Audrey Levy, « Marianne », 14 septembre 2024

Outre-Quiévrain, certains veulent rattacher la Wallonie à la France. Une blague ? Non, une vieille idée, mais la difficulté des Belges à former un gouvernement depuis le 9 juin ne lui redonnerait-elle pas vie ?
Indépendance de la Flandre, fin de la Belgique et… rattachement des Wallons à la République française.
Vainqueur des élections législatives et régionales du 9 juin, le leader nationaliste flamand Bart De Wever (Nieuw-Vlaamse Alliantie) vient de remettre son mandat de négociateur en chef au roi Philippe, faute de coalition. Mais dans ses cartons figurait le projet de transformer la Belgique fédérale en État confédéral pour donner davantage d’autonomie à la Flandre. Sous l’égide du souverain, les consultations reprennent. Une nouvelle crise existentielle dans le ciel du « plat pays ».
Difficile d’imaginer, tant l’âme belge fait partie depuis longtemps de notre culture, que la Belgique n’existait pas avant 1830. Après vingt ans d’occupation française et la défaite de Napoléon Ier à Waterloo, en 1815, contre les armées alliées, composées de Britanniques, d’Allemands et de Néerlandais, le destin de ce territoire change. Les vainqueurs le conçoivent comme un État tampon pour se protéger de la France. Le royaume indépendant de Belgique est « une construction artificielle fondée d’un trait de plume diplomatique à la Conférence de Londres en 1830, où l’on demandera aux communautés flamande et wallonne de s’entendre », souligne Jules Gheude, écrivain belge, militant du rattachisme, courant prônant l’intégration de la Wallonie à la France. Le peuple n’aura pas voix au chapitre, pas même pour choisir son roi, imposé par l’Angleterre en la personne de Léopold Ier de Saxe-Cobourg, l’oncle de la reine Victoria.
« Les Belges ? Ils ne dureront pas. […] Deux cents protocoles [ne] feront jamais [de la Belgique] une nation », martelait Talleyrand en 1832. Le même avertissait dès 1815 : « Il n’y a pas de Belgique, il y a des Flamands et des Wallons. » On mettra pourtant en sourdine les voix de ceux qui militaient pour que la Flandre revienne aux Pays-Bas et la Wallonie à la France. Sans tenir compte du fait que, « de leur pleine volonté, les Wallons [étaient] entrés dans l’orbite de Paris depuis sept siècles », rappelait l’historien namurois Félix Rousseau. Et avaient adopté le français comme langue littéraire, qui devint celle du nouvel État. « Pour empêcher le génocide culturel de la Flandre, un Mouvement flamand verra le jour, redonnant ses lettres de noblesse à une langue morcelée en dialectes », explique Jules Gheude. Tandis que les premières lois linguistiques de 1870 mettront le flamand sur un pied d’égalité avec le français, avec l’émergence d’un sentiment d’appartenance collective.
Rassembler les forces vives
C’est dans ce contexte que naît le Mouvement wallon. Dans une Lettre au roi (1912), Jules Destrée alerte Albert Ier de la « douce obstination têtue du fanatisme » flamand, qui rend impossible, selon lui, toute fusion. La thèse du rattachement à la France réapparaît pendant la Seconde Guerre mondiale, remportant la majorité relative dans un premier vote lors du congrès wallon de Liège (20 et 21 octobre 1945), avant qu’une autonomie wallonne au sein d’une Belgique fédérale lui soit préférée dans un second vote. « L’idée d’un rassemblement des forces vives avait germé dans l’esprit des responsables de la Wallonie libre, excédés par l’attitude bienveillante du Mouvement flamand envers l’occupant », relate Jules Gheude. Lesquels approcheront de Gaulle.
Avec l’effondrement de l’industrie lourde wallonne dans les années 1960, la Flandre reprend la main, « développant un réseau de petites et de grandes entreprises qui assure sa prospérité », explique-t-il. Au point de réaliser 80 % des exportations belges ! Pour se relever, la Wallonie joue, elle, la carte du fédéralisme et du régionalisme. « Sous l’impulsion du Rassemblement wallon, créé en 1968 après l’expulsion des Wallons de l’université de Louvain, une réforme d’État voit le jour en 1970 avec l’introduction dans la Constitution de trois régions (la Flandre, la Wallonie et Bruxelles), chargées des affaires économiques, et de trois communautés (française, flamande, germanophone), compétentes pour les matières liées aux personnes (aides aux jeunes, enseignement…) », détaille-t-il. La régionalisation n’est effective en Wallonie et en Flandre qu’en 1980 et, à Bruxelles, neuf ans plus tard. En 1993, la Belgique devient un État fédéral.
Les rattachistes reprennent du service avec la création par le Liégeois Maurice Lebeau d’un Mouvement wallon pour le retour à la France, d’une liste particulière lors de l’élection du Parlement wallon en 1995 et du parti Rassemblement Wallonie-France en 1999 par Paul-Henry Gendebien, ancien délégué général de la communauté française de Belgique à Paris, qui ne dépassera jamais 2 %. Face aux velléités indépendantistes de la Flandre et au risque de démantèlement de la Belgique, Jules Gheude lance les états généraux de Wallonie au sein de l’université de Liège en 2009, où un projet en faveur du rattachisme par un statut d’intégration-autonomie voit le jour, soumis par le haut fonctionnaire français Jacques Lenain au constitutionnaliste Didier Maus, qui en confirme la viabilité avec la création du titre spécial « De la Wallonie » au sein de la Constitution française. Wallons enfants de la patrie…