Eric Deffet, « Le Soir », 1er  janvier 2024

En 1974, la loi organisait les premiers organes politiques des Régions, dont la Wallonie. Les réformes constitutionnelles devenaient réalité, modestement. Avec le Carolo Alfred Califice dans le rôle de premier « ministre-président ». 

Le 25 novembre 1974, le Comité ministériel wallon se réunit pour la toute première fois. Ministre des Affaires wallonnes au sein du gouvernement Tindemans, Alfred Califice (assis au centre sur la photo), éminence du PSC de l’époque, est appelé à présider la réunion, ce qui en fait en quelque sorte le premier ministre-président de l’Histoire.

De quel événement l’année 2024 marquera-t-elle l’anniversaire ? On parie déjà sur les 80 ans du Débarquement de Normandie, les 135 ans de la fin des travaux de la Tour Eiffel, les 325 ans de la mort de Jean Racine ou les 75 ans de la Chine communiste.

Mais ces jours-ci, l’un ou l’autre spécialiste du poto-poto belgo-belge n’a pas manqué de rafraîchir utilement notre mémoire : l’exercice 2024 sera aussi celui des cinquante ans de la Région wallonne, cette bonne vieille (pas tant que ça) Wallonie dont notre chronique fait ses choux gras de manière mensuelle.

Comment ça, cinquante ans ?

Instinctivement, la régionalisation du pays nous évoque plutôt l’année 1970 et l’inscription du célébrissime « article 107 quater » dans la Constitution : « La Belgique comprend trois Régions : la Région wallonne, la Région flamande et la Région bruxelloise. » Même si notre loi fondamentale a été largement remaniée depuis lors, ces quelques mots clairs et nets fondent encore le fait régional aujourd’hui.

Mais, Constitution ou pas, il y a souvent loin de la parole aux actes… Dès lors, la naissance de la Wallonie politique pourrait aussi être fixée à 1980 et aux lois spéciales de Réformes institutionnelles qui ont permis de doter la jeune Région d’une panoplie d’institutions spécifiques.

Transformer l’essai

Et pourtant non, décidément, nos docteurs ès politiques wallonnes n’en démordent pas : c’est bien en 1974 qu’il faut retourner pour voir émerger une Région assumée. Il y a cinquante ans donc. Mais que s’est-il passé de si important cette année-là qui mériterait de faire la fête au cours de cette année ?

Après la révision constitutionnelle de 1970, il faut en quelque sorte transformer l’essai. Les tensions communautaires sont à leur comble. Impossible de dégager les majorités spéciales qui permettraient d’aller de l’avant. On connaît toutefois le génie de nos responsables politiques pour dégager des compromis venus de nulle part et des solutions institutionnelles alambiquées…

Pas de majorité spéciale en vue ? On adoptera donc une loi ordinaire dite « Perin-Vandekerckhove » promulguée le 1er août 1974, nous y voilà. Un coup de génie : il s’agit de mettre en place une « régionalisation provisoire » du pays, une phase de transition, un sas politique préparatoire qui conduira la Belgique aux lois spéciales de 1980, celles-ci coulant un nouveau profil de la Belgique dans le béton institutionnel.

Un texte de plus que cette loi à laquelle le Liégeois François Perrin (Rassemblement wallon) a donné son nom ? Pas vraiment : pour la première fois en effet, il est question de créer des organes politiques régionaux, wallons dans le cas qui nous occupe. Le Comité ministériel des affaires régionales et le Conseil régional seront les ancêtres du gouvernement et du parlement de Wallonie.

« La loi Perin (…) met en place une ébauche d’organes législatifs et exécutifs régionaux, un budget régional ainsi qu’un début de régionalisation interne des administrations concernées », résument Marnix Beyen et Philippe Destatte dans Un autre pays, Nouvelle histoire de la Belgique 1970-2000 (Editions Le Cri).

Pas d’emballement toutefois, l’avancée est modeste : toute la législation reste fédérale, mais quand un sujet concerne de près ou de loin les intérêts wallons, ceux-ci peuvent s’exprimer à travers des avis rendus par les instances régionales balbutiantes qui se réuniront à Namur, future capitale wallonne.

Il faudra s’en souvenir le moment venu, souffler les bougies, chanter Happy Birthday ce jour-là : le 25 novembre 1974, le Comité ministériel wallon se réunit pour la toute première fois

Il faudra s’en souvenir le moment venu, souffler les bougies, chanter Happy Birthday ce jour-là : le 25 novembre 1974, le Comité ministériel wallon se réunit pour la toute première fois. Une sorte de conseil des ministres light, mais tout de même, rien que d’y penser…

Ministre des Affaires wallonnes au sein du gouvernement Tindemans, Alfred Califice, éminence du PSC de l’époque, est appelé à présider la réunion, ce qui en fait en quelque sorte le premier ministre-président de l’Histoire. Et même « une sorte de Premier ministre pour sa région », ira jusqu’à écrire Le Soir.

Il y a du beau monde autour de l’élu de Charleroi : Antoine Humblet, Jean Gol, Louis Olivier et Robert Moreau, tous actifs à la rue de la Loi à laquelle ils font une infidélité régionale.

Le 26 novembre, c’est au tour du premier Conseil régional de se réunir dans l’enceinte du conseil provincial de Namur (forcément, il n’y a pas encore de parlement, et encore moins d’extension à celui-ci…). Les électeurs du sud du pays n’ont pas encore été appelés aux urnes : l’assemblée se compose donc des sénateurs wallons, qui sont encore à l’époque, on l’aurait presque oublié, des élus directs.

Les Régions sont alimentées par une dotation de l’Etat central qui leur permet de prendre des initiatives dans des matières comme la santé, les pouvoirs locaux ou l’urbanisme.

Omniprésence wallonne

De quoi parle-t-on alors entre Wallons, au fil des réunions namuroises qui se succèdent ? Rien de vraiment surprenant si l’on se réfère à l’actualité récente. Il est question de budget et de finances publiques, passage indispensable pour jeter les bases d’une forme d’autonomie. La maîtrise de l’aménagement du territoire et du développement économique, dans une Wallonie qui n’en a pas encore fini avec l’industrie lourde et porteuse d’emplois, sont déjà au centre des réflexions.

Nous n’irons pas plus loin dans l’évocation historique, on sait ce qu’il est advenu de cette Wallonie politique dont les premiers responsables n’avaient sans doute qu’une idée imprécise. Cinquante ans plus tard, les réalités régionales sont le lot quotidien de 3,6 millions de personnes, même si le niveau de pouvoir imaginé dans les années septante reste peu populaire quand on le compare à l’attachement à la Belgique et aux liens de proximité avec les élus locaux.

La Wallonie est désormais omniprésente, après de multiples réformes de l’Etat concrétisées par des transferts massifs de compétences. Il reste sans doute à mettre de l’huile dans les rouages institutionnels ou à réorganiser la gestion des dossiers entre francophones. On en parle en coulisses. Mais pas de quoi gâcher le jubilé 1974-2024 !