Jules Gheude, essayiste politique (1)

Dès l’instant où une formation politique est autorisée à se présenter aux élections, il faut en assumer pleinement les conséquences. La ceindre ensuite d’un cordon sanitaire au motif qu’elle représente un danger pour la démocratie revient à dénaturer cette dernière.

Tout indique que le Vlaams Belang pourrait être la principale formation politique du pays à l’issue du scrutin législatif du 9 juin prochain.

Comme ce fut le cas aux Pays-Bas avec Geert Wilders, Tom Van Grieken devrait logiquement avoir la main pour tenter de former un nouveau gouvernement fédéral, ainsi qu’un nouveau gouvernement flamand.

C’est ce dernier qui lui importe surtout, comme il l’a déclaré le 10 décembre dernier :

Ce n’est qu’après la constitution d’un gouvernement flamand que nous pourrions aller en bloc aux négociations au niveau fédéral. En d’autres mots: d’abord gouverner en Flandre, puis négocier au Fédéral. Des négociations fédérales (dans l’intérêt de la Flandre) ne peuvent réussir que si les leviers sont ancrés dans notre démocratie flamande et plus spécifiquement au parlement flamand. C’est pourquoi un gouvernement flamand nationaliste-flamand est nécessaire en Flandre et un Front flamand au fédéral.

Et de préciser que l’objectif reste la scission de la Belgique.

On connaît l’aversion que le roi Philippe nourrit vis-à-vis du Vlaams Belang. Lorsqu’il était encore prince, n’avait-il pas confessé à un journaliste flamand que l’extrême-droite le trouverait sur son chemin ? C’était il y a vingt ans :

Dans notre pays, il y a des gens et des partis, comme le Vlaams Belang, qui sont contre la Belgique, qui veulent la détruire. Je peux vous assurer que je m’opposerai toujours à ceux-là et n’oubliez pas : je peux être coriace s’il le faut !

A présent qu’il est sur le trône, Philippe est tenu au strict respect des règles d’une monarchie constitutionnelle, qui veulent que le souverain n’intervienne pas personnellement et directement dans le débat politique.

On sait toutefois comment Baudouin a fait fi de ces règles en refusant de signer la loi de dépénalisation de l’avortement, pourtant adoptée par les Chambres.

Lors des consultations qui interviennent au lendemain d’élections législatives, le souverain reçoit normalement en priorité les président(s) de la Chambre et du Sénat. Viennent ensuite, dans l’ordre des résultats obtenus, les présidents des partis.

Pour éviter que le roi ne doive recevoir en premier le président du Vlaams Belang, certains observateurs reviennent avec la notion de « famille politique ».

Sauf que cette notion n’existe formellement plus en Belgique. C’est d’ailleurs l’une des spécificités du système fédéral belge.

Jusqu’en 1968, on parlait toujours de partis traditionnels unitaires. Mais le parti social-chrétien (PSC-CVP) n’a pas résisté au choc du « Walen buiten » et s’est scindé en deux ailes linguistiques, chacune suivant alors sa propre voie en toute autonomie. C’est ainsi que, depuis 2019, le CD&V participe à la coalition Vivaldi sans Les Engagés.

Le parti libéral et le parti socialiste se sont également scindés, respectivement en 1972 et 1978.

Sans doute des affinités idéologiques subsistent-elles, mais elles n’empêchent pas des divergences de fond.

Ainsi, l’ancien président de Vooruit, Conner Rouseau, s’est-il attiré les foudres du PS après ses déclarations sur Molenbeek : Quand je roule dans Molenbeek, moi non plus, je ne me sens pas en Belgique. Et l’on se souvient également que la radicalisation annoncée par le président du PS, Elio Di Rupo, en 2017 n’avait pas été du goût de son homologue flamand, John Crombez : Les recettes proposées par Elio Di Rupo s’éloignent fortement des nôtres. La société que je désire est très différente de la sienne.

Le belgicanisme de Georges-Louis Bouchez, le président du MR, l’amène régulièrement à évoquer « la famille libérale ». Une liste commune MR – Open VLD vient d’ailleurs d’être constituée à Bruxelles. Mais on se souvient aussi des tensions entre le MR et l’Open VLD lors du remplacement d’Eva De Bleeker par Alexia Bertrand au gouvernement en 2022.

En démocratie, ce devrait être celui qui gagne qui gouverne. Un principe qui est loin d’être respecté !

La montée du Vlaams Belang est le signe d’un profond mécontentement en Flandre. Un mécontentement suscité en partie par le fait que, de 2008 à 2024 (à l’exception du gouvernement Michel), la Flandre aura été dirigée sans majorité flamande. En 2020, Bart De Wever, le président de la N-VA, n’avait pas hésité à clamer son indignation :

Je ne peux plus appeler ça une démocratie. Les résultats électoraux sont mis sans dessus-dessous, les plus grands partis sont écartés et on sera dominé par des partis pour lesquels on ne peut même pas voter !

Un élément nouveau est à prendre à considération pour les élections du 9 juin. Pour la première fois, en effet, les deux partis flamands ouvertement séparatistes (Le Vlaams Belang et la N-VA) pourraient détenir ensemble la majorité absolue au Parlement flamand. Ils disposeraient ainsi de la légitimité démocratique pour proclamer unilatéralement l’indépendance de la Flandre.

L’organisation d’un référendum en Flandre sur le sujet, comme vient de le proposer l’ancien président de DéFi, Olivier Maingain, ne serait donc pas nécessaire, d’autant que le procédé ne peut être utilisé en Belgique.

Les électeurs sont censés voter en toute connaissance de cause. Ceux qui se prononcent pour le Vlaams Belang et la N-VA ne peuvent donc ignorer l’option indépendantiste de ces deux formations !

Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Editions Mols.