Jeroen Struys, « Daardaar », 12 juillet 2024

Dans son communiqué du 11 juillet, le mouvement flamand met la pression sur Bart De Wever (N-VA) en plaidant pour une réforme de l’État. Jürgen Vanpraet, expert du droit constitutionnel, avait quitté le cabinet de la ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden en raison du refus des partenaires francophones de la Vivaldi de débattre du sujet. Aujourd’hui, il se montre plus optimiste.
La journée de mardi était importante pour les partis désireux de former le gouvernement fédéral. Le préformateur Bart De Wever s’est rendu chez le roi qui l’a nommé formateur. Le week-end précédent, De Wever s’était entretenu en tête-à-tête avec les présidents du MR, des Engagés, de Vooruit et du CD&V. Au centre des discussions: la norme de croissance, qui définit le montant maximal des dépenses excédentaires en soins de santé par rapport à l’index. L’indexation des allocations constitue l’autre pierre d’achoppement entre les potentiels partenaires de coalition.
La semaine passée fut consacrée aux négociations sur les pensions, l’assurance soins de santé, le budget, la défense et le nucléaire. Mais qu’en est-il des grandes ambitions communautaires ? Le mouvement flamand ne cache pas son inquiétude, comme nous pouvons le lire dans le communiqué de l’OVV (Overlegcentrum van Vlaamse Verenigingen), la plate-forme des associations flamandes.
« Nous craignons que la réforme de l’État, tellement indispensable, soit à nouveau remise aux calendes grecques, déplore son président, Paul Becue. Des partis comme le MR et Les Engagés ne sont pas connus pour leur régionalisme. Ils préféreront se concentrer sur le budget et sur l’économie, sous la pression de l’Europe. Et après deux ans, les francophones diront qu’ils ne voient plus l’utilité de réformes institutionnelles. »
Au sein du mouvement flamand, on craint davantage encore une énième mise au frigo de la réforme de l’État. La dernière fois que la N-VA est montée au fédéral, le parti a conclu un accord pour mener une politique socio-économique de droite avec le MR, avec, en contrepartie, elle a accepté de laisser de côté les revendications communautaires. Mais aujourd’hui, la N-VA ne peut pas se permettre un scénario identique. « Cela causerait des troubles au sein du parti », confie un membre de la N-VA.
Vers une république de Flandre ?
D’autres voix s’inquiètent du calme plat qui règne sur le communautaire. « Les organisations de la société civile, en général plutôt favorables à une Belgique unie, ont été entendues, affirme Jürgen Constandt de la VNZ, la mutuelle neutre flamande. Cependant, ni De Wever ni Matthias Diependaele (N-VA), le formateur flamand, n’ont entendu le mouvement flamand. Et donc, nous leur disons : c’est le moment ! Ce pays n’a jamais voté aussi flamand, ni aussi à droite. »
Nombreux sont les nationalistes flamands à ne pas avoir compris pourquoi la N-VA n’a pas discuté avec le Vlaams Belang après les élections, en dépit des bons résultats de ce dernier. Certains craignent que De Wever privilégie le poste de Premier ministre à une grande réforme de l’État. « La N-VA est vraiment devenue un parti traditionnel. Elle cède aux sirènes du luxe et du velours », juge un membre du mouvement flamand sous couvert d’anonymat.
La N-VA n’autorise que très modérément les voix dissidentes en son sein, mais en interne, la pression monte. Lorsque, à l’aube des élections, De Wever a indiqué que l’indépendance de la Flandre n’était désormais plus un must, et que le confédéralisme suffirait, la section des jeunes du parti lui a rappelé l’article 1 des statuts : « Avec de nombreux autres membres des jeunes N-VA, je m’engage en politique pour que soit réalisée l’indépendance flamande », a publié Jeroen Bergers sur X.
Cependant, aujourd’hui, il ne s’inquiète pas : « Si on n’entend pas les négociateurs parler d’une réforme de l’État, c’est qu’ils y travaillent sérieusement. J’aimerais rassurer les inquiets : nous, les jeunes N-VA, ne nous tairons pas. Il est hors de question que le communautaire soit mis au frigo. »
Un gouvernement bicéphale
De Wever a déjà fait savoir qu’il ne souhaitait pas faire entrer les réformes institutionnelles dans l’accord de gouvernement. En revanche, dès que la nouvelle coalition se mettra à l’œuvre, des travaux seront réalisés en parallèle, par exemple dans le cadre d’une commission nommée à cet effet.
Cette idée rappelle de mauvais souvenirs à Becue et à d’autres flamingants : le gouvernement De Croo était aussi censé préparer une réforme de l’État, sous la conduite de Jürgen Vanpraet, expert en la matière. Ce dernier a démissionné après un an et demi, car les partis francophones ne souhaitaient pas avancer du tout sur le sujet. C’est notamment le MR qui a freiné. Ce même MR qui, aujourd’hui plus fort que jamais, est à nouveau un interlocuteur. « J’ai été surpris de voir Georges-Louis Bouchez, avant les élections déjà, s’annoncer ouvert à la discussion sur une réforme de l’État. »
De Wever ne parviendra probablement pas à rassembler la majorité des deux-tiers nécessaire à une réforme en profondeur, mais cet obstacle n’est pas insurmontable : « Une majorité simple permet déjà de belles avancées », affirme Vanpraet. L’expert parle d’un « gouvernement bicéphale », un concept déjà évoqué par De Wever durant la campagne : les politiques de l’emploi et des soins de santé seraient réparties chacune entre un ministre francophone et un ministre flamand, lesquels adapteraient leur politique en fonction des besoins spécifiques de chaque entité. « Cela permettrait de continuer à travailler au niveau fédéral, mais de facto, c’est déjà une scission. Dans quelle mesure ? Cela dépendrait de la volonté des partis. »
Sanders Loones commissaire
Les résultats électoraux surprenants du côté francophone ont changé la donne pour le MR, qui pourra proposer un ministre-président en Wallonie et à Bruxelles. Par conséquent, en donnant plus de compétences aux régions, on ne donnera pas spécialement plus de pouvoir au PS. En effet, vu le déroulement des négociations au fédéral, ce seront normalement les mêmes majorités qui dirigeront le pays et les entités fédérées (à l’exception de Bruxelles) : des coalitions miroirs qui faciliteront la mise sur pied d’une structure bicéphale.
Selon Vanpraet, cela permettra au gouvernement suivant de procéder à la scission des compétences à proprement parler : « C’est ce qui s’est passé avec l’enseignement. Tout d’abord, on avait, au fédéral, un ministre de l’Éducation francophone et un ministre de l’Éducation néerlandophone. Cette répartition a préfiguré la communautarisation de l’enseignement. »
Pour que les discussions aboutissent cette fois-ci, les partenaires de coalition doivent figurer plus concrètement dans l’accord de gouvernement que ne l’a été la Vivaldi, juge Vanpraet, « en y reprenant des engagements et des délais clairement définis. » Et le constitutionnaliste d’ajouter : « Pour donner plus de poids politique à cette idée, on peut aussi nommer un commissaire ou un secrétaire d’État chargé des questions institutionnelles. »
Pour ce rôle, on pense à Sander Loones, l’expert en réformes de l’État de la N-VA, mais celui-ci préfère ne pas trop en parler : « J’ai toute confiance en notre préformateur. »