Joëlle Meskens, « Le Soir », 28 septembre 2023

Le président, en visite sur l’île, veut inscrire ses spécificités dans la Constitution. Un moment historique, veut-il croire. C’est la conséquence d’un cycle de discussions entamé après les émeutes qui avaient suivi la mort d’Yvan Colonna.
Un moment historique, dixit Emmanuel Macron. Et surtout, un discours présidentiel applaudi par les élus (à majorité nationaliste) dans l’Assemblée de Corse. Il fallait se frotter les yeux pour y croire. Le chef de l’Etat, en déplacement sur l’île de Beauté pour y célébrer le 80e anniversaire de la libération, a voulu ouvrir jeudi une nouvelle page des relations chaotiques entre Paris et Ajaccio. « Ayons l’audace de bâtir l’autonomie de la Corse dans la République. Non pas une autonomie contre l’Etat ou sans l’Etat », a déclaré le locataire de l’Elysée. Il a exprimé son souhait d’inscrire non pas le peuple, mais du moins la spécificité de la Corse dans la Constitution. En louant « l’esprit de responsabilité » des élus insulaires, il a indiqué que le « statu quo » n’était plus possible, qu’il fallait sortir de « l’incompréhension qui crée la défiance et le ressentiment ». Une sérieuse évolution, alors qu’Emmanuel Macron a longtemps été moins enclin à l’idée d’ouvrir cette brèche…
Pas gagné
Dans les six mois, le gouvernement et les élus corses devront s’entendre sur les termes précis à inscrire dans la Constitution. Avant de tenter de décrocher une majorité des deux tiers au Parlement, condition indispensable pour modifier le texte de la loi fondamentale (à moins d’un référendum national, ce qui n’est pas du tout l’hypothèse privilégiée). Avec une absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale et un Sénat où la droite, hostile à l’autonomie, vient encore de conforter ses positions, ce n’est pas gagné. Mais la gauche, plutôt favorable à l’autonomie, pourrait offrir ses voix en renfort.
Emmanuel Macron n’a pas donné satisfaction à toutes les revendications des élus corses. Pas question de créer un « statut de résident » pour les habitants insulaires, alors que les Corses, étranglés par la flambée de l’immobilier, réclament par exemple une priorité aux insulaires pour le logement. Pas question non plus de faire de la langue corse une langue co-officielle du pays, même si son enseignement sera favorisé. Le président n’en a pas moins promis aux Corses d’adapter les lois de la République aux spécificités locales, une fois que la délégation de compétences sera clairement définie. C’est inédit, hormis pour les territoires bien plus lointain de l’outre-mer. Une promesse qui a d’ailleurs aussitôt réveillé les ardeurs des autonomistes… bretons.
Une nouvelle donne
C’est la mort d’Yvan Colonna, et les violences qui s’en étaient suivies dans l’île, qui a créé une nouvelle donne. Lorsque l’assassin du préfet Erignac (abattu en pleine rue par un commando à Ajaccio en 1998) avait été tué en mars 2022 à la prison d’Arles par un codétenu islamiste profitant d’une absence de vigilance des gardiens, la colère avait grondé en Corse. En pleine campagne présidentielle, le gouvernement craignait l’embrasement. Le ministre de l’Intérieur (déjà Gérald Darmanin, à l’époque) avait calmé les esprits en promettant alors de lever le tabou de l’autonomie. Allait-il aller jusqu’au bout ? Ou n’était-ce qu’un coup de bluff ? Beaucoup doutaient. Mais c’était alors l’ouverture d’un cycle de discussions avec Gilles Simeoni, le président (autonomiste) de l’exécutif corse, largement réélu aux dernières élections territoriales un an plus tôt et débarrassé de celui qui était jusqu’alors un encombrant allié, l’indépendantiste Jean-Guy Talamoni. Ancien avocat d’Yvan Colonna, fils d’Edmond Simeoni, figure historique du nationalisme corse, le chef de l’exécutif corse avait invité le matin même le président Macron à « marquer l’histoire ».