Jules Gheude, esssayiste politique

Bart De Wever m’est toujours apparu comme un fin stratège politique. Mais le choix qu’il vient de faire en désignant Drieu Godefridi pour mener la liste N-VA en Brabant wallon est-il tactiquement habile ?
On sait que l’objectif final de la N-VA est l’avènement d’une République flamande souveraine au sein de l’Europe. Cet objectif est également partagé par le Vlaams Belang.
Mais Bart De Wever n’entend pas brusquer les choses. Pour lui, il doit s’agir d’un processus évolutif. C’est la raison pour laquelle il souhaite procéder à l’instauration d’un système confédéral : le pouvoir central belge est réduit à la portion congrue (Affaires étrangères, Défense, Finances, Sécurité), tandis que les Etats flamand et wallon gèrent la quasi-totalité des compétences en cogérant Bruxelles pour ce qui est des matières dites « personnalisables » (impôt des personnes, enseignement, soins de santé, aide à la jeunesse, intégration…).
Inutile d’être un grand clerc pour comprendre qu’il ne faudra pas longtemps avant que la Flandre ne juge le pouvoir central tout à fait superflu. Le confédéralisme doit donc être envisagé comme l’antichambre du séparatisme.
Tous les partis francophones ont clairement exprimé leur refus de s’engager sur cette voie, ce qui laisse supposer l’extrême difficulté qu’il y aura à constituer une coalition gouvernementale au lendemain des élections du 9 juin prochain.
Mais Bart De Wever est aujourd’hui confronté à un autre écueil : les sondages successifs indiquent que son parti ne cesse de baisser au profit du Vlaams Belang. Le dernier en date (Le Soir/RTL) crédite l’extrême-droite flamande de 27,4% (soit plus 8,9% par rapport à 2019), tandis que la N-VA se situe à 20,4% (- 4,43%). Une baisse qui se traduirait par la perte de 6 sièges et qui ne serait pas sans conséquences pour les finances du parti. Nul doute que cet élément a joué dans la décision de présenter des listes N-VA en Wallonie…
Tom Vanb Grieken, le président du Vlaams Belang, a déjà fait savoir qu’au lendemain du 9 juin, il accorderait la priorité à la constitution d’un gouvernement flamand, l’objectif restant bien pour lui la scission de la Belgique.
Si les résultats du dernier sondage devaient se confirmer, un front flamand (VB / N-VA) pourrait détenir 62 des 118 sièges à pourvoir au niveau des cinq circonscriptions électorales flamandes (les néerlandophones de Bruxelles doivent en outre désigner 6 élus). Bref, les deux formations séparatistes flamandes disposeraient de la majorité absolue au sein du Parlement flamand et auraient donc la légitimité démocratique de proclamer l’indépendance de la Flandre dans le cas où la formation d’un gouvernement belge s’avérait totalement impossible.
Jusqu’ici, Bart De Wever a toujours tenu à garder ses distances à l’égard du Vlaams Belang, même si des voix se font entendre au sein de la N-VA pour expliquer que le VB est en train d’évoluer dans la bonne direction.
Mais en plaçant le pion Drieu Godefridi sur l’échiquier, le président de la N-VA accorde sa confiance à un homme qui, non seulement, l’a ouvertement critiqué dans le passé, mais qui est connu pour ses prises de position extrêmement radicales et ultra-conservatrices. Climatosceptique et adversaire de l’IVG, Drieu Godefridi encense Eric Zemmour et se veut l’a depte des Trump, Le Pen, Bolsonaro et autres Milei.
Bref, on se trouve ici clairement à la droite de la droite !
Drieu Godefridi, qui n’entend pas prendre la carte de la N-VA, explique avoir été contacté, il y a deux mois et demi, par Theo Francken. Celui-ci salue « un homme qui parle super bien le néerlandais et qui veut le confédéralisme, comme moi. »
Pour Georges-Louis Bouchez, le président du MR, le coup estrude. Voilà quelque temps qu’il flirte avec Theo Francken, en rêvant de pouvoir reconduire une coalition avec la N-VA (« Finalement, cela n’a pas trop mal marché avec le gouvernement Michel… »).
Et voilà que Theo Francken pose fièrement avec Bart De Wever aux côtés de ce Drieu Godefridi, qui a un temps arpenté les couloirs du MR avant de le tacler ouvertement aujourd’hui : « Le MR n’est pas une alternative à la Vivaldi, le MR c’est la Vivaldi. Ils ont tout laissé passer. Le MR n’est pas une alternative, mais une partie intégrante du système socialiste en Wallonie ».
Pour Bart De Wever, il ne peut être question d’envisager un nouveau gouvernement belge sans majorité flamande, comme cela a été le cas de 2008 à 2024, à l’exception du gouvernement Michel : « Je ne peux plus appeler ça une démocratie. Les résultats électoraux sont mis sans dessus-dessous, les plus grands partis sont écartés et on sera dominé par des partis pour lesquels on ne peut même pas voter ! »
Mais que veut vraiment Bart De Wever ? « Il faut libérer la Wallonie de l’emprise du PS », déclare-t-il, tout en approuvant Drieu Godefridi lorsque celui-ci affirme que « le MR fait partie du système socialiste en Wallonie ». L’ambiguïté est manifeste.
Si l’intention de Bart De Wever est de se retrouver à la table des négociations avec Paul Magnette est-il conscient qu’un homme comme Drieu Godefridi ne peut apparaître que comme un repoussoir aux yeux du président du PS ?
Et si, en définitive, l’utilité de Drieu Godefridi était de constituer un facteur de blocage ?