Wallonie intégrée à la France), l’option réunioniste est approfondie, au départ du projet d’intégration-autonomie développé par Jacques Lenain, un ex-haut fonctionnaire français. La faisabilité de ce projet, qui permettrait à la Wallonie de conserver l’essentiel de ses prérogatives actuelles, a été confirmée par le constitutionnaliste français Didier Maus : « Il serait parfaitement plausible de créer dans la Constitution française un titre spécial « De la Wallonie », qui contiendrait une mini-constitution sur mesure pour cette région. Il en découle que, sur le fondement de cette mini-constitution, il serait parfaitement réalisable de conserver en l’état, du moins pour l’essentiel et pour une durée à déterminer, le droit belge du travail, celui de la sécurité sociale et certains droits connexes, des pans du droit fiscal, le droit des affaires, du commerce, etc. La Région wallonne, et aussi la Région bruxelloise, si la question était posée, conserveraient les compétences qui sont aujourd’hui les leurs, y compris le système éducatif, avec l’enseignement supérieur. Ce ne serait pas une difficulté de faire de la sorte puisqu’il en est déjà ainsi, même si c’est avec moins d’ampleur, dans certains territoires français. »

Intégrée à la France, la Wallonie resterait de facto au sein de l’Union européenne. Et ce serait la France qui, au nom de la Wallonie, entamerait avec la Flandre les discussions sur le partage de la dette publique belge. A cet égard, feu Jules Gazon, professeur émérite d’Economie à l’Université de Liège, avait déclaré : « Le PIB de la France ‘augmentée’ de la Wallonie serait égal à 24 fois le PIB wallon. L’amplitude des effets en termes de déficit public et de dette publique par rapport au PIB serait divisée par 24. Elle serait marginale. »

Le jour où les autorités françaises et wallonnes se seront mises d’accord sur un tel projet d’intégration-autonomie, celui-ci devra évidemment faire l’objet d’un double référendum, tant en France qu’en Wallonie. Rien ne sera donc imposé.

Au cours de son histoire, la Wallonie ne fut française que durant vingt ans, de 1794 à 1814. Mais, comme l’a justement rappelé feu l’historien namurois Félix Rousseau : « Sans aucune contrainte, de leur pleine volonté, les Wallons sont entrés dans l’orbite de Paris et, depuis sept siècles, avec une fidélité qui ne s’est jamais démentie, n’ont cessé de participer à la culture française. »

Une intégration de la Wallonie à la France s’inscrirait donc dans la logique des choses. Que s’ouvre le débat !