
Jules Gheude
Dieu faisait l’inventaire, par ordre alphabétique, des difficultés auxquelles était confrontée Sa Création
Il en était à la lettre B, à la Belgique.
« Ces Belges, décidément, me créent bien du souci, pensa-t-il. Impossible de les faire cohabiter de façon paisible. La configuration unitaire de leur petit Royaume n’a pas été concluante, pas plus que toutes ces réformes institutionnelles qui ont tenté de tenir compte de leurs particularismes. »
Dieu appela Saint-Pierre et lui demanda son avis.
« Je crains, dit le Saint, qu’il n’y ait plus rien à faire. Ces Flamands sont de bons catholiques, mais à leur façon : ils ont une conception particulière de l’amour du prochain. Pour l’exprimer autrement, ils sont lassés de faire sans cesse la charité à leurs frères Wallons. Il faut dire que ceux-ci auraient tendance à se complaire dans cet assistanat et que, à la moindre occasion, ils n’hésitent pas à déposer l’outil. En outre, ce sont de fieffés mécréants qui ne croient qu’au Grand Soir. »
Dieu, bien sûr, savait tout cela. Il réfléchit longuement, en passant les mains dans sa longue barbe blanche.
« Je vais leur donner une ultime chance de s’entendre, lâcha-t-il finalement. Voici le projet que je leur propose. Prenez, je vous prie. »
La Confédération belge est composée de quatre Etats : la Flandre, la Wallonie, Bruxelles-Capitale et Ostbelgien.
Un gouvernement central, composé de cinq membres, le Premier ministre compris, est chargé des compétences régaliennes suivantes : la Défense, les Affaires étrangères, les Finances et la Sûreté. Une parité linguistique est appliquée, le Premier ministre excepté.
La Wallonie, la Flandre et Ostbelgien disposent de toutes les autres compétences, sans distinction.
En ce qui concerne l’Etat Bruxelles-Capitale, il est compétent pour les matières liées au territoire. Pour ce qui concerne les matières personnalisables, chaque habitant doit opérer le choix entre le paquet wallon et le paquet flamand.
La Confédération est dotée d’une Chambre législative, composée de 120 membres.
Chaque Etat de la Confédération dispose d’un gouvernement et d’un Parlement composé de 50 membres.
Pour ce qui concerne l’Etat Bruxelles-Capitale, 10% de la composition du gouvernement et du Parlement sont réservés au rôle linguistique néerlandais.
Une Cour d’arbitrage est chargée de régler les contentieux pouvant survenir entre l’échelon central et les Etats ou entre les Etats eux-mêmes. Cette Cour comprend un président et huit juges (deux pour chaque Etat). La présidence est assurée à tour de rôle par chaque Etat, et ce pour une durée de deux ans. En cas de parité, la voix du président est prépondérante.
Le lendemain matin, à son réveil, Bart De Wever, le leader des nationalistes flamands, trouva un pli anonyme dans sa boîte aux lettres. Après en avoir pris connaissance, il s’écria : « Voilà qui est frappé au coin du bon sens ! C’est exactement ce que je propose ! ».
Les présidents des partis francophones reçurent le même message, mais ils s’empressèrent de le déchirer avec un « jamais ! » tonitruant.
« Que vous avais-je dit ? dit Saint-Pierre. Nous ne pouvons plus rien face à ce dialogue de sourds. »
Dieu fronça les sourcils et finit par afficher un léger sourire.
« Je connais bien les hommes, c’est moi qui les ai créés. Si ce Bart offre aux Wallons de quoi alléger leurs souffrances budgétaires, ils finiront par consentir. »
La Confédération belge vit ainsi le jour. Mais elle ne fut qu’un épisode éphémère. Très vite, en effet, l’Etat flamand considéra que le gouvernement central était superflu et que le temps était venu de rompre définitivement les amarres.
« Après tout, dit Dieu, ce n’est pas plus mal ainsi. Ces chamailleries communautaires étaient devenues lassantes. Chacun a finit pas trouver sa voie : la Flandre est un Etat prospère au sein de l’Europe, Bruxelles est satisfaite de son statut de Ville-Etat et les Wallons ont leur avenir assuré au sein de la République française via cette ingénieuse trouvaille qu’est l’intégration-autonomie. Quant à la petite communauté germanophone, elle se prononcera prochainement, par référendum, sur la voie qu’elle souhaite emprunter. Ce sont de gens raisonnables, qui ne manqueront pas de faire le bon choix. »
Quand Dieu aperçut la pile des dossiers qui l’attendait, il soupira profondément. Ceux relatifs à l’Ukraine, aux flux migratoires, aux abus sexuels au sein de son Eglise, au conflit israélo-palestinien étaient d’une tout autre complexité…