
Jules Gheude
Pouvoir d’achat, santé, sécurité, environnement… Ces sujets, qui concernent le citoyen de tout Etat, ont été abordés, ce 14 janvier, par les responsables des six partis francophones (PS, MR, PTB, Ecolo, Les Engagés et DéFi) lors du premier débat organisé par RTL en vue des élections législatives et régionales du 9 juin prochain.
Mais un point essentiel a été omis : la Belgique n’est pas un pays comme les autres dans la mesure où il est constamment « travaillé » en interne par les oppositions communautaires. Outre les divergences socio-économiques classiques (gauche-droite) qui divisent traditionnellement la classe politique, la Belgique se voit confrontée en permanence au débat qui concerne son organisation institutionnelle et, partant, son avenir même.
Décidée en 1970, la trajectoire fédérale s’est développée au fil de six réformes institutionnelles. Alors que les responsables francophones souhaitent en rester là, en n’écartant toutefois pas la possibilité de rendre le système plus efficace, la Flandre, elle, entend passer du stade de l’entité fédérée à celui d’Etat. C’est l’option confédérale, lancée dès le début des années 90 par Luc Van den Brande, alors ministre-président flamand (CVP) et avalisée en 1999 par le Parlement flamand. Elle repose sur deux Etats – Flandre et Wallonie- disposant de quasi toutes les compétences (l’échelon central belge ne conserve que la Défense, les Affaires étrangères, la Sécurité et les Finances) et cogérant Bruxelles pour ce qui est des matières dites personnalisables (impôt des personnes, soins de santé, aide à la jeunesse, immigration…).
C’est sur ce point précis que les négociations pour la formation d’un nouveau gouvernement au lendemain des élections du 9 juin pourraient s’enliser et tourner à l’impasse.
Il importe ici de rappeler que la coalition Vivaldi s’était solennellement engagée à préparer le chantier d’une 7ème réforme de l’Etat.
Le point 5.1 de la déclaration gouvernementale stipule en effet : (…) Le gouvernement lancera un large débat démocratique sur ce sujet, impliquant notamment les citoyens, la société civile et les milieux académiques, ainsi qu’un dialogue entre les représentants politiques, sous la direction de deux ministres (un néerlandophone et un francophone) pour évaluer la structure existante. Sur la base des travaux de ces membres du gouvernement, le gouvernement préparera, sous forme de textes législatifs, des propositions sur la répartition des compétences, les règles de financement et les institutions, etc., qui après accord au sein du gouvernement pourront être présentées pour avis au Conseil d’État. Ensuite et sur ce sujet, les deux ministres du gouvernement prendront les contacts nécessaires pour trouver ensemble un soutien parlementaire complémentaire afin d’atteindre les majorités nécessaires. Le gouvernement souhaite, en tout cas, pendant cette législature, intégrer des textes législatifs concernant une répartition plus homogène des compétences dans le domaine des soins de santé. L’objectif est de fournir des soins au plus près du patient (entités fédérées) sans affecter le financement solidaire.
Les ministres Annelies Verlinden (CD&V) et David Clarinval (MR) ont effectivement lancé, début juin 2022, une enquête citoyenne, via une plateforme en ligne « Un pays pour demain ».
Si la majorité des quelque 11.000 participants estiment qu’il faut « simplifier » les institutions, les avis divergent toutefois sensiblement quant à la manière de procéder.
Bref, Annelies Verlinden et David Clarinval ne sont guère plus avancés après cette opération, qui aura tout de même coûté 2,1 millions d’euros…
D’autre part, une commission mixte de députés et de sénateurs a évalué les six réformes de l’Etat réalisées depuis 1970, du moins certaines de leurs parties, en auditionnant universitaires, fonctionnaires et autres milieux concernés. Tout cela a été consigné dans un volumineux rapport, qui ne tire toutefois aucune conclusion et ne formule aucune recommandation.
Voilà où nous sommes à trois mois de la dissolution des Chambres, qui doit intervenir le 8 mai prochain.
Qui peut croire que les ministres Verlinden et Clarinval auront la possibilité, d’ici là, d’intégrer des textes législatifs concernant une répartition plus homogène des compétences dans le domaine des soins de santé. L’objectif est de fournir des soins au plus près du patient (entités fédérées) sans affecter le financement solidaire.
D’autant que la président du PS, immédiatement rejoint sur ce point par son homologue du MR, Georges-Louis Bouchez, a entretemps estimé qu’une nouvelle réforme de l’Etat n’était ni nécessaire ni souhaitable.
On finit par connaître le cinéma : se présenter en « demandeurs de rien » pour finalement céder contre des liards.
Aujourd’hui, la Région wallonne et la Communauté française sont à deux doigts de la faillite. Quant à la Région bruxelloise, sa situation budgétaire n’est guère plus florissante. Un refinancement serait donc le bienvenu. Sauf que, cette fois, les caisses de l’Etat sont vides et que la Flandre n’est plus disposée à se montrer financièrement solidaire d’une Wallonie qui, en 43 ans de régionalisation, n’a pas réussi à opérer son redressement. La faute, selon elle, à une gestion inappropriée, marquée du sceau du PS (à la ministre-présidence wallonne durant près de 40 ans !).
La question communautaire n’est pas, comme d’aucuns le prétendent, un « faux problème », créé de toutes pièces et alimenté par certains politiques « dérangés ». On ne peut nier, en effet, le fait que la Flandre se soit développée, au fil des décennies, en une Nation dont la vocation naturelle est de devenir un Etat. Rappelons-nous le sous-titre du livre de Manu Ruys « Les Flamands » en 1973 : « une nation en devenir ».
Et il convient de rappeler également ces propos tenus par l’ancien président du CD&V Wouter Beke au journal québécois « Le Devoir » en 2007 : « Nous voulons une véritable confédération où chacun pourra agir comme il l’entend. Si les francophones n’acceptent pas de lâcher du lest, nous n’aurons pas d’autre choix que l’indépendance. »
Les derniers sondages révèlent que les deux formations séparatistes flamandes (le Vlaams Belang et la N-VA) disposeraient ensemble d’une majorité absolue au sein du Parlement flamand. Si les négociations gouvernementales devaient virer au blocage total, ces partis pourraient en tirer argument pour proclamer unilatéralement l’indépendance flamande. Avec les voix du CD&V en soutien !
Non, la Belgique n’est décidément pas un pays comme les autres.