Trente-huit milliards en Wallonie, près de 20 milliards à Bruxelles et 21 en Communauté française à l’horizon 2029 : l’ardoise francophone va continuer à plomber les finances publiques de la Belgique. Alerte rouge ? 

Article de Maxime Biermé et Bernard Demonty dans « Le Soir » du 9 juillet 2024

Après les élections du 9 juin, les négociations en vue de la formation des gouvernements vont bon train. Les coalitions MR-Engagés en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles pourraient voir le jour dès cette semaine. A Bruxelles, le MR tente de rapprocher les points de vue avant de commencer à négocier. Mais dans toutes les entités fédérées, une préoccupation domine, pour une fois, aurions-nous envie d’écrire : les finances. David Leisterh, président de la régionale bruxelloise du MR, qui mène les négociations dans la capitale en fait une priorité. « On a manqué de sérieux budgétaire, il faut redresser la barre », a-t-il expliqué. En Wallonie, Maxime Prévot, qui mène les négociations pour Les Engagés n’a pas dit autre chose. A la veille des premières formations, quelle est la taille de l’ardoise des entités fédérées ? On fait le point avec Coralie Franc et Laurent Collot, de l’UNamur, qui viennent de publier leurs prévisions financières pour toute la durée des législatures à venir.

Une hausse de 10 milliards de la dette sur la législature en Wallonie

En Wallonie, la situation est qualifiée de « préoccupante » par nos spécialistes. « Nous avons effectué des simulations à politique inchangée, et en partant du principe que les plans de relance ne seront pas prolongés, indique Laurent Collot. Sur la période 2024-2029, il y a une amélioration du solde mais malgré cela, il resterait déficitaire à – 1,3 milliard en 2029. Si on compare cela avec les recettes de 17,56 milliards en 2029, on reste confrontés à un ratio de déficit élevé à politique inchangée. Nous sommes en déficit tous les ans, donc la trajectoire de la dette reste en hausse. Elle augmente de 10 milliards, passant de 28 à 38 milliards sur la période 2024-2029, ce qui est quand même une hausse très importante. » Deux raisons d’espérer, quand même. D’abord, la baisse du déficit donne des marges de manœuvre à la Région, qui ne doit pas craindre pour le moment un effet boule de neige, où les charges d’intérêt augmenteraient chaque année le déficit avec une perte de contrôle. Deuxième point positif, la Région dispose de leviers à la fois sur ses recettes et ses dépenses. « La Région wallonne dispose d’une autonomie fiscale, et peut réduire ses dépenses, par exemple en interrompant les plans de relance. »

Une dette bruxelloise qui crève le plafond

Le constat n’est pas neuf mais il saute particulièrement aux yeux lorsqu’on se penche sur les graphiques réalisés par les économistes du Cerpe. Le solde de la dette bruxelloise exprimé en pourcentage des recettes est de 321,99 % ! Gigantesque, « surtout si on compare avec les seuils que les entités fédérées devraient normalement respecter pour que la Belgique soit dans les clous européens », détaille Coralie Franc. « Derrière ce chiffre, il y a aussi pour conséquence la charge des intérêts de la dette qui évolue dans le mauvais sens. Cela veut dire concrètement que toute une partie des recettes de la Région va dans le remboursement des intérêts plutôt qu’à des politiques utiles pour les citoyens. Par ailleurs, cela envoie le signal que la Région ne maîtrise pas ses coûts. »

Et une Région mal vue, c’est potentiellement une région dégradée par les agences de notation et des coûts d’emprunt encore plus élevés. Bruxelles n’en est pas là mais elle risque à tout moment de basculer dans ce cercle vicieux.

Bas du formulaire

Si Bruxelles est tombée aussi bas, c’est en bonne partie à cause de facteurs structurels comme les investissements dits « stratégiques » : « On peut citer le métro et tout ce qui concerne le logement », détaille Coralie Franc. « Ce sont des investissements qui sont une charge importante pour le budget sur une longue durée et dont on n’aura pas les effets retours d’ici la fin de la législature. » Ajoutez à cela les crises sanitaires et les conséquences de la guerre en Ukraine sur les prix de l’énergie, l’inflation… Saupoudrez le tout avec le statut particulier de « capitale » qui incombe à Bruxelles avec des personnes qui transitent mais ne contribuent pas aux recettes de la Région. Vous obtiendrez ce qui ressemble de plus en plus à une dette embarquée dans un processus explosif. En tout cas une dette qui crève le plafond.

Les salaires des profs plombent la Fédération Wallonie-Bruxelles

Les économistes du Cerpe tablent sur une augmentation de la dette de la FWB qui passerait de 13 à 21 milliards durant la législature 2024-2029. Une situation « préoccupante » et particulière pour cette entité dont la marge de manœuvre est « étriquée ».

La très grande majorité des recettes de la Fédération proviennent en effet du pouvoir fédéral. Comme elle ne peut pas prélever directement d’impôt, la FWB n’a donc pas de contrôle sur les montants qu’elle reçoit. Pour ne rien arranger, la Fédération Wallonie-Bruxelles n’a pas non plus réellement de contrôle sur les dépenses : « Elles sont composées à 46 % des dépenses en matière de personnel enseignant », détaille Laurent Collot. « Difficile donc d’y toucher. » « D’autant plus que ce sont des dépenses salariales liées à l’indice santé (qui provoque l’augmentation des salaires automatiquement, NDLR) qui s’impose à la Fédération », complète Coralie Franc. « On peut dire que la Fédération “subit” ses augmentations. »

N’y a-t-il alors rien à faire pour rentrer dans les clous à moins de baisser les salaires des profs ? « En Flandre, ils ont décidé de répondre à la problématique de sous-financement des compétences communautaires en fusionnant la Région flamande et la communauté flamande », rappelle Laurent Collot. « Mais pour faire la même chose côté francophone, il faudrait un accord belge au niveau institutionnel, ce qui s’annonce aussi très compliqué. »