Jules Gheude, essayiste politique

Près de sept mois après les élections législatives et régionales du 9 juin dernier, la Belgique est toujours dans l’attente d’un nouveau gouvernement et la Région bruxelloise connaît un blocage total.

Au niveau fédéral, Bart De Wever, le leader des nationalistes flamands, désigné formateur par le Roi, peine à mettre sur pied la coalition Arizona. Il en est à son quatorzième rapport au Roi.

En Région bruxelloise, le PS s’est retiré des négociations, refusant la présence de la N-VA du côté néerlandophone. Le PS pourrait être remplacé par Défi et Ecolo, mais cette dernière formation a définitivement fait le choix de l’opposition. Quant à Défi, s’il entrouvre la porte, il se dit opposé à cette fusion des 19 communes, zones de police et CPAS proposée par la quadripartite Groen, CD&V, Open VLD et N-VA.  Bref, c’est l’impasse totale.

Pour la N-VA, dont l’essentiel de la campagne électorale fut axé sur le projet confédéral, la situation n’est pas simple. Faute de majorité des deux-tiers pour concrétiser un tel projet, Bart De Wever n’a d’autre choix que de tenter, par la tangente, de réduire la voilure fédérale belge. Ainsi, une note parle de modifier le statut des institutions scientifiques et culturelles fédérales…

Le 19 décembre dernier, le Centre de Concertation des Associations flamandes (OVV) s’est d’ailleurs rendu au siège de la N-VA pour lui rappeler la nécessité de procéder à une réforme en profondeurs des structures belges.

Les nationalistes flamands – mais est-il besoin de le souligner ? – n’ont aucun affect pour ce Royaume. L’article 1er des statuts de la N-VA vise clairement l’émergence d’une République flamande au sein de l’Union européenne.

Faute de pouvoir engranger quelque chose de substantiel sur le plan communautaire, Bart De Wever a donc tout intérêt à rester bourgmestre d’Anvers.

Il faut rappeler ici que l’idée confédéraliste fut lancée au début des années 90 par Luc Van den Brande, alors ministre-président flamand CVP, et qu’elle fut avalisée par le Parlement flamand en 1999. Il s’agit de dégraisser au maximum le pouvoir central au profit des Etats flamand et wallon, ceux-ci exerçant en outre la cogestion de Bruxelles pour ce qui concerne les matières personnalisables : chaque habitant de Bruxellesdevrait, en effet, choisir entre le paquet flamand (nettement plus avantageux !) et le paquet wallon pour ce qui est de l’impôt des personnes, des soins de santé, etc. « Nous achèterons Bruxelles ! », avait un jour lâché Gaston Geens, un autre ministre-président flamand CVP…

C’est aussi le parti démocrate-chrétien flamand – l’Etat-CVP ! – qui fut à l’origine des mesures visant à saper les fondements unitaires de l’Etat : fixation de la frontière linguistique en 1962, expulsion des Wallons de l’Université de Louvain en 1968, autonomie culturelle…

On se souvient aussi du cartel CD&V/N-VA qui fut porté sur les fonts baptismaux en 2004 par le Premier ministre CD&V Yves Leterme, celui-là même qui qualifia la Belgique d’ « accident de l’histoire ».

Et c’est Wouter Beke, alors président du CD&V, qui, en 2007, lâcha : « Nous voulons une véritable confédération où chacun pourra agir comme il l’entend. Si les francophones n’acceptent pas de lâcher du lest, nous n’aurons pas d’autre choix que l’indépendance. »

En attendant, les deux formations indépendantistes – la N-VA et le Vlaams Belang – détiennent chacune 31 sièges sur les 124 que compte le Parlement flamand. » Et après le coup de sang, ce 19 décembre, à la Chambre, de Sammy Mahdi, le président du CD&V – parce qu’un contrôleur de la SNCB s’est permis, à Vilvorde, de saluer les voyageurs en néerlandais et… en français -, on voit que la démocratie-chrétienne flamande n’a rien perdu de sa virulence en matière communautaire !

Ce qui donne tout son sens aux propos tenus en 1981 par le très lucide François Perin : « Voilà des années que je pressens ce qui va arriver. (…) Après d’éventuelles élections qui n’auront qu’exacerbé le malaise dû à une crise financière et économique insoluble, le malheureux chef de l’Etat se mettra à courir après un gouvernement introuvable : la Belgique peut disparaître par implosion. Qu’est-ce qui empêcherait les Flamands de proclamer unilatéralement leur indépendance et d’affirmer leur nation ? Ils ont créé tous les instruments de leur future légitimité. »

Car la Flandre, depuis longtemps, ne se considère plus comme une entité fédérée, mais comme une nation, ce qui est incompatible avec le maintien du Royaume. La vocation logique, naturelle, d’une nation est, en effet, de s’ériger en Etat.

On se souvient de la crise politique de 2010-2011 : 541 jours sans gouvernement de plein exercice. La situation était telle que la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française avait dépêché chez nous deux de ses membres. Leur rapport concluait que la division de la Belgique en deux groupes linguistiques de plus en plus cohérents et dissemblables rendait son existence de moins en moins probable.

14 ans plus tard, ce constat se vérifie plus que jamais.  Et le documentaire « Bye bye Belgium » de la RTBF, présenté le 13 décembre 2006, pourrait aisément passer de la fiction de la réalité.

D’où l’urgence, pour les responsables francophones, à réfléchir sérieusement à « l’après-Belgique ». Ce que, personnellement, nous avons fait en 2009, avec l’organisation des Etats généraux de Wallonie à l’Université de Liège.

Nous entendons encore François Perin nous dire à cette occasion : « La Belgique n’a jamais offert qu’un mauvais vaudeville sur lequel il serait préférable que le rideau tombe de manière définitive. »