Jules Gheude, essayiste politique (1)

Les défenseurs de la démocratie pourfendent l’extrême droite au motif qu’elle représente un danger majeur pour cette démocratie. Si tel est le cas, pourquoi lui permet-on alors de participer aux élections ? La réponse est simple : parce que la démocratie ne peut se concevoir sans la liberté d’expression. Mais n’est-il pas irrationnel, dans ce cas, de ceindre ensuite les élus de cette extrême droite d’un cordon dit sanitaire ? De les tenir à l’écart, tels des pestiférés, de la gestion des affaires ? Surtout, s’ils ont très largement gagné les élections.
Il est d’ailleurs curieux de constater que l’extrême gauche se trouve être épargnée par ce cordon, alors que son idéologie a maintes fois révélé ses effets mortifères.
Le député fédéral flamand Jean-Marie Dedecker (indépendant) a bien résumé les choses à la présentatrice de l’émission « Villa politica » : Je suis un démocrate. Je considère donc que celui qui est arrivé en tête doit gouverner.
Dedecker faisait ici allusion à l’éclatante victoire remportée aux Pays-Bas par le PVV de Geert Wilders. Mais son raisonnement impliquait également le Vlaams Belang. Si les sondages actuels se confirment, celui-ci se retrouverait être sur la première marche du podium au lendemain des élections du 9 juin 2024. Mais pas question, pour les médias francophones, d’associer la formation de Tom Van Grieken aux débats. Pas question non plus, pour les partis francophones, d’embarquer avec elle dans un gouvernement fédéral. Soulignant ce fait, Jean-Marie Dedecker s’est empressé d’ajouter : Après trente ans, il est temps de rompre avec cette tradition du cordon sanitaire et ne pas exclure une alliance avec le Vlaams Belang pour gérer la Flandre.
La question d’une telle alliance semble en tout cas de moins en moins taboue au sein de la N-VA. Présent sur le plateau de l’émission « De Zevende Dag », ce 19 novembre, Jan Jambon, le ministre-président du gouvernement flamand, a en effet déclaré : Je vois que le Vlaams Belang effectue un certain nombre de changements. C’est bien, cela va dans la bonne direction, à mon avis. Mais il y a aussi des choses de fond. Et il y a l’attaque personnelle… si vous voulez faire une danse de séduction, vous ne devriez pas attaquer si fort tout le temps la personne que vous voulez séduire. Et interrogée à ce sujet par « Knack », Els van Doesburg, échevine N-VA d’Anvers, répond : Prendre la mer avec le Vlaams Belang ? Pour moi, seul le contenu compte.
Si des divergences existent toujours entre le Vlaams Belang et la N-VA, un point majeur les réunit cependant : la volonté de faire de la Flandre un Etat souverain.
Il n’est nullement improbable qu’un nouveau gouvernement fédéral s’avère impossible à former, en raison du fossé béant qui sépare le Nord et le Sud quant à un remodelage de l’Etat.
La coalition Vivaldi s’était, comme on le sait, solennellement engagées à préparation une nouvelle réforme de l’Etat pour 2024, la 7ème. Le point 5.1 de la déclaration gouvernementale stipule en effet : (…), il est important que les nouvelles réformes soient bien préparées sans tabous, dans une atmosphère de compréhension mutuelle et sur la base de l’expertise nécessaire. Au cours de la prochaine législature, le gouvernement entend apporter une contribution importante à la modernisation, à l’augmentation de l’efficacité et à l’approfondissement des principes démocratiques des structures de l’État. Le gouvernement lancera un large débat démocratique sur ce sujet, impliquant notamment les citoyens, la société civile et les milieux académiques, ainsi qu’un dialogue entre les représentants politiques, sous la direction de deux ministres (un néerlandophone et un francophone) pour évaluer la structure existante. Sur la base des travaux de ces membres du gouvernement, le gouvernement préparera, sous forme de textes législatifs, des propositions sur la répartition des compétences, les règles de financement et les institutions, etc., qui après accord au sein du gouvernement pourront être présentées pour avis au Conseil d’État. Ensuite et sur ce sujet, les deux ministres du gouvernement prendront les contacts nécessaires pour trouver ensemble un soutien parlementaire complémentaire afin d’atteindre les majorités nécessaires. Le gouvernement souhaite, en tout cas, pendant cette législature, intégrer des textes législatifs concernant une répartition plus homogène des compétences dans le domaine des soins de santé. L’objectif est de fournir des soins au plus près du patient (entités fédérées) sans affecter le financement solidaire.
Les ministres Annelies Verlinden (CD&V) et David Clarinval (MR) ont effectivement lancé, début juin 2022, une enquête citoyenne, via une plateforme en ligne « Un pays pour demain ».
Si la majorité des quelque 11.000 participants estiment qu’il faut « simplifier » les institutions, les avis divergent toutefois sensiblement quant à la manière de procéder.
Bref, Annelies Verlinden et David Clarinval ne sont guère plus avancés après cette opération, qui aura tout de même coûté 2,1 millions d’euros…
D’autre part, une commission mixte de députés et de sénateurs a évalué les six réformes de l’Etat réalisées depuis 1970, du moins certaines de leurs parties, en auditionnant universitaires, fonctionnaires et autres milieux concernés. Tout cela a été consigné dans un volumineux rapport, qui ne tire toutefois aucune conclusion et ne formule aucune recommandation.
Voilà où nous sommes à six mois de la dissolution des Chambres, qui doit intervenir le 8 mai prochain.
Qui peut croire que les ministres Verlinden et Clarinval auront la possibilité, d’ici là, d’intégrer des textes législatifs concernant une répartition plus homogène des compétences dans le domaine des soins de santé. L’objectif est de fournir des soins au plus près du patient (entités fédérées) sans affecter le financement solidaire.
Derrière cette phrase se cache en fait la volonté du CD&V de scinder ces soins de santé.
Pas question, on le sait, pour le PS, de toucher à la sécurité sociale. Non pas parce qu’elle constitue l’élément essentiel du ciment belge, mais bien parce qu’elle représente le fonds de commerce du parti. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que son président, Paul Magnette, revienne, en juin 2022, sur la parole donnée : Ma réponse est claire : une réforme de l’Etat n’est ni nécessaire ni souhaitable. Une réponse aussitôt saluée par les présidents du MR et d’Ecolo.
On voit là toute l’hypocrisie du système : sceller un engagement dont on sait à l’avance qu’il ne sera pas tenu. Vivaldi, ce compositeur si raffiné, ne méritait vraiment pas d’avoir son nom associé à une entreprise politique aussi bancale.
Dans l’hypothèse, nullement improbable, où la formation d’un nouveau gouvernement fédéral s’avérait impossible, qui pourrait reprocher aux élus du Vlaams Belang et de la N-VA d’user de leur majorité absolue au sein du Parlement flamand pour proclamer unilatéralement l’indépendance de la Flandre ? Comme l’avait très justement écrit feu le journaliste Pierre Bouillon : Que fait un séparatiste, s’il bénéficie d’une légitimité démocratique ? Be, il sépare. Ca t’étonne, Yvonne ?
Aucun pouvoir central fort à Bruxelles ne pourrait s’y opposer. Quant à l’Union européenne, elle n’aurait d’autre choix que d’acter le divorce belge.
On se souvient de la célèbre phrase d’Albert Camus : La société politique contemporaine : une machine à désespérer les hommes. Rien de nouveau sous le soleil…
- Dernier livre : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Editions Mols.