Jean Gol au premier chef.

Jules Gheude

Cet article a été publié sur le site du « Soir » : https://www.lesoir.be/646655/article/2025-01-07/lavenir-post-belge-des-wallons-et-des-bruxellois-jean-gol-au-premier-chef

Jules Gheude et Jean Gol, en 1979

Bien déterminé à imposer les vues du MR en matière de wokisme, de migration, d’islam radical à l’école ou de transition de genre chez les mineurs, le président Georges-Louis Bouchez part en « guerre culturelle ». Son arme principale : le Centre d’Etudes Jean Gol, dirigé par Corentin de Salle.

Mais il est un autre dossier qui préoccupait Jean Gol au premier chef : l’avenir post-belge des Wallons et des Bruxellois.

Car, comme François Perin, dont il avait été l’assistant à l’Université de Liège et le compagnon de route politique durant une vingtaine d’années, Jean Gol était convaincu que la Belgique ne résisterait pas aux coups de bélier du nationalisme flamand.

Jean Gol et François Perin fin 1976

J’eus la chance de faire partie de son équipe en 1980, alors qu’il présidait le PRL. Il connaissait les liens particuliers que j’entretenais avec François Perin. Aussi, régulièrement, me posait-il la question « Que pense le maître ? ».

Quelques mois plus tard, exactement le 28 avril 1981, « le maître » livrait      au journal « La Meuse » un article dont le passage suivant prend tout son sens à la lumière de la situation politique belge actuelle : Cela fait des années que je pressens ce qui va arriver. Après d’éventuelles élections qui n’auront qu’exacerbé le malaise dû à une crise financière et économique insoluble, le malheureux chef de l’Etat se mettra à courir après un gouvernement introuvable : la Belgique peut disparaître par « implosion ». Qu’est-ce qui empêcherait les Flamands de proclamer unilatéralement leur indépendance et d’affirmer leur nation ? Ils ont créé tous les instruments de leur future légitimité.

Et le 9 mars 1983, soit 23 ans avant le fameux docu-fiction « Bye bye Belgium » de la RTBF, François Perin expliquait, dans l’hebdomadaire « Pourquoi Pas ? », la manière dont la Flandre pourrait s’y prendre.

Je possède le petit mot manuscrit que Jean Gol, alors vice-Premier ministre et ministre de la Justice, lui fit parvenir : Je suis d’accord à 100% avec votre article du « Pourquoi Pas ? ». Mais le délai est sans doute un peu plus long ; je ne suis pas fonctionnellement en position d’exprimer publiquement mon accord. J’agis cependant chaque jour pour préparer cette échéance et une réponse francophone de survie digne, raisonnable et dans l’ordre. 

Pour en avoir maintes fois parlé avec lui, je peux attester ici que la « réponse de survie » de Jean Gol passait par l’Hexagone.

Jean Gol décéda, hélas ! le 18 septembre 1995 des suites d’une hémorragie cérébrale. Il n’avait que 53 ans.

En 1985, François Perin avait claqué la porte du PRL en raison de divergences de vues avec Jean Gol sur le plan européen. Mais il ressentit la mort de ce dernier comme un véritable drame : Il était, à mes yeux, le seul homme politique belge ayant l’envergure nécessaire pour avoir l’écoute de Paris en cas de dislocation de la Belgique. Et voilà que cette carte majeure me claque dans la main. (…) Gol était un esprit cultivé, convaincu que nous ne sommes rien sans la culture française. Une idéologie culturelle régionaliste wallonne, c’était pour lui le comble de la médiocrité. Dès 1979, le PRL a préconisé la fusion Communauté-Région pour ne pas abandonner Bruxelles. Je me souviens de sa terrible colère au bureau du parti quand André Damseaux et Jacqueline Mayence ont basculé en faveur de l’implantation de la capitale wallonne à Namur. « Il n’y a que deux capitales possibles, déclara-t-il. Si ce n’est pas Bruxelles, j’en connais une autre autrement prestigieuse ». Il n’a pas prononcé le nom de Paris mais… Sur l’avenir de l’Etat, il  était devenu pessimiste. Quand nous faisions de la politique ensemble, nous étions convaincus que nous mourrions belges. Ces derniers temps, il m’a dit qu’il en doutait. 

François Perin et Jules Gheude en 2007

François Perin et Jules Gheude en 2007

Au vu de l’évolution politique des dernières années, on perçoit l’extrême lucidité qui habitait François Perin et Jean Gol.

On est bien loin ici de la fibre belgicaine de Georges-Louis Bouchez.

En ce qui me concerne, je me suis efforcé de poursuivre dans la voie tracée par François Perin et Jean Gol.

Dans son dernier écrit, en 2013, François Perin a d’ailleurs tenu à me témoigner sa reconnaissance : Jules Gheude connaît particulièrement bien la mouvance flamande. Il lit, avec assiduité, la presse flamande depuis 40 ans. C’est d’ailleurs la raison qui m’a amené à l’intégrer dans mon Cabinet de la Réforme des Institutions en 1974. Très vite, il est devenu un ami dont la fidélité ne s’est jamais démentie. J’apprécie les initiatives citoyennes qu’il a prises ces dernières années (Etats généraux de Wallonie en 2009, constitution du Groupe d’Etude pour la Wallonie intégrée à la France – Gewif – en 2010) pour amener les esprits francophones à réfléchir à l’après-Belgique. Tout cela a débouché sur des travaux et analyses d’une grande qualité, qui s’avéreront utiles le moment venu.

La crise que connaît actuellement la Belgique n’est pas de nature politique, mais existentielle. 

En 1973, Manu Ruys avait sous-titré son livre « Les Flamands » : Un peuple en mouvement, une nation en devenir.

Aujourd’hui, cette nation existe bel et bien et elle est incompatible avec la survie du Royaume de Belgique. Car la vocation naturelle d’une nation est de s’ériger en Etat.

Tel est le dossier auquel le Centre d’Etude Jean Gol devrait consacrer toute son attention. Rien n’est, en effet, plus néfaste que de se retrouver un jour le dos au mur, contraint de réagir dans  l’urgence et l’improvisation.

A propos de Jean Gol, il me faut encore relater l’événement suivant.

Lorsqu’il était Délégué général de la Communauté française à Paris (1988 à 1996), Paul-Henry Gendebien eut l’occasion de recevoir Jean Gol. Dans son livre « Splendeur de la Liberté » (Editions Quorum, 1999), il raconte :

Jean Gol m’avoua qu’il ne croyait plus à la nation belge ni même à l’Etat. (…) surtout, il avait été ulcéré par les « avancées » du nationalisme chez les libéraux flamands auxquels s’était d’ailleurs ralliée l’une des ailes marchantes de la Volksunie. Manifestement, le virus de la séparation avait atteint le libéralisme flamand.

C’est alors qu’il ajouta, et ceci compta, ce que j’avais déjà deviné sans difficulté : à savoir que notre avenir, à nous autres Wallons et Bruxellois, serait français. Dans quelles circonstances, sous quelle forme, à quelle date ? Nul ne pouvait encore le conjecturer avec précision, sinon par une hardiesse excessive et prématurée.

Néanmoins, en manipulant soit par jeu soit par anticipation très consciente un certain nombre d’hypothèses, nous en arrivâmes bien vite à calculer le nombre de départements, de conseillers généraux et régionaux, de députés qui reviendraient à la Wallonie.

Sa férocité se déchaîna quand nous évoquâmes certains de ses amis qu’il faudrait recaser à l’Assemblée nationale. « De toute manière, ajouta-t-il, ils seront fiers de porter l’écharpe tricolore et quelques décorations feront le reste… »

Nous évoquâmes aussi diverses formules d’association ou de réintégration dans la République française, le précédent de l’Alsace-Lorraine n’étant pas sans intérêt.

Dans la semaine qui suivit, j’appris de bonne source que Jean Gol avait eu – ce jour-là et le lendemain – des rencontres importantes avec des personnages qui n’étaient pas rien dans la politique française.