Le président de la N-VA est coincé par sa promesse de ne plus jamais entrer au gouvernement fédéral sans travailler à une grande réforme de l’Etat. 

« Le Soir », Alexandre Nioppe, 10 juin 2024

Au niveau fédéral, une coalition au centre-droit, formée par la N-VA, le CD&V et Vooruit côté flamand, et le MR et Les Engagés côté francophone, semble se dégager un jour après les élections. Celle-ci tient la route, autant d’un point de vue de cohérence de ligne politique, que numériquement (elle récolte 82 sièges la Chambre sur 150).

Tout pourrait donc aller très vite, pour une fois, serait-on tenté d’écrire. Que le lecteur ne se réjouisse pas trop vite… C’est sans compter sur la promesse n°1 de Bart De Wever, répétée à l’envi durant toute la campagne : il veut une réforme de l’Etat pour rentrer au gouvernement fédéral, et avancer vers le confédéralisme.

Toujours traumatisé par son éviction lors de la dernière formation fédérale, le président de la N-VA a juré ne plus jamais rentrer dans un gouvernement fédéral sans empêcher un détricotage futur de ses mesures. L’expérience récente de la Vivaldi, arrivée après la Suédoise pour défaire tout son travail, selon lui, et sans majorité néerlandophone de surcroît, a marqué l’Anversois. Rappelons tout de même que la Suédoise, elle, n’avait de son côté pas de majorité francophone.

Le confédéralisme comme objectif premier

Surpris par les résultats plus à droite que prévus par les sondages en Wallonie, Bart De Wever se retrouve donc face à un fameux dilemme. Gouverner rapidement au centre-droit, ou faire advenir une réforme de l’Etat ? En préambule de son programme pour les élections, la N-VA écrivait ceci : « Le confédéralisme est l’objectif premier et essentiel de notre action politique aujourd’hui. Nous refuserons toute refédéralisation des pouvoirs. Nous ne voulons pas non plus d’une nouvelle réforme incomplète de l’Etat, comme les six précédentes, dans lesquelles les Flamands n’ont reçu que des bribes de pouvoir en échange d’un gros paquet d’argent pour la Wallonie et Bruxelles. La majorité démocratique flamande doit être libérée et respectée. » Si elle rentre dans un gouvernement fédéral sans une grande réforme de l’Etat, la N-VA renoncerait donc à « l’objectif premier de son action politique », d’après son programme pour les élections.

Lors de son discours de victoire, ce dimanche soir, le bourgmestre d’Anvers n’a pas dit autre chose, insistant sur la victoire des partis en faveur de plus d’autonomie flamande. « Zelfbestuur is de beste kuur » (« L’autogestion est la meilleure solution », en français), a-t-il lancé à ses militants. « Bart De Wever a déjà dit à plusieurs reprises qu’il ne monterait pas au gouvernement sans une réforme de l’Etat », confirme Carl Devos, politologue à l’UGent. « Je ne le vois pas revenir sur cette promesse », insiste le professeur.

Peu d’intérêt des électeurs

Concrètement, sachant qu’il n’y a pas de demande pour le confédéralisme chez les partis francophones de cette future coalition potentielle, quelles demandes pourrait mettre la N-VA en priorité sur la table ? « Là-dessus, c’est le flou total, car la N-VA n’a pas encore mis réellement quatre ou cinq points sur la table », répond Carl Devos. « Je me demande vraiment ce que la N-VA va proposer, je me demande d’ailleurs s’ils le savent eux-mêmes », poursuit-il.

Qui dit réforme de l’Etat d’importance, dit majorité des deux tiers à la Chambre. La coalition actuellement envisagée, qui respecte les désirs d’opposition de l’Open VLD et du PS, n’a pas cette majorité spéciale. Si la N-VA campe sur ses positions et veut à tout prix une réforme de l’Etat, il lui faudra alors convaincre ces deux partis. Cela pourrait mener, comme certains le redoutent, à une longue négociation fédérale. Si Bart De Wever s’enferme dans ce choix, respecterait-il le choix de l’électeur flamand, comme il l’affirme ? Stefaan Walgrave, professeur à l’UAntwerpen, rappelle que le communautaire n’est pas forcément considéré comme important par les électeurs. « C’est l’un des paradoxes de la politique en Flandre. Des partis qui veulent l’autonomie flamande reçoivent beaucoup de voix, mais leurs électeurs s’en préoccupent peu », explique-t-il.

Le PS n’est plus l’interlocuteur principal

Avec quelle solution, alors, pour sortir de ce dilemme ? « Il pourrait éventuellement y avoir un accord pour avancer sur une réforme de l’Etat, mais en cours de législature. Si Bart De Wever a suffisamment de garanties qui confirment que cette réforme aura lieu, alors il pourrait déjà entrer dans une coalition, et y poursuivre le travail », développe Carl Devos. Pendant la campagne, Bart De Wever avait envisagé d’avancer avec un mini-gouvernement de travail avec le PS, le temps de préparer une réforme de l’Etat en bonne et due forme. Mais à présent, avec la perte de son statut de premier parti francophone, le PS n’est plus l’interlocuteur que De Wever imaginait.

La présence d’élections locales en octobre ne devrait, par contre, pas jouer un rôle particulier. « Si les élections avaient lieu en février ou en mars, et que le niveau fédéral était toujours bloqué par des négociations, alors la N-VA pourrait être ennuyée de se retrouver dans une telle situation. Mais ici, les électeurs ne s’attendent pas forcément à avoir une coalition déjà en octobre. Ce serait donc moins dommageable d’être encore en négociations », juge Stefaan Walgrave. « Ce n’est que si l’on n’a aucun gouvernement, pas non plus au niveau flamand, que cela pourrait jouer en la défaveur de la N-VA au niveau local », ajoute le professeur de l’UAntwerpen.