Adrien Dolimont (MR), ministre-président wallon, et Matthias Diependaele (N-VA), ministre-président flamand, se rencontrent. Ils disent vouloir faire collaborer les deux Régions, à commencer par l’emploi. Gare au communautaire, les tensions réapparaissent vite. En attendant, ils convergent. 

« Le Soir », David Coppi et Alexandre Noppe, 26 octobre 2024

Le premier, flamand, arrive à la rédaction du Soir à vélo, cinq minutes d’avance ; l’autre, wallon, en voiture, cinq minutes de retard. On ne résistait pas, bonjour le cliché. Alors que la Wallonie a basculé au centre droit en juin, rejoignant en cela la Flandre, les ministres-présidents ont accepté de confronter leurs points de vue et visions, jeudi après-midi dans nos locaux. Une heure d’entretien, en mode fraternel, mais pas tout le temps. Sur l’emploi, ça matche, sur l’institutionnel, ça clashe (presque)…

Vous dites vouloir coopérer entre Flandre et Wallonie, c’est vraiment vrai ?

Adrien Dolimont Oui, dans notre chef, c’est vraiment vrai. Et c’est déjà une petite révolution en soi d’avoir un gouvernement de centre droit en Wallonie. Je sais qu’historiquement, il n’y avait pas ce lien de confiance au nord, pas la même vision du développement économique, et là, on se retrouve. Du reste, nous nous sommes inspirés de la Flandre pour certains points de notre programme de gouvernement. Je pense à la réduction des droits d’enregistrement. La Flandre avait switché déjà, là on le fait en Wallonie. Donc, oui, maintenant, on peut travailler avec de véritables synergies, et nous rencontrer régulièrement, d’autant qu’avec la sixième réforme de l’Etat, les Régions ont plus de pouvoirs.

Matthias Diependaele La situation politique a changé, c’est vrai, et en fait, nous regardons la Wallonie comme un lieu d’expérimentation… J’admets qu’il y a encore du scepticisme, nous sommes curieux de voir la suite. Nous avons l’espoir que ça marchera. La Wallonie doit faire beaucoup mieux que ce qu’elle a fait ces dernières années, elle peut se reprendre, c’est important pour elle avant tout, pour la Flandre aussi, bien sûr.

Ce qui a « changé », comme vous dites, c’est la mise à l’écart du PS ?

M.D. Oui, bien sûr, et ça ne bougeait pas… Pensez, il y a eu le plan Marshall il y a, quoi, 20 ans ? ; au début des années 2000, puis…

A.D. … puis le Marshall 2, Marshall 3, Marshall 4, 5… Bon, là, vous l’aurez constaté, on n’a pas fait de nouveau plan.

M.D. Oui, c’est mieux de poser des actes concrets que de faire des plans.

Mathias Diependaele voit la Wallonie comme un « lieu d’expérimentation », un laboratoire, vous partagez ?

A.D. Ils sont attentifs à ce qui se passe, c’est normal, nous aussi nous avons envie de changement, les Wallons aussi ont envie de changement.

M.D. Je m’en réjouis. Dans l’accord de gouvernement porté par Adrien Dolimont, je vois ce changement, une nouvelle culture politique, et j’ai confiance. La Wallonie a de grandes chances, de grandes opportunités, elle doit les saisir, sans compter tout le temps sur le niveau fédéral, mais en faisant les choses elle-même. La classe politique wallonne doit prendre ses responsabilités, j’ai l’espoir qu’elle va le faire maintenant.

A.D. Un des points d’attention qui a accentué dans le temps l’image négative de la Wallonie, c’est notre taux d’emploi problématique. Maintenant, on doit travailler avec force pour atteindre l’objectif national de 80 % de taux d’emploi. Il y a une perméabilité à exploiter entre nos Régions, des travailleurs flamands qui viennent chez nous, des Wallons qui vont au nord…

M.D. Il y a plus de citoyens français que de Wallons qui viennent travailler en Flandre, ce n’est pas normal. Plus généralement, ce n’est pas logique qu’il y ait en Wallonie à la fois pénurie de main-d’œuvre et chômage élevé.

Faire en sorte que plus de travailleurs wallons puissent venir en Flandre, c’est l’un de vos objectifs communs ?

M.D. Oui, et c’est vrai surtout en Flandre-Occidentale, on est demandeurs. Pour cela, il faut une culture d’entreprise en Wallonie.

A.D. Nous travaillons beaucoup là-dessus, la sensibilisation à l’entrepreneuriat, la création d’entreprises. C’est clair qu’en Flandre, cette culture-là existe depuis plus longtemps, mais notre volonté ne fait pas de doute. Nous devrons notamment mettre autour de la table nos organismes de placement. Bon, le but, c’est d’activer nos demandeurs d’emploi, sans tabou, pas de les envoyer tous en Flandre, nous avons besoin de main-d’œuvre évidemment.

Il est question d’institutionnaliser les rencontres entre vos gouvernements ?

A.D. C’est notre intention, cela figure dans notre déclaration de politique régionale…

M.D. … C’est un peu un système confédéraliste, c’est très bien (rires). Bon, sérieusement, c’est une bonne idée, et les relations interpersonnelles sont capitales.

On a évoqué le modèle « confédéral »… Là, vous ne partagez pas…

A.D. Le « confédéralisme », ce n’est pas notre modèle, on le sait, mais enfin, je ne voudrais pas qu’on passe notre temps à parler d’institutionnel. Avant de discuter d’autres réformes institutionnelles, faisons fonctionner le modèle issu de la sixième réforme de l’Etat.

Certains l’ont dit : avoir un gouvernement de centre droit en Wallonie, c’est une réforme de l’Etat en soi…

M.D. … Oui, mais enfin, c’est facile de dire ça, ce n’est pas assez (rires…). Le confédéralisme reste notre idée maîtresse. Mais j’ai l’espoir que la confiance retrouvée en Wallonie, le fait que les Wallons se reprennent en main, cela permettra de mieux travailler ensemble que nous ne l’avons fait ces dernières décennies.

A.D. On n’en parle pas assez, mais nos territoires, nos Régions, travaillent déjà énormément ensemble, la Flandre est le premier client de la Wallonie, nous ne vivons pas en autarcie, nos Régions sont ouvertes sur le monde. Quant à l’institutionnel, je ne veux pas avoir une réflexion purement dogmatique et protectionniste, je n’ai pas de tabous sur qui pilote quoi, je continue à m’ouvrir, mais selon moi, la crise covid a quand même montré les limites à certains égards en termes de régionalisation de compétences.

La Flandre, la N-VA en particulier, a fait grand cas des fameux « transferts nord-sud ». Vous maintenez ?

M.D. Je maintiens, mais j’espère que la Wallonie saisira sa chance maintenant, et qu’alors, elle n’aura plus besoin de ces transferts.

A.D. Des transferts, il y en a dans les deux sens, on ne va pas faire la balance complète ici et maintenant, ce n’est pas le lieu, mais je partage l’idée que nous devons prendre notre destin en main, retrouver la fierté wallonne, je vais consacrer mon énergie à cela. Au fond, nous avons la même volonté, elle est commune, c’est de valoriser nos Régions au cœur de l’Europe, les voir émerger l’une et l’autre.

Dans les notes Arizona, il est question de transférer la politique scientifique, le spatial par exemple…

M.D. Les Régions doivent pouvoir exercer leurs compétences, ce n’est pas nécessaire d’avoir un fédéral qui nous dit ce que nous devons faire.

A.D. Je dois avouer que j’ai là quelques réserves, je vois des éléments bloquants, ce n’est pas une compétence usurpée, selon moi, de voir le spatial rester au niveau fédéral, je ne vois pas pourquoi on devrait régionaliser, mais je ne veux pas mettre de l’huile sur le feu, les négociations fédérales sont en cours.

Les enfants francophones et néerlandophones, depuis quelques années, n’ont plus leurs congés scolaires en même temps. Cela fait débat, dans les familles qui habitent à Bruxelles ou le long de la frontière linguistique. Vous voulez avancer vers une harmonisation ?

A.D. Nous, on va s’aligner l’an prochain avec le système flamand sur une des deux semaines, en changeant de rythme. On sort de l’idéologie de base car aucune semaine ne tombait en même temps, à part à Noël. C’est du pragmatisme.

En Flandre, on ne compte pas aller vers ce qui se fait en Belgique francophone en termes de rythmes scolaires ?

M.D. Non, dans notre accord de gouvernement, rien n’est prévu pour aller dans ce sens-là.

A.D. Ce n’est pas pour autant que cela ne peut pas être fait…

M.D. Oui, mais on n’a pas l’intention de changer. Nous avons comme habitude d’établir nos politiques sur une base scientifique, et les avis sont contrastés.

A.D. Justement, nous avions changé les rythmes scolaires parce que c’était recommandé scientifiquement.

Quel regard portez-vous sur l’hypothèse de voir Bart De Wever devenir Premier ministre ? Il y a quelques années encore, cela aurait été inenvisageable côté francophone.

A.D. Je me considère comme un vrai démocrate. Quel est le plus grand parti à la Chambre ? La N-VA, voilà, il faut pouvoir l’assumer. Comme dans tout système politique, et singulièrement en Belgique, on doit trouver un accord de gouvernement, ce sur quoi on va travailler pendant toute la législature. Et le Premier ministre sera garant de cet accord.

M.D. D’abord, nous maintenons notre analyse selon laquelle nous avons deux démocraties en Belgique…

A.D. Oui, et vous avez un gouvernement plus à gauche que moi (rires)…

M.D. Ça, on le verra dans les résultats… C’est important d’avoir de bonnes intentions et de bons plans, mais on verra dans les faits. Mais si l’on revient aux deux démocraties, je constate que je ne peux pas voter pour vous, Monsieur Dolimont. C’est pour cela qu’il faut toujours un accord au fédéral, où nous devons protéger le bien-être et la prospérité des Flamands. On a donc besoin pour cela d’un accord avec des réformes socio-économiques fortes au fédéral, et d’y avoir notre mot à dire.

A.D. De Wever devra quand même être le Premier ministre de tous les Belges…

M.D. Il le sera, j’en suis sûr. Et nous sommes convaincus que notre politique économique est bonne aussi pour les Wallons. Nous avons besoin d’une culture wallonne qui comprend cela.

Ceci, pour finir : les Etats-Unis vont désigner leur président ou leur présidente. Entre Kamala Harris ou Donald Trump, vous choisissez qui ?

A.D. Au vu de ce qui se passe, moi j’assume, c’est Kamala Harris.

M.D. J’ai pour opinion qu’il n’est pas sain de s’immiscer dans le débat d’une autre démocratie. J’ai bien sûr mon avis personnel, mais ce n’est pas à moi de dire aux Américains pour qui voter.

Le message de Dolimont à la Flandre, et de Diependaele à la Wallonie

Quel message souhaitez-vous envoyer à la Flandre ?

A.D. Mon message à la Flandre, c’est de dire qu’on est prêts à prendre nos responsabilités. On a une trajectoire budgétaire avec un équilibre régional après les cinq ans, dix ans pour les deux entités francophones. On va travailler énormément sur notre taux d’emploi et rendre notre territoire attractif. On a la chance d’avoir pas mal de disponibilité foncière, notamment pour que les entreprises néerlandophones puissent venir s’installer chez nous, pour qu’on puisse se développer ensemble. Nous, on veut montrer qu’on a énormément de talents et qu’on est en capacité de pouvoir les développer.

Quel message souhaitez-vous envoyer à la Wallonie ?

M.D. Ce que je veux dire à la Wallonie, c’est d’avoir confiance en elle-même. Vous avez beaucoup de chances, d’opportunités, de choses extraordinaires en Wallonie. Il faut maintenant prendre ces opportunités. La culture politique doit évoluer vers le « Get things done », faire changer les choses. C’est important pour les Wallons, tout d’abord, mais aussi pour les voisins de la Wallonie, à commencer par la Flandre.