
Devenue un des piliers des Engagés depuis septembre, l’ex-dirigeante de la Mutualité chrétienne Elisabeth Degryse dirige depuis cette semaine l’exécutif francophone. Si elle promet des réformes et beaucoup de concertation, elle reste floue sur les enjeux budgétaires.
Par Charlotte Hutin et Julien Thomas, « Le Soir », 20 juillet 2024
Place Surlet de Chokier, à Bruxelles, l’aménagement du bureau d’Elisabeth Degryse est pour l’instant minimaliste. Sur les rayonnages vides, seule une petite fusée rouge et blanche Tintin apporte une touche de couleur. Son prédécesseur Pierre-Yves Jeholet (MR) lui en a fait cadeau avant de quitter les lieux. Symbole de la culture belge ou de son ascension fulgurante ? Tête de liste fédérale Les Engagés à Bruxelles en juin dernier, l’ex-responsable de la Mutualité chrétienne vient à peine de prêter serment comme ministre-présidente francophone. Outre son rôle de chef d’orchestre gouvernemental, la centriste gérera le Budget, l’Enseignement supérieur, la Culture, les Relations internationales et intra-francophones. Excusez du peu ! La Bruxelloise de 43 ans a accepté de revenir dans les grandes lignes sur les enjeux de la législature à venir.
Quel type de ministre-présidente comptez-vous être ?
Je vois cette fonction comme un vrai rôle de chef d’orchestre. J’ai envie de mettre de la convivialité, et de construire une relation de confiance avec chaque ministre de mon gouvernement comme avec les administrations pour lesquelles j’ai des compétences et des responsabilités. Le deuxième élément important, c’est l’écoute et la concertation avec les secteurs. C’est comme ça qu’on arrive à mener à bien des politiques. La semaine prochaine, j’ai une série de rendez-vous qui sont fixés. Les autres sont fixés à partir de la semaine du 12 août. Je suis quelqu’un qui bosse beaucoup, mais je vais aussi travailler en équipe et déléguer.
Au regard de votre parcours de dirigeante des mutualités, vous considérez-vous comme quelqu’un de centre-gauche dans un exécutif de centre-droit (MR-Les Engagés) ?
Je suis vraiment du centre. Je ne me définis pas comme de gauche ou de centre-gauche. Au sein des Engagés, on se définit vraiment comme le centre. Pas le centre mou, le centre par conviction. On sait bien que dans notre programme, et dès lors dans notre DPC, il y a des éléments qui sont peut-être plus identifiés à droite, d’autres qui sont plus identifiés à gauche. Notre volonté est d’être au centre et de pouvoir faire le compromis.
Des mesures comme la cure d’austérité pour la RTBF ou la fin de la staturisation (la nomination à titre définitif du personnel dans la fonction publique) sont plutôt des mesures de droite. Quels sont les totems centristes, les marqueurs des Engagés ?
Je ne pense pas que l’on puisse parler de cure d’austérité, ni de politique de droite. On doit parler de politique responsable. On a aujourd’hui en Communauté française de vrais enjeux budgétaires et on a pris nos responsabilités. C’est vrai que l’on va demander à toute une série de structures de faire des efforts, mais ce ne sont pas des cures d’austérité.
Vous n’utilisez pas le mot austérité. Disons alors que la RTBF est mise à la diète avec la non-indexation des dotations pendant cinq ans. Les économies, où devra-t-elle les réaliser ?
Je ne vais pas prendre des décisions à la place du conseil d’administration de la RTBF, qui a un contrat de gestion avec le gouvernement. On prendra le temps. Je suis ministre-présidente depuis 48 h.
Votre accord de majorité insiste sur sa volonté de changement. Or, sur les quatre dernières législatures, votre parti était trois fois présent dans la majorité. Que remettez-vous en question ?
Ces cinq dernières années, le monde a considérablement changé. En 2019, on n’aurait jamais imaginé qu’en 2024, on se retrouverait après une crise covid, avec deux guerres à nos portes, avec une crise sociale. On sent bien qu’il y a une tension importante dans la société. Il y a beaucoup de gens qui se demandent comment ils vont terminer la fin du mois. Avec un MR à 30 % et Les Engagés à plus de 20 % en Wallonie, ces élections étaient une manière pour les citoyens de signifier leur volonté de changement. On doit en être digne. Le monde politique belge est dos au mur. On a cinq ans pour marquer l’essai.
Pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui croule sous le poids de sa dette (elle pourrait passer de 13 à 21 milliards d’ici cinq ans), c’est la législature de la dernière chance ?
Pour le moment, je dirais que c’est exagéré de répondre comme ça. Je n’ai pas aujourd’hui envie de mettre cette épée de Damoclès au-dessus de la Fédération que je préside depuis deux jours. J’ai envie de croire que nos projections budgétaires sont réalistes et tenables.
Venons à ces projections. Quelles sont-elles précisément ?
On ne va pas supprimer le déficit. On le maîtrisera et on évitera qu’il dérape trop. On est aujourd’hui à 1,13 milliard d’euros de déficit. A politique inchangée, on serait à 1,6 en 2029. Avec les mesures qu’on propose, y compris avec nos nouvelles politiques, on sera aux alentours de 1,2 ou 1,3 milliard.
Votre déclaration de politique communautaire (DPC) vise un retour à l’équilibre sur dix ans pour la Fédération, avec une réduction du déficit de moitié d’ici 2029. On n’y est pas du tout…
On sait que malheureusement la Fédération Wallonie-Bruxelles est sous-financée depuis toujours. Or, on n’a pas de recettes propres et on pilote des politiques essentielles. A dix ans, on voudrait bien le résorber davantage. Les deux présidents ont veillé à ce qu’une part de l’amélioration de la trajectoire francophone soit assumée par la Région wallonne.
Les Wallons devront faire des économies à la place des Bruxellois, qui se trouvent aussi dans le périmètre de compétence de la Fédération Wallonie-Bruxelles si Bruxelles refuse de contribuer dans les mêmes proportions ?
Je ne comprends pas bien le lien que vous faites avec Bruxelles parce qu’ici, on a discuté de la Région wallonne et de la Fédération et on a l’accord de la Région wallonne. Bruxelles fera son travail sur ses propres économies qui sont gigantesques.
C’est vrai que l’on va demander à toute une série de structures de faire des efforts, mais ce ne sont pas des cures d’austérité
Dans cinq ans, selon quels critères serez-vous satisfaite de votre mandat ?
Si dans l’enseignement supérieur, on a pu mettre en place un système de financement des étudiants qui tienne la route, ce serait vraiment un élément important. Et puis, il y a quand même la pénurie d’enseignants. C’est fondamental. Au niveau de l’associatif, on s’est engagé à travailler sur la manière dont ces structures sont subsidiées, à les simplifier administrativement parlant. Beaucoup d’associations expliquent qu’elles passent un temps dingue à remplir des dossiers. Et puis évidemment, il y a le budget. On doit remettre la Fédération sur les rails.
Votre cabinet sera mis en place en septembre ?
J’espère avant. Ça fait deux jours que je suis dans un bureau qui, vous l’avez vu, n’est pas très rempli. J’ai mes deux chefs de cabinet qui sont là, qui travaillent d’arrache-pied pour passer des coups de fil et rencontrer des gens. Moi, j’ai toute une série d’entretiens la semaine prochaine. J’aimerais bien que dans un mois, ce soit en route.
Pour revenir sur le couac par rapport au casting ministériel (les présidents de parti n’avaient désigné que des femmes dans un premier temps. Ils ont dû corriger le tir en redistribuant des compétences à deux hommes du gouvernement wallon, NDLR), la santé est divisée entre trois personnes : Valérie Lescrenier a la santé des enfants, vous avez les hôpitaux universitaires et Yves Coppieters a le reste.
Les hôpitaux universitaires sont en lien avec l’enseignement supérieur et la santé des enfants a toujours été à l’ONE. Ça n’empêchera pas Yves Coppieters de mener une politique de santé globale. Il y aura bien un représentant francophone en moins à la Conférence interministérielle santé (CIM).
Yves Coppieters est compétent pour le droit des femmes, matière que vous aviez initialement. Cela aurait été préférable que ce soit une femme qui en soit en charge ?
Si on commence à s’offusquer que ce soit un homme et pas une femme, on n’est pas dans le bon. Donc laissons pour une fois un homme avoir la responsabilité du droit des femmes. Il faudrait peut-être se poser la question de savoir si des journalistes hommes peuvent se tracasser du droit des femmes (rire). Plus sérieusement, il y a encore plein de choses à faire en matière d’égalité, en termes d’éducation, dans la publicité.
Venons à la culture, la matière que vous maîtrisez un petit peu moins que les autres. Comment vous l’appréhendez ?
D’abord, je préfère être honnête. Je ne suis pas du genre à faire semblant. Et puis quand je dis que je ne maîtrise pas la matière, je ne la maîtrise pas de manière réglementaire, structurée, organisationnelle et budgétaire. Par contre, je mesure complètement l’importance de la culture. Elle est fondamentale pour une société démocratique. Je vis de la culture. J’ai des enfants que j’essaye d’éduquer aussi à la découverte culturelle.
Quels seront les grands chantiers culturels ?
L’accessibilité à la culture est déjà un premier élément. Il y a aussi la liberté de création et d’association. Il y a la question du statut d’artiste. Je sais que c’est au fédéral et pas à la Fédération, mais il y a quand même des interactions. On se positionnera comme un acteur important pour s’assurer que la concertation avec les fédérations continue.
Dans la DPC, il est écrit : « Le gouvernement va remettre le public au centre de l’action culturelle. » Ce n’est pas le cas aujourd’hui ?
C’est une bonne question. Je ne sais pas vous répondre. Je n’ai pas envie de porter des jugements sur ce qui se passe aujourd’hui. Je pense que l’enjeu, comme je le disais au début, c’est la question de l’accessibilité. Et donc, c’est aussi une manière de remettre les écoles en lien avec la culture, d’encourager les actions extra-muros des centres culturels pour que ça puisse aller toucher les gens aussi là où ils sont.
La DPC évoque les familles monoparentales. Que pourrez-vous mettre en œuvre pour elles ?
C’est plus dans l’accord wallon que communautaire, mais la première chose est de créer un statut famille monoparentale comme il existe aujourd’hui un statut famille nombreuse. En termes de mobilité, ça pourrait permettre des tarifs avantageux et à d’autres politiques de se greffer sur ce statut avec, par exemple, l’accès à la culture.
Vous avez peur que le président du MR fasse de la particip-opposition comme il l’a fait avec la Vivaldi ?
Absolument pas. Je vais travailler avec les ministres de mon gouvernement, avec qui je m’entends bien. Je ne pense pas que ce soit la volonté de Georges-Louis Bouchez de faire de la particip-opposition au niveau wallon et au niveau de la Fédération. Et puis j’ai un fort caractère et on s’entend très bien.
Beaucoup de questions sans réponses
Elisabeth Degryse vient de vivre une semaine qu’elle n’oubliera jamais. Dimanche dernier, son président de parti l’a désignée ministre-présidente du gouvernement de la FWB. Dans les jours suivants, la centriste a prêté serment, présenté sa DPC et affronté une première fois les feux nourris de l’opposition. L’ex-responsable de la mutualité chrétienne, qui n’a jamais fait partie d’un exécutif, en dirige désormais un et gère de surcroît de lourdes compétences comme le Budget ou l’Enseignement supérieur. Trop peut-être ? La fonction s’annonce difficile, mais Elisabeth Degryse assure qu’elle va bien s’entourer. La mission est aussi périlleuse, mais ô combien importante au regard des défis budgétaires et des réformes souhaitées par la majorité. Notamment dans l’enseignement, où le Pacte d’excellence se mue en Pacte de confiance. Encore faudra-t-il obtenir celle des acteurs. En ce sens, au moins pour une grande partie de ses projets, il est dans l’intérêt des francophones de lui souhaiter de réussir.
Pour autant, il reste des zones de flou inquiétantes dans son accord de majorité, à commencer par les objectifs budgétaires et les moyens pour y arriver. S’emmêlant ainsi une ou deux fois les pinceaux, contredisant sa propre déclaration de politique générale, face à certaines questions pourtant légitimes. Le déficit censé être réduit de moitié d’ici 2029 passe soudain à 1,3 milliard. Mais la présidente nous apprend que la FWB ne sera dans le vert que si l’on combine ses comptes avec ceux de la Wallonie. Sauf qu’on peut se demander si cela a un sens d’additionner les déficits d’institutions qui ne couvrent pas le même territoire, ni la même population puisque la Fédération englobe également Bruxelles. Dans ces moments-là, le ton enjoué de la ministre-présidente se fait soudain légèrement cassant. Ce jeudi, elle a pris le temps (1h30 quand même) pour sa première interview en presse écrite comme ministre. Certes, elle avait prévenu : elle n’est en place que depuis deux jours et il lui faut le temps de se plonger dans les dossiers. En achevant l’interview, on ressort avec autant de questions que de réponses. Or, comme secrétaire politique des Engagés, elle a participé directement à toutes les négociations. On retient en tout cas sa volonté de changement. On verra si les syndicats s’en réjouiront.