David Coppi et Stéphane Vande Velde – « Le Soir », 28 septembre 2023

Les présidents du PS, MR et Ecolo ont négocié en secret ces derniers mois. Ils tiennent une feuille de route sur la refonte de la Fédération Wallonie-Bruxelles : réduction du nombre de ministres et transfert de compétences aux Régions. L’idée : introduire sous peu une « résolution » avec tout cela au parlement francophone. 

Ils ne s’aiment pas, ne se parlent pas, on en était là dans les relations entre, d’une part, Georges-Louis Bouchez et, en face, Paul Magnette et Jean-Marc Nollet. Pas l’amour fou, pas de contact, a fortiori pas de quoi montrer un front uni francophone avant les possibles négociations fédérales nord-sud en 2024. Pourtant, en coulisses… ça bossait. A l’invitation du socialiste, quelques contacts entre les trois. Puis avec les sherpas respectifs : Axel Miller pour le MR, Laetitia De Mauri ou Amaury Caprasse pour le PS, Mohssin El Ghabri pour Ecolo. Tout cela entre juillet 2022 et avril 2023. Au menu : la refonte des institutions francophones. Lourde tâche s’il en est, à chaque fois repoussée. Et, oh ! surprise … voilà que les trois francophones arrivent à un compromis. Il y a encore des points de friction, mais bien moins nombreux que les convergences. L’objectif : plus d’efficacité et de lisibilité, des économies de fonctionnement, un signal fort envoyé aux partis flamands.

On conserve la Communauté française mais on l’épure

Les trois grands partis sont tombés d’accord sur deux principes : conserver la Communauté française, dites Fédération Wallonie-Bruxelles, et l’épurer. Elle serait recentrée sur quatre compétences : l’enseignement, la culture, l’audiovisuel, la recherche. Les autres compétences (aide à la jeunesse, maisons de justice, la petite enfance, fonction publique, égalité des chances, santé, formation) repartiraient vers les Régions, wallonne et bruxelloise. C’est feu vert au PS et chez Ecolo. Le MR est partant, Georges-Louis Bouchez adhère, mais les libéraux veulent en discuter encore point par point, le but étant de confectionner « des paquets de compétences les plus homogènes ». Reste l’épineuse question du sport. La feuille de route des trois présidents cède la compétence aux Régions, le MR pousse pour le maintien à la Fédération, avec l’argument des fédérations sportives.

Moins de ministres, double casquette

Pour faire des économies, gagner en efficacité, répondre à l’appel citoyen – il y a trop de ministres ! –, les trois partis s’entendent, la réforme aboutira à une diminution du nombre de ministres. Comment y arriver, étant donné que l’on conserve la Communauté française ? Par plusieurs retouches. Les trois partis imaginent un gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles composé de ministres à double casquette, à savoir des ministres émanant des Régions, qui auraient donc des compétences dans les gouvernements bruxellois et wallon, et qui y ajouteraient une ou plusieurs compétences communautaires. Demeurerait : un ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles à part entière. Le schéma des présidents prévoit que celui-ci gérerait également une grande compétence (certains parlent de l’enseignement, mais ce point doit être affiné).

Outre la réduction du nombre de ministres, l’idée de réduire le nombre de parlementaires de la Fédération, de 94 à 60, est également sur la table, à l’état de discussion. Comme la possibilité de mettre en commun les services de fonctionnement des parlements : greffe, informatique, communication…

Avec cette réduction des prérogatives de la Fédération, s’est posée la question du calendrier parlementaire. Actuellement, les élus francophones se retrouvent une semaine dans les parlements régionaux (wallon, bruxellois), une autre au parlement de la Communauté française, alternativement. Certains imaginent désormais le calendrier suivant : trois semaines sur quatre côté Régions, une semaine en Fédération. D’autres veulent maintenir deux séances plénières (pour que le parlement de la Fédération puisse remplir sa mission de contrôle de l’exécutif), ces séances pourraient avoir lieu dans les enceintes des parlements régionaux (tout comme les commissions), ce qui, là encore, réduirait les coûts.

On notera que le MR plaide pour des majorités miroirs (à savoir les mêmes partis en coalition) à la Région wallonne et à la Région bruxelloise, ce qui faciliterait la constitution du gouvernement de la Fédération et les « doubles casquettes », mais rouges et verts jugent que c’est difficilement envisageable, chaque Région négociant ses majorités de son côté.

Passer par la Région bruxelloise

Restent des écueils. Et la Région bruxelloise en est un gros. Car si les présidents de parti (trois Wallons !) sont d’accord pour régionaliser une série de compétences communautaires, où donc atterriront-elles ? A la Cocof, la Commission communautaire française, ou au gouvernement régional bruxellois en tant que tel ? Le plan A dans le schéma des présidents, c’est la Région. Souci : il faut alors un accord avec les néerlandophones. C’est loin d’être gagné. Il faudrait que la Flandre accepte de transférer elle-même des compétences (équivalentes à celles transférées côté francophone) à la Région bruxelloise, ce qui renforcerait celle-ci du même coup… Quoi qu’il en soit, on ouvrirait une négociation nord-sud.

Trop court pour cette législature, on fera une résolution

Le timing idéal, c’était d’aboutir à un décret lors de cette législature. Du moins était-ce l’intention au début des discussions entre les trois présidents. Le dossier a tiré en longueur. Désormais, on parle d’une feuille de route pour la prochaine législature, même si certains croient toujours en la possibilité d’aboutir avant les prochaines élections. Il s’agit de finaliser l’accord, le transférer aux chefs de groupe du parlement de la Fédération, et de lancer le débat public autour d’une « résolution ». Celle-ci engagerait les partis au moins sur le principe afin de tout mettre en œuvre sous la prochaine législature.

Quelques questions…

Cet accord trouvé entre Paul Magnette, Georges-Louis Bouchez et Jean-Marc Nollet pose quelques interrogations.

Est-ce que cette réforme va coûter plus cher ?

Ceci n’est pas le but. Que du contraire puisque cette réforme a un objectif budgétaire (réduire le déficit de la Fédération Wallonie-Bruxelles). Elle doit donc réduire les coûts de fonctionnement (moins de ministres, moins de services parlementaires) !

Qui dit double casquette dit double salaire ?

Non. La double casquette a déjà été testée (sous Demotte entre 2009 et 2014). A l’époque, le ministre qui avait des compétences régionales et communautaires ne recevait qu’un salaire régional.

Pourquoi ne peut-on pas dupliquer le modèle flamand ?

Historiquement, les francophones n’ont jamais voulu casser le lien entre la Wallonie et Bruxelles, région habitée à très large majorité par des francophones. En conservant la Fédération Wallonie-Bruxelles, on maintient ce lien culturel et stratégique face à la Flandre.

Pourquoi les trois présidents se lancent aujourd’hui

Pourquoi les présidents des trois plus grands partis francophones s’apprêtent-ils à conclure cet accord simplifiant les institutions au sud du pays ? Parce que la voie est libre, parce que les gens en redemandent, et parce que c’est bon pour la campagne.

Reprenons…

Parce que la voie est libre

Dans chacune des formations politiques. Ce n’était pas le cas il n’y a pas si longtemps lorsque les « courants » régionalistes et communautaristes s’affrontaient en interne et dans les médias, avec force projets teintés d’idéologie, une part de romantisme, et se neutralisaient à peu de chose près.

Pensez aux régionalistes wallons au PS, toute une histoire, autant de figures et la revendication clé de gérer son propre enseignement et sa culture, partant de supprimer la Communauté française. Les temps changent, les réformes institutionnelles se sont empilées, la Région wallonne, la bruxelloise derrière, ont acquis une autonomie relative, la plupart s’en satisfont. Tout le monde au PS s’est aligné sur les conclusions d’un « congrès wallon » organisé en catimini fin 2022 où Paul Magnette a tracé la nouvelle ligne : on est régionalistes, mais on est aussi communautaristes, pas touche au lien entre francophones. D’où aujourd’hui ce compromis qui renforce les Régions sans zapper la Communauté : dites plus que jamais Fédération Wallonie-Bruxelles.

La voie est libre côté libéral également, là aussi le parti s’est fait plus souple, plus fluide quand il s’agit du débat entre régionalistes et communautaristes, et de la confrontation avec la Flandre. Il est loin le temps de Jean Gol et sa « nation francophone », son projet d’unir les francophones à la France (demandez à Jules Gheude), qui avait laissé des traces longtemps dans les rapports de forces dans le parti. Le débat général régionalistes-communautaristes s’est éteint chez les bleus, ponctué ces dernières années par le passage de Pierre-Yves Jeholet, régionaliste wallon pur et dur jusque-là, à la ministre-présidence de la Communauté, enfin avec l’arrivée de Georges-Louis Bouchez à la Toison d’Or, « belgicain » avant tout, qui s’en est ouvert à plusieurs reprises dans des interviews. Conclusion : le MR reste traversé d’opinions différentes, mais l’affrontement entre francophonissimes (pensez par exemple à la période FDF, qui était associé au MR) et régionalistes a vécu, les verrous ont sauté, on avance.

Ecolo, même chose. Ici, à vrai dire, le débat institutionnel en général, le clivage Wallonie-Bruxelles, l’exaltation du régionalisme wallon – qui, en général aux yeux des verts, confinait, soutenaient-ils, au nationalisme –, tout cela n’a jamais été central réellement. L’ancrage régional a un sens chez Ecolo (c’est vrai depuis Jacky Morael jusqu’à Jean-Marc Nollet), mais la Communauté, l’enseignement et la culture « francophones », c’est un incontournable. Le projet de compromis sur la table est totalement vert compatible.

Parce que les gens en veulent

Ils en redemandent même. Toutes les enquêtes le montrent, les échanges sur les réseaux sociaux, les courriers des lecteurs, les dîners en ville, etc. Le discours dominant est celui-ci : il y a trop de gouvernements, trop d’élus, trop d’institutions, auxquelles, de surcroît, on n’y comprend plus rien… Les trois présidents francophones ne vivent pas sur mars, ils entendent, et cherchent l’adhésion populaire. Partant, le compromis du jour réduit le nombre de ministres, peut-être le nombre de parlementaires, il regroupe des compétences, simplifie, c’est dans l’air du temps, on y va.

Parce que c’est la campagne

On y va d’autant plus que la campagne est annoncée, avant la maxi-élection de juin 2024, fédérale, régionale, européenne, puis la communale et provinciale en octobre. Paul Magnette, Jean-Marc Nollet et Georges-Louis Bouchez ont tout à gagner en posant cet acte de concorde. C’est un geste fort qui détonne dans le climat de polémique et controverse où ils évoluent au moins depuis la formation du gouvernement Vivaldi, ça marque l’opinion, on dit bravo. Parmi les trois, Georges-Louis Bouchez peut espérer capitaliser en interne (s’il confirme), où l’on s’inquiétait de son splendide isolement.

En fait de campagne, les citoyens-électeurs francophones se réjouiront enfin de voir les trois présidents montrer qu’ils peuvent s’entendre à la veille d’une possible belle grosse explication communautaire nord-sud. C’est le premier signe depuis longtemps d’une pas impossible entente avant d’aller au feu, c’est déjà ça.