Jules Gheude, essayiste politique (1)

Ils discutent pouvoir d’achat, immigration, sécurité, transition écologique… Autant de sujets qui, dans un pays normal, ont leur importance.

Sauf que la Belgique n’est à un pays comme les autres dans la mesure où sa viabilité même est en jeu.

En 2010-2011, il fallut 541 jours pour constituer un gouvernement de plein exercice. A l’initiative de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française, deux députés effectuèrent alors une mission de trois jours en Belgique pour analyser la situation intérieure. Et ils présentèrent un rapport qualifié d’assez sombre, qui soulignait les clivages profonds auxquels le pays était confronté.

Une phrase résumait bien la situation : C’est aussi le signe d’une divergence essentielle entre les visions des partis en présence, divergence d’autant plus redoutable qu’elle ne concerne pas le contenu des politiques publiques au sens traditionnel du terme, mais qu’elle touche à la conception même de l’Etat, à la nature des institutions et du pacte primordial qui les fonde. 

Depuis lors, les choses n’ont cessé d’empirer. Le 19 novembre dernier, sur le plateau de l’émission « De Zevende Dag », Jan Jambon, le ministre-président du gouvernement flamand, déclarait : Il n’est nullement improbable qu’un nouveau gouvernement  fédéral s’avère impossible à former, en raison du fossé béant qui sépare le Nord et le Sud quant à un remodelage de l’Etat.

Car la coalition Vivaldi, mise sur pied le 1er octobre 2020, a bien prévu de préparer une 7ème réforme de l’Etat. Deux ministres ont d’ailleurs été désignés à cet effet : Annelies Verlinden (CD&V) et David Clarinval (MR).

Il était prévu, au point 5.1 de la déclaration gouvernementale, que ceux-ci devaient entreprendre certains travaux sur base desquels le gouvernement préparerait, sous forme de textes législatifs, des propositions sur la répartition des compétences, les règles de financement et les institutions, etc., qui après accord au sein du gouvernement pourront être présentées pour avis au Conseil d’Etat.

Les ministres Verlinden et Clarinval ont effectivement lancé, début juin 2022, une enquête citoyenne, via une plateforme en ligne « Un pays pour demain ».

Si la majorité des quelque 11.000 participants estiment qu’il faut « simplifier » les institutions, les avis divergent toutefois sensiblement quant à la manière de procéder.

Bref, on n’est guère plus avancé après cette opération, qui aura tout de même coûté 2,1 millions d’euros…

D’autre part, une commission mixte de députés et de sénateurs a évalué les six réformes de l’Etat réalisées depuis 1970, du moins certaines de leurs parties, en auditionnant universitaires, fonctionnaires et autres milieux concernés. Tout cela a été consigné dans un volumineux rapport, qui ne tire toutefois aucune conclusion et ne formule aucune recommandation.

A un moins du scrutin du 9 juin, force est donc de constater que la tâche des deux ministres est loin d’avoir été accomplie : aucun texte législatif soumis au Conseil d’Etat, aucune assurance quant à ce soutien parlementaire complémentaire afin d’atteindre les majorités nécessaires.

Au sein de la Vivaldi, le CD&V fulmine, lui qui était parvenu à faire insérer dans la déclaration gouvernementale le texte suivant : Le gouvernement souhaite, en tout cas, pendant cette législature, intégrer des textes législatifs concernant une répartition plus homogène des compétences dans le domaine des soins de santé. L’objectif est de fournir des soins au plus près du patient (entités fédérées) sans affecter le financement solidaire.

Sur ce point précis, le CD&V se retrouve nu face à ses électeurs !

Non seulement la préparation d’une 7ème réforme de l’Etat est loin d’avoir été faite, mais les responsables francophones considèrent aujourd’hui qu’elle n’a plus lieu d’être.

Car, pour une large majorité flamande, une telle réforme ne se conçoit que sous l’angle du confédéralisme, qui reviendrait à dépecer le pouvoir central au profit de la Flandre et de la Wallonie, celles-ci cogérant Bruxelles au niveau des compétences dites personnalisables.

Pas question, pour les responsables francophones, de s’engager dans cette voie, qui aboutirait notamment à la, scission de la sécurité sociale.

Ce faisant, ils font preuve d’une cécité suicidaire. Le fédéralisme, qu’ils souhaitent maintenir en le rendant plus efficace, n’est en effet plus possible du fait que la Flandre ne se considère plus comme une entité fédérée jouant le jeu de la solidarité financière, mais bien comme une nation ayant vocation à s’ériger en Etat souverain.

Une autre donnée est à prendre en considération : pour la première fois, les deux formations flamandes séparatistes, la N-VA et le Vlaams Belang, disposeraient ensemble d’une majorité absolue au sein du Parlement flamand.

S’il devait s’avérer qu’un gouvernement fédéral est devenu impossible à former, le docu-fiction de la RTBF « Bye bye Belgium » (2006) pourrait fort bien devenir réalité !

Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Editions Mols