Analyse de David Coppi dans « Le Soir » du 25 avril 2024
On dissout les Chambres le 8 mai. Il faut adopter une déclaration de révision de la Constitution, dernier acte de législature. Problème : les partenaires Vivaldi calent, entre la volonté de moderniser le texte fondamental et la peur d’une aventure institutionnelle. Un kern a lieu ce vendredi. C’est fumée noire jusqu’à présent. David Clarinval (MR), ministre des Réformes institutionnelles, nous éclaire…

Encore un petit effort et les partenaires de la Vivaldi pourront s’estimer libérés des contraintes propres à cette coalition à sept, où ils s’agitent et se cognent depuis trois ans. Mais comme le dernier effort leur coûte ! A savoir : il faut adopter une « déclaration de révision de la Constitution » avant de se dire adieu, c’est comme ça en Belgique, et c’est sur cette base que les Chambres seront dissoutes le 8 mai, ce qui conduira aux urnes le 9 juin.
Souci ? Oui. Les vice-Premiers et le chef du gouvernement se retrouvent vendredi en kern, ou comité ministériel restreint : en principe ils doivent décider, mais la Vivaldi reste la Vivaldi jusqu’à son dernier souffle. C’est (très) tendu, il n’est même pas exclu que ça craquelle.
Il y a deux écoles. L’une qui veut ouvrir à révision un maximum d’articles, afin de pouvoir tenir des débats urgents et jugés utiles durant la prochaine législature. L’idée : repeigner le texte fondamental de 1830 afin d’y introduire des concepts ayant trait à la « participation citoyenne », d’y injecter une dose(tte) de démocratie directe. Pour cela, donc, il est nécessaire de lister, dans la déclaration, les dispositions constitutionnelles qui ont trait à l’exercice du pouvoir. C’est une demande émanant de la société civile. On pense à des collectifs comme « We need to talk », au G.1000 avant cela, aujourd’hui à une série d’associations (Cap démocratie, Meer démocratie, Kayoux, entre autres…) qui pétitionnent pour « transformer le système décisionnel de notre pays et le rendre inclusif et équitable, en intégrant les citoyen.nes ».
Ingratitude
Constitutionnaliste à l’Université de Mons, Anne-Emmanuelle Bourgaux appuie, milite : « Il y a beaucoup d’initiatives citoyennes en ce sens depuis une dizaine d’années. La Belgique est pionnière, mais la Constitution ne suit pas. Un carcan qui empêche d’avancer, de traduire tout cela politiquement. Ce qui fragilise d’ailleurs ces initiatives en retour, les citoyens engagés y voient comme de l’ingratitude. Oui, ça coince, et il est temps de progresser : la déclaration de révision peut donner, enfin, un signal positif. » Dans ces colonnes mardi, Emmanuel Slautsky et Céline Romainville, constitutionnalistes à l’ULB et à l’UCLouvain, avaient souligné eux aussi combien, à leur sens, il fallait « oser le débat constitutionnel » à bien des égards.
Sauf que pour la seconde école, ouvrir largement la déclaration de révision, c’est surtout ouvrir la boîte de Pandore institutionnelle, et passer le message à la Flandre nationaliste-indépendantiste de la N-VA, et derrière elle à l’extrême droite : on peut parler de tout, pourquoi pas d’une grande réforme de l’Etat. Avec risques et périls. Les verrous prévus – il faudra réunir une majorité des deux tiers pour toucher à la Constitution, quoi qu’il en soit – ne sont pas des sécurités.
Les deux écoles de pensée s’entrechoquent jusqu’au sein du gouvernement : les verts veulent ouvrir, les socialistes ne sont pas contre, le CD&V veut ouvrir sur l’institutionnel mais pas trop sur le sociétal (l’IVG dans la Constitution ? Vous n’y pensez pas !), l’Open VLD du Premier la joue en mode « Il y a autre chose à faire que se réunir dans des châteaux pour discuter d’une réforme de l’Etat », le MR veut rendre nos institutions plus « efficaces » mais « prudence ». Une gamme, et ce n’est pas musical, ou alors cacophonique. Le kern de vendredi est à risques. Il faudra se revoir la semaine prochaine ?
Majorités alternatives
Ministre en charge des Réformes institutionnelles (avec sa collègue chrétienne-démocrate flamande Annelies Verlinden) et vice-Premier MR, David Clarinval, auquel nous avons demandé de nous guider dans le maquis, rappelle que cinq articles ont été pointés dans une déclaration de révision provisoire en 2021. Ils constituent la base de travail : les articles 46 et 96 de la Constitution relatifs à la formation des gouvernements – « On pourrait modifier les choses afin d’empêcher que les négociations post-électorales ne s’éternisent » –, les articles 48 et 142 alinéa 5, qui regardent la vérification des pouvoirs – « On pourrait faire en sorte que la Cour constitutionnelle soit compétente à l’avenir, alors qu’aujourd’hui, ce sont les élus qui s’auto-contrôlent » –, enfin le 195, une disposition qui concerne la façon de modifier la Constitution, et qui, à vrai dire, est une clé d’entrée pour réformer l’Etat plus largement. Le 195 devrait figurer dans la liste (certains sont froids, comme les verts), les autres s’y trouveront à coup sûr. C’est tout ? Non.
On l’a dit, il y a la poussée citoyenne, mais aussi, explique David Clarinval, « des sujets d’actualité qui pourraient donner lieu à de riches et utiles débats sous la prochaine législature, sur la modernisation de la démocratie représentative, sur les droits fondamentaux, dont la liberté de la presse à l’heure d’internet – qui n’existait pas en 1830… –, ou la neutralité de l’Etat ; ajoutez que l’on insérera le bien-être animal dans la Constitution, c’est acquis ». Le bleu poursuit : « Intellectuellement, je suis favorable à une opération assez large. Politiquement, je sais qu’il faut être prudents, et viser la simplification des institutions sans engager le pays dans une aventure. »
Pour corser l’affaire, en plus du gouvernement, la Chambre et le Sénat doivent adopter eux aussi une liste d’articles à réviser (c’est la règle, et l’on prendra le plus petit commun dénominateur), où l’opposition (N-VA en tête) se fera entendre, et des majorités alternatives pourraient advenir (N-VA avec CD&V, par exemple). D’où l’importance pour la Vivaldi de maîtriser le jeu, de signifier qu’elle a une idée claire de ce que doit devenir la Constitution de la Belgique… Mais comme c’est compliqué, visiblement.