Un « pas considérable » vers l’autonomie de la Corse
Article de Paul Ortoli, dans « Le Monde » du 12 mars 2024

Le gouvernement et des élus sont parvenus, dans la nuit de lundi à mardi, à un projet d’« écriture constitutionnelle »
C’est une feuille A4 qui a pour projet de reconnaître l’autonomie de la Corse au sein de la République, après deux années d’âpres discussions entre le gouvernement et l’île. Le dîner de travail qui s’est tenu place Beauvau, lundi 11 mars, entre les élus corses et le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a accouché d’un texte qui est le plus audacieux depuis la première loi de décentralisation, votée en 1982.
« La présente écriture constitutionnelle prévoit la reconnaissance d’un statut d’autonomie pour la Corse au sein de la République qui tient compte de ses intérêts propres, liés à son insularité méditerranéenne, à sa communauté historique, linguistique, culturelle et ayant développé un lien singulier à sa terre », a déclaré, à l’issue de la réunion, Gérald Darmanin, citant mot pour mot le premier alinéa.
Le document permet un « pouvoir d’adaptation des normes législatives et un pouvoir normatif propre, qu’il soit de niveau législatif ou réglementaire » a poursuivi le ministre. Le tout encadré par une « loi organique ». Celle-ci déterminerait les règles normatives et réglementaires afin que la collectivité de Corse fixe ses propres normes, indépendamment des lois nationales, mais toujours en conformité avec la Constitution, qu’elles passent par un avis du Conseil d’Etat ou par le Conseil constitutionnel.
Le président de l’exécutif, l’autonomiste Gilles Simeoni, a salué « un pas considérable qui inscrit désormais de manière irréversible une Corse autonome au sein de la République, sans retour en arrière ». Bien que le mot ne figure pas dans le texte, en raison d’un verrou constant du gouvernement et de l’Elysée.
« La notion des intérêts propres de la Corse permettra d’encadrer plus tard, via la loi organique, les notions de statut de résident pour accéder à la propriété foncière afin de limiter la spéculation ou d’insérer la notion de bilinguisme pour la langue corse », a précisé au Monde M. Simeoni, conscient qu’il reste désormais un important travailo « d’explication et conviction »
« Boîte de Pandore »
Le chemin législatif s’annonce houleux, notamment au Sénat, réputé jacobin. « Contrairement aux proclamations officielles, le projet sur la Corse revient bien à constitutionnaliser le communautarisme », selon le président du groupe Les Républicains (LR) au Sénat, Bruno Retailleau, qui s’inquiète sur X de l’ouverture d’une « boîte de Pandore » qui pourrait tenter, par exemple, la Bretagne.
Pourtant, après sa présentation devant le président de la République, qui va réunir autour du sujet l’ensemble des forces politiques sur le modèle des « rencontres de Saint-Denis », en août puis en novembre 2023, le texte doit être voté dans les mêmes termes à l’Assemblée nationale puis au Sénat, vraisemblablement avant les Jeux olympiques de juillet, avant d’obtenir la majorité aux trois cinquièmes lors du vote en Congrès, à Versailles, afin d’entériner la révision constitutionnelle, programmée à l’automne 2024.
Le ministre de l’intérieur, qui voulait accélérer le calendrier, avait fait pression, en février, sur des élus corses qui n’ont pas réussi à parler d’une voix unanime. La famille nationaliste, moins les indépendantistes de Nazione, et la droite conservatrice, portée par le sénateur apparenté LR de Corse-du-Sud Jean-Jacques Panunzi et le coprésident du groupe de droite de l’Assemblée de Corse Jean-Martin Mondoloni (Un Soffiu Novu), n’ont pas adhéré à l’ensemble du texte, qui sera débattu et voté dans l’hémicycle territorial, ces prochaines semaines.
« Cela respecte les lignes rouges fixées par le président de la République et moi-même, et cela clôt le processus de Beauvau chargé de trouver un chemin constitutionnel », a souligné Gérald Darmanin, rappelant in fine que les Corse seront consultés par « référendum ».
Laurent Marcangeli, député de Corse-du-Sud et président du groupe Horizons à l’Assemblée nationale, a noté, pour sa part, que l’étape franchie était « décisive », puisque c’est le principe d’autonomie tel qu’il est défendu par la majorité territoriale qui a été validé, même sans la notion de « peuple corse », qui était l’un de ses fondamentaux. « C’est une écriture qui a vocation à s’insérer dans le texte fondamental et qui donne force de loi aux décisions de l’Assemblée de Corse », a précisé au Monde le parlementaire, qui a arrondi les angles entre sa famille politique, les nationalistes et le gouvernement lors des négociations lancées il y a deux ans, au lendemain de l’agression mortelle d’Yvan Colonna, l’assassin du préfet Claude Erignac en 1998, en détention, qui avait déclenché des émeutes urbaines dans l’île durant six semaines. « Il faut à présent que ce texte soit voté dans les mêmes termes sans être amendé », souhaite M. Marcangeli, candidat autodésigné pour en être le rapporteur.