Jules Gheude, essayiste politique (1)

« Alors, la Belgique, combien de temps encore selon vous ? »

Telle est la question qui m’est régulièrement posée depuis les élections du 9 juin dernier.

Nous avons connu les responsables francophones « demandeurs de rien » en matière de réforme de l’Etat et qui ont toujours fini par céder. On ne lâcherait jamais les Fourons ! On ne scinderait jamais Bruxelles-Hal-Vilvorde ou les allocations familiales ! Onbespreekbaar ! Que de barricades qui se sont  avérées être en papier mâché !

Jusqu’aux élections du 9 juin dernier, c’était non au confédéralisme, à tout dépeçage massif de l’Etat. Non à ce qui avait été le thème central de la campagne de la N-VA.

Or, voilà que cette N-VA arrive en tête de la compétition fédérale et que le roi désigne son président, Bart De Wever pour tenter de former une nouvelle coalition constituée, du côté francophone, du MR et des Engagés, et, du côté néerlandophone, de la N-VA, du CD&V et de Vooruit.

Et tout le monde est d’accord pour placer le leader des indépendantistes flamands, à la tête de cette Arizona…

Quand j’ai dit cela, je pense répondre déjà à la question « Le Belgique, combien de temps encore ? ». Que peut-il arriver à une caserne de pompiers dont on confie la direction à un pyromane ? Ou, pour reprendre la jolie formule de feu Pierre Bouillon, journaliste au « Soir » : « Que fait un séparatiste, s’il bénéficie de la légitimité démocratique ? Ben, il sépare. Ca t’étonne, Yvonne ? »…

Je suis retombé sur un article que « L’Avenir » m’avait consacré en mai 2008 et qui était intitulé « Le prophète de l’apocalypse récidive ».

Je venais alors de lancer, avec trois amis, le projet des Etats généraux de Wallonie, qui allait se concrétiser, un an plus tard, à l’Université de Liège.

Le but de cette initiative était de réfléchir aux diverses options d’avenir pour la Wallonie dans l’hypothèse d’une disparition de la Belgique.

Le titre « Le prophète de l’apocalypse récidive », par son côté ironique, montrait le peu de crédit que la journaliste accordait à mon action.

Or, celle-ci n’avait rien de fantaisiste puisque, deux ans plus tôt, le 13 décembre 2006, les programmes de la RTBF avaient été interrompus pour annoncer que la Flandre venait de proclamer son indépendance. Ce documentaire-fiction, que l’on a appelé « Bye bye Belgium », fit évidemment grand bruit. Quant à feu Xavier Mabille, le directeur du très sérieux Crisp (Centre de Recherche et d’Information socio-politiques), il avait écrit en 2007, dans la préface à mon livre « L’incurable mal belge sous le scalpel de François Perin » : « Au cas où s’accomplirait l’hypothèse de la scission de l’Etat (hypothèse dont je dis depuis longtemps qu’il ne faut en aucun cas l’exclure), il m’apparaît clairement que le problème ne pourrait qu’acquérir alors une dimension européenne et internationale qui lui fait défaut jusqu’à cette date. »

Je ne me suis jamais considéré comme un prophète, m’étant toujours basé sur les faits pour forger mon analyse. Et j’ai toujours déclaré que, à mes yeux, la disparition de la Belgique n’aurait rien d’apocalyptique.

Il me faut rappeler ici que, 23 ans avant la diffusion de ce docu-fiction « Bye bye Belgium », exactement le 9 mars 1983, François Perin avait publié, dans l’hebdomadaire « Pourquoi Pas ? », une tribune intitulée « Et si les Flamands proclamaient leur indépendance ? ». Jean Gol, alors vice-Premier ministre et ministre de la Justice (PRL), lui avait adressé le petit mot manuscrit suivant, que je possède dans mes archives : « Je suis d’accord à 100% avec votre article du « Pourquoi Pas ? ». Mais le délai est sans doute un peu plus long ; je ne suis pas fonctionnellement en position d’exprimer publiquement mon accord. J’agis cependant chaque jour pour préparer cette échéance et une réponse francophone de survie digne, raisonnable et dans l’ordre. »

Jean Gol, dont le Centre d’Etudes du MR porte aujourd’hui le nom, était donc convaincu que la maison Belgique finirait par s’écrouler sous les coups de bélier du nationalisme flamand. Et il réfléchissait à l’avenir post-belge des Wallons et des Bruxellois. La mort, hélas ! l’a emporté brutalement en 1995.

François Perin a eu très tôt la conviction qu’une réforme institutionnelle de type fédéral était nécessaire pour permettre une meilleure cohabitation des diverses Régions et Communautés du pays. Dès 1962, dans un essai intitulé « La Belgique au défi », il écrit : « Si aucune révision constitutionnelle n’intervient à temps, l’éclatement du pays pourrait se solder par des institutions centrales très simples : des délégués des gouvernements wallon, flamand et bruxellois se concertent d’une manière régulière au sein d’un conseil fédéral et passent des conventions entre Etats pour la gestion d’intérêts communs (…) Les trois parties gardent la plénitude de leur souveraineté : seules des conventions entre voisins régleraient les problèmes auxquels ils seraient inévitablement confrontés. C’est une formule de confédération centrifuge. »

Député du Parti Wallon des Travailleurs puis du Parti Wallon, François Perin s’est démené comme un beau diable pour faire sortir les partis politiques traditionnels de leur inertie. Au lendemain du « Walen buiten » de l’Université de Louvain, en 1968, il crée le Rassemblement Wallon et force finalement le gouvernent de Gaston Eyskens à adopter les articles 107 quater et 59 bis de la Constitution, relatifs respectivement à la régionalisation et à l’autonomie culturelle.

Très vite, cette autonomie culturelle, revendication majeure de la Flandre, est mise en application. Mais la majorité des 2/3 fait défaut pour mettre en place, de façon définitive, les régions wallonne, flamande et bruxelloise. La Flandre, en effet, entend freiner l’éclosion de Bruxelles en tant que région à part entière.

Devenu ministre de la Réforme des Institutions en juin 1974 dans le gouvernement Tindemans, François Perin va déployer son talent de constitutionnaliste pour mettre sur les rails, en l’absence de cette majorité des 2/3, une régionalisation préparatoire pour la Wallonie et la Flandre. Je faisais à l’époque partie de son Cabinet et il m’avait notamment chargé de lui confectionner chaque jour une revue complète de la presse flamande.  Cela m’a été très utile pour comprendre les motivations réelles au Nord du pays.

Dans l’opposition, le Parti socialiste pratiquera la politique de la chaise vide au sein du premier Conseil régional wallon, mais l’essentiel, pour François Perin, était de rendre le processus irréversible, ce qui fut le cas.

Il a démissionné de sa fonction ministérielle fin 1976, à la suite de la crise survenue au sein du Rassemblement Wallon. Le président Paul-Henry Gendebien avait, en effet, rompu le pluralisme idéologique qui caractérisait la formation en lui faisant prendre un virage à gauche.

Cela amena le trio Perin-Gol-Knoops à négocier avec les libéraux la formation d’un nouveau parti, le PRL, l’actuel MR.

En 1978, le Premier ministre Leo Tindemans, démocrate-chrétien flamand, va torpiller perfidement le Pacte d’Egmont, qui avait le mérite de concilier les points de vue de la Volksunie et du FDF. Le 26 avril 1980, face à l’échec des négociations au sujet de la problématique bruxelloise, François Perin démissionne spectaculairement du Sénat. Les propos qu’il tient constituent un morceau d’anthologie. Ils me rappellent ce fameux passage du film « Le Président » d’Henri Verneuil, lorsque Jean Gabin annonce son départ de la vie politique. Voici ce que déclare Perin : « Après avoir entendu toutes les déclarations qui ont été faites ces derniers temps et particulièrement au cours du présent débat, après avoir vu, échec après échec, tous les événements des dernières années, je ne parviens plus, en conscience, à croire en l’avenir de notre Etat. Il est difficile de rester parlementaire d’un Etat auquel on ne croit plus et représentant d’une nation – selon les termes de la Constitution – qui n’existe plus. Je remets ce jour ma démission de sénateur au président de cette assemblée. Mon motif est simple et triple. La Belgique est malade de trois maux incurables et irréversibles. Le premier mal, je l’ai dit antérieurement, est le nationalisme flamand, qu’il s’avoue ouvertement ou non. Le second, c’est que la Belgique est livrée à une particratie bornée, souvent sectaire, partisane, partiale, parfois d’une loyauté douteuse au respect de la parole donnée et de la signature, mais très douée pour la boulimie avec laquelle elle investit l’Etat en jouant des coudes, affaiblissant son autorité, provoquant parfois le mépris public. Le troisième mal, irréversible et incurable, c’est que la Belgique est paralysée par des groupes syndicaux de toutes natures (…), intraitables et égoïstes, irresponsables, négativistes et destructeurs finalement de toute capacité de l’Etat de réformer quoi que ce soit en profondeur. Et il n’y a rien, ni homme, ni mouvement d’opinion, pour remettre tout cela à sa place et dégager l’autorité de l’Etat au nom d’un esprit collectif que l’on appelle ordinairement la nation, parce que, dans ce pays, il n’existe plus de nation. Voici, Monsieur le Président, ma démission de sénateur. Je reprendrai, en conséquence, en solitaire, le chemin difficile des vérités insupportables. Adieu ! ».

François Perin aura alors l’occasion d’expliquer tout ce qu’il a vainement tenté de faire avec les libéraux flamands pour aboutir à un consensus institutionnel. « J’ai des dates, des rendez-vous annulés unilatéralement, sans motif. Lors d’une séance de rencontre, Vanderpoorten est venu, toujours aussi gentiment, muet comme une carpe, entrant à 9 heures et sortant à midi, sans piper un mot. Voyez aujourd’hui les amendements déposés par Vanderpoorten. Tous plus ultra-flamingants les uns que les autres, en surenchère du CVP et de la Volksunie ! Et après ça, il viendra dire qu’il a foi en la nation. De quelle nation parle-t-il ? De la belge ? Mais il a contribué, comme les autres, à la faire disparaître ! »

La seconde moitié du XXe siècle fut marquée par l’influence et la radicalité du parti démocrate-chrétien flamand, au point que l’on parla d’Etat-CVP.

Le parti mit tout en œuvre pour saper les fondements unitaires de l’Etat et affirmer la souveraineté de la Flandre, depuis la fixation de la frontière linguistique en 1962 à la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde en 2011, en passant par le « Walen buiten » en 1968 et l’autonomie culturelle en 1970.

En 1973, Manu Ruys, l’influent éditorialiste du journal catholique « De Standaard » pourra ainsi sous-titrer son livre « Les Flamands » : « Un peuple en mouvement, une nation en devenir ».

Les réformes de l’Etat se succèderont, offrant chaque fois plus d’autonomie à la Flandre.

En 1992, le Premier ministre CVP Jean-Luc Dehaene parvint, au prix de discussions pénibles, à un accord institutionnel qui faisait de la Belgique un Etat fédéral. Ce fut l’accord de la Saint-Michel qui réglait, entre autres, le financement des Communautés.

Grâce à ses collaborateurs qui disposaient d’un matériel informatique très performant – d’où le nom de Toshiba-boys qu’on leur donna -, Jean-Luc Dehaene avait trouvé le moyen pour que l’enseignement francophone soit rapidement asphyxié.

C’est ainsi que les responsables francophones – demandeurs de rien – se virent contraints, en 2001, de faire de nouvelles concessions en échange d’un refinancement de leurs écoles : surreprésentation forfaitaire abusive pour la minorité flamande au Parlement régional bruxellois ; présence automatique d’au moins un échevin flamand dans les collèges communaux ; régionalisation de la loi communale en vue d’offrir à la Flandre des moyens plus vigoureux pour mettre au pas les francophones de la périphérie.

Les années 80, avec les gouvernements Martens-Gol, furent marquées par la crise fouronnaise. Pas question, pour la Flandre, et notamment le ministre de l’Intérieur CVP Luc Van den Brande, de nommer José Happart comme bourgmestre de Fourons. Tout cela se solda, fin 1988, par le sacrifice de l’intéressé et le bétonnage des Fourons dans le Limbourg en échange de la mise sur les rails de la Région bruxelloise.

Bref, la Belgique est une sorte de souk permanent.

En voyant ce qui s’est passé depuis la crise des 541 jours de 2010-2011 jusqu’aux négociations actuelles pour la formation d’un nouveau gouvernement fédéral, on mesure la pertinence de la prévision faite par François Perin, le 28 avril 1981, dans le journal « La Meuse » : « Cela fait des années que je pressens ce qui va arriver. (…) Après d’éventuelles élections qui n’auront fait qu’exacerber une crise financière et économique insoluble, le malheureux chef de l’Etat se mettra à courir après un gouvernement introuvable. La Belgique peut disparaître par implosion. Qu’est-ce qui empêcherait les Flamands de proclamer unilatéralement leur indépendance et d’affirmer leur nation ? Ils ont créé tous les instruments de leur future légitimité. (…) Jamais l’Europe, ni l’OTAN, dira-t-on, ne laisseront éclater la Belgique. Que pourraient-ils faire : débarquer les Marines pour nous apprendre par la force à vivre ensemble ? Au contraire, la Belgique est un partenaire si peu fiable que nos alliés ne seraient peut-être pas fâchés de la voir disparaître. »

J’ai rappelé l’introduction du fédéralisme dans la Constitution en 1993. Mais l’encre n’étais pas encore sèche que Luc Van den Brande, alors ministre-président flamand CVP, lançait l’idée du confédéralisme. Une idée qui fut avalisée par le Parlement flamand en 1998. Il s’agit, ni plus ni moins, de mettre en place ce que propose aujourd’hui la N-VA. On dépiaute au maximum le pouvoir central, qui ne conserve que trois ou quatre missions, et on transfère tout le reste aux Etats wallon et flamand, lesquels, pour ce qui concerne les matières liées aux personnes, cogèreront Bruxelles. Chaque habitant de la capitale devra choisir entre le paquet flamand ou le paquet wallon pour l’impôt des personnes, les soins de santé, etc.

Cela me rappelle ce que Gaston Geens, un autre ministre-président flamand CVP, avait un jour déclaré : « Nous achèterons Bruxelles. »

Est-il besoin d’ajouter ici le cartel CVP/N-VA porté sur les fonts baptismaux en 2004 par le Premier ministre CVP Yves Leterme, celui-là même qui avait qualifié la Belgique d’« accident de l’histoire » ?

Aujourd’hui, il y a entre le CD&V et la N-VA l’épaisseur d’un papier à cigarette.

En 2007, le président du CVP, Wouter Beke, avait déclaré au journal québécois « Le Devoir » : « Nous voulons une véritable confédération où chacun pourra agir comme il l’entend. Si les francophones n’acceptent pas de lâcher du lest, nous n’aurons pas d’autre choix que l’indépendance. » Difficile d’être plus clair !

Les libéraux flamands ne sont pas non plus en reste en matière d’intransigeance. J’ai rappelé tout à l’heure à quel mur François Perin s’était heurté en 1978-1979, lorsqu’il avait tenté d’aboutir à un accord institutionnel avec ses homologues flamands.

En 2002, alors qu’il était président des libéraux flamands, Karel De Gucht avait eu ces propos : « Le Belgique est condamnée à disparaître à terme, à s’évaporer et, en attendant, elle n’apporte plus aucune valeur ajoutée à la Flandre. Il est inadmissible que la Flandre paie davantage pour les soins de santé et reçoive moins en retour de la Wallonie. »

Et un an plus tard, en 2003, le ministre-président Open VLD, Patrick Dewael, présentait au Parlement flamand ses priorités pour une future réforme de l’Etat. Il était question de scinder quasi tout l’éventail des compétences restées fédérales, dont les soins de santé.

Citons enfin Bart Somers qui, lorsqu’il présidait l’Open VLD, avait précisé : « Dans ma génération, nous donnons priorité aux intérêts flamands. (…) Les francophones doivent savoir que les Flamands sont résolus. (…) Nous n’accepterons pas que notre croissance et notre emploi soient freinés parce que la Wallonie ne veut pas rencontrer nos demandes. »

Le président du MR, Georges-Louis Bouchez a la nostalgie des familles politiques d’autrefois. Mais c’est une illusion, comme le lui a fait remarquer l’historien libéral Hervé Hasquin : « Croyez-moi, un libéral flamand est un nationaliste flamand. » 

La famille sociale-chrétienne n’a pas résisté au choc du « Walen buiten » en 1968. Les libéraux se sont ensuite scindés en 1972 et les socialistes en 1978. On ne remettra pas le dentifrice dans le tube.

Hier, le CD&V était présent au gouvernement sans le CdH. Aujourd’hui, Vooruit négocie sans le PS et le MR sans l’Open VLD.

Pour Paul Magnette, le président du PS, il est clair que, « avec Bart De Wever, on est dans une logique confédérale – – pour la première fois en Belgique, le gouvernement fédéral est le reflet des majorités régionales et non plus le choix d’un projet fédéral ».

Il est intéressant de voir la réaction de Bart De Wever après sa démission comme formateur. Il est important, dit-il, d’avoir un gouvernement « pour la prospérité de la Flandre ».

J’ai failli tomber de ma chaise en lisant l’interview que Maxime Prévot a accordée au « Soir » en sa qualité de médiateur. Alors qu’il s’était toujours montré hostile à un gouvernement avec la N-VA, le voilà qui se met à encenser Bart De Wever qui, selon lui, doit aller au 16 rue de la Loi : « Je confesse que je ne le connaissais pas bien. Là, je vois quelqu’un qui n’a jamais témoigné de mépris, qui a été systématiquement dans l’écoute et l’empathie pour trouver des voies de compromis. Honnêtement, je lui tire mon chapeau. (…) Jusque-là, nous avions connu un Bart De Wever qui tenait des propos cinglants à l’égard de la Wallonie. Mais ça, je ne l’ai jamais senti dans les négociations. »

Maxime Prévot est-il naïf au point d’avoir oublié que Bart De Wever est le leader des nationalistes flamands ? N’a-t-il pas lu le préambule du programme électoral de la N-VA : « Le confédéralisme est l’objectif premier et essentiel de notre action politique aujourd’hui. Nous refuserons toute refédéralisation des pouvoirs. Nous ne voulons pas non plus d’une nouvelle réforme incomplète de l’Etat, comme les six précédentes, dans lesquelles les Flamands n’ont reçu que des bribes de pouvoir en échange d’un gros paquet d’argent pour la Wallonie et Bruxelles. »

Le CD&V, lui aussi, est resté sur sa faim au niveau institutionnel avec la Vivaldi. C’est tout particulièrement pour lui que le programme gouvernemental avait inclus la préparation d’une nouvelle réforme de l’Etat pour 2024, notamment en ce qui concerne les soins de santé. Mais rien n’a été accompli.

Maxime Prévot pense-t-il vraiment que, à la veille des élections communales du 13 octobre, Bart De Wever peut se permettre de baisser la garde quant à la défense des intérêts fondamentaux de la Flandre ?

Au Parlement flamand, la N-VA et le Vlaams Belang sont au coude-à- coude. Les deux formations indépendantistes détiennent chacune 31 sièges sur les 124 que compte l’assemblée. En cas de blocage total au niveau fédéral, une proclamation unilatérale d’indépendance pourrait fort bien se produire, avec l’appui du… CD&V.

Souvenons-nous de la déclaration de l’ancien ministre de la Justice CVP, Stefaan De Clercq, au « Soir » en 2013 : « Il y a toujours eu en Flandre deux forts courants : la démocratie chrétienne et le nationalisme démocratique. Ensemble, ils représentent un sentiment très majoritaire en Flandre. La relation entre le nationalisme et la démocratie chrétienne est profondément ancrée dans l’ADN flamand. »

La crise politique de 2010-2011 – 541 jours pour constituer un gouvernement de plein exercice – avait amené la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française à dépêcher chez nous deux de ses membres pour une mission de trois jours. Leur rapport sur la situation intérieure belge, qualifié d’« assez sombre », souligne les « clivages profonds » auxquels la Belgique est confrontée.

Ce passage, notamment, est édifiant : « C’est aussi le signe d’une divergence essentielle entre les visions des partis en présence, divergence d’autant plus redoutable qu’elle ne concerne pas le contenu des politiques publiques au sens traditionnel du terme, mais qu’elle touche à la conception même de l’Etat, à la nature des institutions et du pacte primordial qui les fonde. »

Bref, pour les auteurs du rapport, la division de la Belgique en deux groupes linguistiques de plus en plus cohérents et dissemblables rend son existence de moins en moins probable.

Les élections du 9 juin dernier ont permis de mettre fin en Wallonie à l’hégémonie détenue par le PS depuis plus de quatre décennies. Cette hégémonie explique l’attitude négative que la Flandre a développée à l’égard de la Wallonie. Ce sont les Wallons qui ont voulu la régionalisation, pensant opérer ainsi plus efficacement le redressement économique de leur région. Depuis l’introduction de cette régionalisation en 1980, le PS a tenu, de manière quasi ininterrompue, le gouvernail de l’Exécutif wallon (15 ministres-présidents sur 19). La pieuvre rouge a infiltré ses tentacules dans tous les rouages du moteur wallon, plongeant la région dans les abysses budgétaires. Pour la Flandre, qui doit sa prospérité économique à un réseau dense et dynamique de PME qui lui permet de réaliser plus de 80% des exportations belges, il était devenu intenable de poursuivre la solidarité financière avec une Wallonie manifestement mal gérée. D’où la décision de mettre fin progressivement aux transferts financiers (quelque 7 milliards d’euros par an). Le discours flamand est bien connu : libre à la Wallonie de mener la politique qu’elle souhaite à condition d’en porter seule la responsabilité financière.

A noter aussi que, dès le départ en 1980, la Flandre a opté pour l’économie des moyens en opérant la fusion Région-Communauté : un seul gouvernement, un seul parlement, le tout implanté à Bruxelles dans un but stratégique évident.

La coalition Vivaldi nous a offert un concert médiocre où les interprètes semblaient suivre des partitions différentes. Ce fut un pugilat permanent entre le président du MR et ses homologues du PS et d’Ecolo. Pugilat qui s’est poursuivi, d’une façon particulièrement violente, durant la dernière campagne électorale.

Si l’Arizona parvient voir le jour, on peut s’attendre à un beau western entre le président du MR et Conner Rousseau, son homologue de Vooruit. L’ex-présidente des socialistes flamands, Melissa Depraetere, qualifie déjà Georges-Louis Bouchez de « partenaire peu fiable ». Et le fait d’avoir été obligé de démissionner de sa mission de formateur amènera peut-être Bart De Wever à nourrir quelque rancune envers Georges-Louis Bouchez. La politique n’exclut pas les sentiments humains !

Autre écueil de taille : la formation du gouvernement bruxellois. Faute de trouver une majorité du côté néerlandophone, les négociations n’ont toujours pas pu démarrer.

Groen, Vooruit et l’Open VLD ne totalisent en effet que huit des neuf sièges requis. Le député CD&V Benjamin Dalle n’a nulle envie de venir à la rescousse, car il ne pourrait pas compter sur un portefeuille ministériel au sein du futur gouvernement.

Reste la possibilité de se tourner vers la Team Fouad Ahidar, ex-Vooruit, ou la N-VA, qui disposent respectivement de trois et deux sièges. Mais ces deux formations font l’objet de tirs de barrage plus ou moins assumés de la part d’autres partenaires. Pas question, en effet, pour Vooruit et l’Open VLD, de s’allier avec un homme qui a fait prioritairement campagne sur l’islam, n’hésitant pas, à propos du conflit israélo-palestinien, à traiter les juifs de « psychopathes ».

La Belgique, combien de temps encore ?

Sa naissance, en 1830, fut le fruit des négociations diplomatiques qui s’ouvrirent à la Conférence de Londres à la suite l’effondrement du Royaume des Pays-Bas.

La méfiance des grandes puissances européennes de l’époque, l’Angleterre notamment, à l’égard de la France était telle qu’il fallut se résoudre à créer un nouvel Etat-tampon.

Rien de très glorieux dans tout cela. Les gens ne sont nullement consultés. Le Congrès national belge est élu par 2% à peine de la population et le choix du monarque, Léopold de Saxe-Cobourg, nous est imposé par Londres.

François Perin a donc tout à fait raison lorsqu’il souligne : « La Belgique est un artifice, à l’origine une sorte de protectorat anglais. »

Talleyrand, qui était à l’époque ambassadeur de France à Londres, ne croyait pas aux chances de viabilité de ce nouvel Etat. Voici ce qu’il déclarait, en 1832, à la princesse de Lieven : « Les Belges, ils ne dureront pas. Tenez, ce n’est pas une nation. Deux cents protocoles n’en feront jamais une nation ; cette Belgique ne sera jamais un pays ; cela ne peut tenir. »

192 ans après ces propos, la Belgique est toujours là. Mais à quel prix et dans quel état !

En fait, dès le départ, le ver se trouvait dans le fruit.

Comment, en effet, un tel Etat pouvait-il connaître une évolution paisible, lorsqu’on lit cette lettre adressée par Charles Rogier à Jean Raikem (les deux hommes figuraient parmi les neuf représentants de Liège au Congrès national, de novembre 1830 à juillet 1831) : « Les premiers principes d’une bonne administration sont basés sur l’emploi exclusif d’une langue et il est évident que la seule langue des Belges doit être le français. Pour arriver à ce résultat, il est nécessaire que toutes les fonctions civiles et militaires soient confiées à des Wallons et Luxembourgeois. De cette manière, les Flamands, privés temporairement des avantages attachés à ces emplois, seront contraints d’apprendre le français, et l’on détruire ainsi peu à peu l’élément germanique en Belgique. »

Ce que Charles Rogier envisage ici n’est ni plus ni moins qu’un un génocide linguistique et culturel.

C’est précisément pour empêcher ce génocide qu’un Mouvement flamand va se constituer rapidement. De nature romantico-culturelle à ses débuts, il finira par acquérir une dimension sociale et politique.

La grande majorité des francophones ignore à quel point ce mouvement a dû lutter pour arracher les premières lois linguistiques – ce n’est qu’en 1873 que les Flamands pourront être jugés dans leur langue ! – et faire en sorte que la Flandre puisse trouver sa juste place au sein de l’hémicycle politique. Au début du XXe siècle, le cardinal Mercier parlait toujours de « l’unité belge, cimentée par l’emploi de la langue française ». A ses yeux, le flamand était la langue des servantes et des valets.

Tout cela, bien évidemment, a laissé des traces et contribué à engendrer un sentiment puissant d’appartenance collective, qui s’apparente à la nation.

Réalisant l’élan irrésistible du flamingantisme, un Mouvement wallon se constituera au début du XXe siècle. L’un de ses piliers, Jules Destrée, adressera sa fameuse lettre au Roi en 1912, dans laquelle on peut lire : « Non, Sire, il n’y a pas d’âme belge. La fusion des Flamands et des Wallons n’est pas souhaitable, et, la désirât-on, qu’il faut constater encore qu’elle n’est pas possible. (…) L’œuvre maudite se poursuit lentement, par degrés, sans brusque éclat, avec la patiente opiniâtreté qu’ils apportent à leurs conquêtes. (…) Le Flamand ne recule jamais. Il a la douce obstination têtue du fanatisme. »

Aujourd’hui, le Mouvement wallon a disparu depuis belle lurette, mais le Vlaamse Volksbeweging, lui, est toujours là, avec ses nombreuses structures locales. Et l’objectif n’a pas varié :’indépendance de la Flandre.

Dans la dernière interview qu’il accorda au « Soir », en 2011, François Perin explique : « D’étape en étape, le mouvement flamanda gagné sur toute la ligne. Il a gagné de devenir une nation, avec un esprit collectif qui, de fil en aiguille, deviendra une conscience nationale. Bart De Wever est dans la ligne, et logiquement, il dit : Nous voulons un Etat flamand indépendant. Et vous avez noté que, pour expliquer ça, il va d’abord à Londres. Chez Cameron, il y a quelques mois. Il connaît l’histoire, De Wever. L’Angleterre – la France n’y verra pas d’inconvénient – sera le premier Etat à reconnaître l’indépendance de la Flandre quand celle-ci sera proclamée. (…) La N-VA ne va pas s’évanouir, nationalisme flamand est bien ancré. Il est porté tantôt avec virulence et haine, par certains, tantôt avec un louvoiement prudent par d’autres, mais il ne s’arrête pas, il ne s’arrête jamais. »

Et François Perin d’ajouter, à l’adresse des responsables politiques wallons : « Quel est l’intérêt de s’acharner à vouloir un gouvernement belge ? C’est que cela fournit un grand nombre d’emplois de ministres, et de cabinets ministériels. Alors, on tire sur la corde. (…) Je souhaite donc le scénario suivant : la proclamation d’indépendance de la Flandre, une négociation pacifique de la séparation et du sort de Bruxelles, et la Wallonie en France. »

Il me faut à présent conclure.

La Belgique, combien de temps encore ?

Je ne suis pas devin. Mais pour avoir suivi attentivement l’évolution des choses depuis plus de 50 ans, je reste convaincu que le démantèlement de la Belgique est un processus inéluctable. Le confédéralisme, revendiqué par Bart De Wever, est l’antichambre du séparatisme. Après avoir réduit le pouvoir central à la portion congrue, il ne faudra, en effet, pas longtemps à la Flandre pour l’estimer superflu.

J’ai retrouvé un vieux numéro de l’hebdomadaire « Pourquoi Pas », daté du 25 avril 1947 et consacré au libéral Jean Rey, dont la sagesse de jugement était unanimement reconnue. « Partout, dit-il, quand un Etat unitaire est travaillé par un mouvement nationaliste, il est impossible qu’il ne finisse pas par craquer. »

Jules Gheude vient de sortir un deuxième roman, « Le Suicidé de Porquerolles », aux Presses du Midi à Toulon. La perspective d’une intégration de la Wallonie à la France y est notamment évoquée.