Il nous paraît opportun de publier à nouveau le message que Jules Gheude et feu Jacques Lenain avaient adressé en 2019 aux élites de Wallonie pour les sensibiliser à la solution d’une « Wallonie intégrée en France avec un statut de grande autonomie » dans l’hypothèse où la Flandre venait à prendre son indépendance.

Evoquant cette hypothèse, feu Xavier Mabille, président du CRISP (Centre de recherche et d’information socio-politique), écrivait, en 2007 : « (…) hypothèse dont je dis depuis longtemps qu’il ne faut en aucun cas l’exclure ».

Ce que nous vivons aujourd’hui, avec un gouvernement belge Arizona, dirigé par un nationaliste flamand, montre la pertinence d’une réflexion portant sur l’après-Belgique.

Message aux élites de Wallonie : « Le nécessaire et le possible »

Objet : La Wallonie intégrée en France avec un statut de grande autonomie.

Madame, Monsieur,

A partir de quelle étape, de quel moment, la crise existentielle belge deviendra-t-elle assez aiguë pour donner raison à Jean Monnet : « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ne voient la nécessité que dans la crise » ?

Si vous ne croyez pas à la persistance et à la gravité croissante de cette crise, inutile de poursuivre votre lecture. Mais si vous êtes convaincu(e) que cette crise est désormais devenue potentiellement mortelle pour l’Etat belge et qu’il est donc plus que temps et plus que nécessaire de réfléchir à un avenir « post-belge » réaliste et pérenne pour la Wallonie, alors ce message vous concerne au premier chef.

En 2010-2011, la Belgique a connu la plus longue crise de son histoire : 541 jours sans gouvernement de plein exercice. Le contexte était d’une telle gravité que la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française a chargé deux de ses membres d’une mission d’information sur le sujet. La rapport des intéressés fait clairement apparaître que la division du pays en deux groupes linguistiques de plus en plus cohérents et dissemblables rend sa survie de plus en plus improbable (https://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i4360.asp). Depuis lors, le fossé entre la Flandre et la Wallonie n’a cessé de se creuser.

Le moteur fédéral est grippé par une Flandre qui ne se considère plus comme une entité fédérée, mais bien comme une nation qui n’entend plus se montrer financièrement solidaire d’une Wallonie qui, en quarante-trois ans de régionalisation, n’est pas parvenue à opérer son redressement.

Deux démocraties distinctes s’affrontent en permanence : le Nord, marqué à droite et à l’extrême-droite, n’a plus rien en commun avec le Sud, qui évolue à gauche et à l’extrême-gauche.

Si, au lendemain des élections législatives et régionales du 9 juin 2024, le roi Philippe se met à courir après un gouvernement introuvable, rien ne pourra empêcher les deux formations indépendantistes flamandes (N-VA et Vlaams Belang) de constituer une majorité absolue au sein du Parlement flamand pour proclamer unilatéralement l’indépendance de la Flandre. Les sondages actuels confirment la faisabilité d’un tel scénario.  L’absence de tout pouvoir central fort à Bruxelles ne permettrait pas d’empêcher le divorce belge ( ce qui n’était pas le cas de Madrid lors de la proclamation d’indépendance de la Catalogne). Et l’Union européenne n’aurait d’autre choix que d’acter le fait.

« La politique consiste à rendre possible ce qui est nécessaire », expliquait Richelieu. La nécessité, pour les Wallonie et pour Bruxelles, c’est de se préparer à succéder à un Etat belge auquel la Flandre aura décidé de mettre fin.

La scission de la Belgique ne pourrait se faire, comme ce fut le cas avec l’ex-Fédération yougoslave, que sur la base des frontières administratives internes qui délimitent les trois Régions officiellement reconnues par la Constitution : la Flandre, la Wallonie et Bruxelles.

Très majoritairement francophone, Bruxelles est enclavée en Flandre, qui la considère comme « historiquement » sienne et en a d’ailleurs fait le siège de son gouvernement, de son parlement et des institutions. La Flandre pourrait donc être tentée de prendre son indépendance en intégrant d’office Bruxelles. Mais un tel coup de force ne manquerait pas d’engendrer un contentieux qui ne pourrait être réglé qu’à l’échelon international.

Si elle s’en tient à ses propres frontières, la Flandre, n’aura aucune difficulté à se faire reconnaître en tant qu’Etat souverain, un Etat souverain dont la prospérité économique serait garantie (sa dette actuelle représente 58% de son PIB, contre 168% pour Bruxelles et 257% pour la Wallonie).

C’est la situation budgétaire catastrophique de la Wallonie qui amène ses dirigeants à s’accrocher désespérément à l’Etat belge, à cette « solidarité belge » qui implique les transferts d’argent flamand vers le Sud. Si elle devenait indépendante à son corps défendant, la Wallonie serait, en effet, contrainte à des sacrifices d’une telle ampleur qu’il en résulterait un bain de sang social et un contexte insurrectionnel.

Les responsables wallons se refusent donc à imaginer le scénario du démantèlement de la Belgique. Ils continuent à agir comme si celle-ci était vouée à l’éternité.

D’aucuns évoquent certes une « Belgique résiduelle », constituée de la Wallonie et de Bruxelles, le fameux « WalloBrux ». Mais cette option apparaît comme une chimère dès l’instant où une majorité de Bruxellois (de 68% à 73,9% selon les enquêtes) disent préférer l’autonomie en cas de disparition du pays.

Reste la réunion à la France, qui constitue notre sujet. Voilà, selon nous, le « nécessaire », la « solution » qu’il faut rendre possible et… acceptable ! Il convient, pour ce faire, de s’écarter du discours traditionnel qui se contente soit de présenter le réunionisme comme un simple but à atteindre, mais sans préciser comment, soit de l’approcher d’une manière peu séduisante : l’assimilation pure et simple au sein d’un Etat français « nécessairement jacobin ». Une sorte de « tout ou rien », qui obligerait les Wallons à se dépouiller de leurs acquis fondamentaux pour se fondre dans un statut français de droit commun, impératif, unifié, au terme d’une brève période transitoire offrant quelques aménagements de portée très limitée.

Cela, alors qu’une autre solution, nécessaire et acceptable, est tout à fait envisageable. Pour examiner et démontrer cette affirmation, il faut passer de l’utopie au projet, du vœu à la démonstration d’un schéma d’intégration de la Wallonie à la France, qui, tout en étant compatible avec le droit constitutionnel français, permet de conserver l’héritage législatif et institutionnel belgo-wallon.

Tel est le projet d’intégration-autonomie que nous souhaitons vous présenter ici, sous la forme d’un petit dossier. Il est de nature à apaiser les inquiétudes qu’une « solution française » suscite dans les divers milieux de la société wallonne. Il faut préciser qu’il pourrait tout aussi bien s’appliquer à  Bruxelles, moyennant quelques aménagements.

Notre dossier s’articule autour des deux axes suivants :

1° Entretien avec Didier Maus, constitutionnaliste français (ancien membre du Conseil d’Etat, ex-rapporteur général de la Commission des archives constitutionnelles de la Ve République, ancien président de l’Association française de droit constitutionnel, ancien président de l’Association internationale de droit constitutionnel, actuel maire de Samois-sur-Seine).

Cet entretien pose la faisabilité politique et constitutionnelle d’un statut ad hoc de grande autonomie pour une Wallonie intégrée dans la République française.

2° Note réfutant les objections généralement formulées à l’égard de l’option réunioniste et détaillant le projet d’intégration-autonomie dans ses divers aspects

Madame, Monsieur,

Nous nous tenons à votre disposition pour tout éclaircissement que vous souhaiteriez obtenir ou toute critique que vous pourriez formuler. Il est vous est aussi loisible de consulter, pour de plus amples informations, les sites du Gewif (www.gewif.net) et de « Belgique française » (http://www.belgique-francaise.fr/notes-complementaires/jacques-lenain).

Avec nos salutations distinguées,

Jules GHEUDE                                       Jacques LENAIN

Essayiste politique wallon                          Ex-haut fonctionnaire français

Entretien avec le constitutionnaliste français Didier Maus sur la faisabilité politique et constitutionnelle d’un projet d’intégration-autonomie pour la Wallonie

Jacques Lenain : M. Maus, devant la menace constante de dislocation du Royaume de Belgique, sous la poussée du mouvement nationaliste et séparatiste flamand qui ambitionne d’avoir son propre Etat national, les élites et populations wallonnes et bruxelloises sont présentement incapables d’envisager une quelconque alternative à cet Etat belge partagé avec la Flandre, qui se défait pourtant continument. Alors que la Flandre construit, pas à pas, son déjà quasi-Etat, apte demain à muter en un Etat pleinement souverain, la Wallonie et Bruxelles se montrent inaptes à concevoir un projet similaire, parce qu’elles ne croient pas en sa faisabilité (absence d’identité « nationale », enclavement territorial et donc subordination économique de Bruxelles, faiblesse économique et donc dépendance financière de la Wallonie). Et, cependant, toute hypothèse d’une « solution française », légitime au regard de la continuité géographique, linguistique et culturelle entre la Wallonie et la France, entre la majorité des Bruxellois et la France, se heurte à la méfiance de ces élites et populations wallonnes et bruxelloises, méfiance profonde qui peut être résumée par la formule suivante : « Nous ne voulons pas être gouvernés par des préfets français ». Face à ce rejet de l’Etat français, qui exprime une profonde méconnaissance de l’organisation politique et territoriale de la France contemporaine, à ce refus de toute évocation appuyée d’une « réunion » de la Wallonie voire de Bruxelles à la France, compte tenu de la volonté forte des Wallons et des Bruxellois de conserver l’essentiel de leur héritage belge, donc des lois et institutions belges et des autonomies wallonne et bruxelloise, que dit la Constitution française, plus précisément pour ce qui se rapporte au régime des collectivités territoriales françaises et de leur degré de dépendance à l’Etat central ? Et que peut donc permettre cette Constitution, au moins potentiellement, pour donner et garantir à la Wallonie et à Bruxelles, si les Wallons et les Bruxellois sollicitent un jour la France, un cadre d’intégration à la France qui serait respectueux de leur héritage belge et de leur autonomie régionale ?

Didier Maus : En préalable, il convient de bien préciser le cadre de cet entretien et les paramètres de la réflexion. Il importe d’abord de partir d’une situation où la décision de mettre fin à une Belgique fédérale aurait été prise en conformité avec la Constitution belge. Ensuite, il serait nécessaire que les populations concernées de Wallonie et, éventuellement de Bruxelles, aient manifesté de manière indiscutable leur souhait de devenir une composante de la République française. Enfin, il faudrait que les autorités françaises, Président de la République, Gouvernement et Parlement, acceptent cette perspective et concluent, pour y parvenir, des accords avec les autorités compétentes issues de la Belgique.

J’ajoute qu’il existe différents exemples de pays ayant connu des mutations de souveraineté, soit par dissociation (la Tchécoslovaquie devenue en 1992 la République tchèque et la Slovaquie), par désagrégation (l’ancienne Yougoslavie), par « restitution » (Hong-Kong vers la Chine en 1997) ou par regroupement (l’exemple le plus célèbre étant la réunification allemande de 1990). De multiples autres exemples peuvent être recensés, avec à chaque fois une situation politique et juridique originale, qu’il s’agisse du droit international ou du droit interne.

En ce qui concerne la France, les derniers rattachements sont ceux des villages de Tende et La Bigue, à la frontière italienne, en 1947. Il y a eu des référendums locaux pour le rattachement. Par contre, plusieurs territoires ont accédé à la souveraineté internationale, selon des procédures diverses, mais toujours avec une consultation locale (Algérie en 1962, Djibouti en 1977, Comores en 1978…). Par contre l’île de Mayotte, à la suite d’un référendum de 1976, est demeurée française.

L’article 53, dernier alinéa, de la Constitution dispose : « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées ». Il y a une jurisprudence et une pratique qui ont été utilisées pour les « départs », mais la perspective d’une « arrivée » est incluse dans la notion d’adjonction. Contrairement à une idée très ancrée dans les esprits, la France n’est plus aussi uniforme qu’elle l’était du temps de Napoléon Ier ou même de la IIIe République. Indépendamment du fait que l’article 1er de la Constitution fait désormais mention d’une organisation décentralisée et que les collectivités territoriales sont des acteurs politiques majeurs, il existe plusieurs régimes territoriaux et juridiques différents. Certes ils sont majoritairement situés outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Antilles…), mais en métropole l’Alsace-Moselle conserve, avec l’accord du Conseil constitutionnel, certaines lois de la période 1871-1918, la Corse bénéficie d’un régime territorial sur mesure, et Paris et la région Ile-de-France constituent une région (de douze millions d’habitants) avec des régimes assez spécifiques (notamment en matière d’urbanisme et de transport). La tendance est nettement à la création de régimes administratifs moins uniformes (Métropole lyonnaise).

 D’un strict point de vue juridique, rien ne limite l’imagination des auteurs d’une révision de la Constitution.

Jacques Lenain : Que peut donc permettre cette Constitution française, sous la condition d’être révisée, pour donner et garantir à la Wallonie et à Bruxelles, si les Wallons et les Bruxellois sollicitaient un jour la France, un cadre d’intégration à la France qui serait respectueux de leur héritage belge et de leur autonomie régionale ? Autrement dit, un tel cadre d’intégration, qui serait donc, en quelque sorte, « sur mesure », serait-il possible ? Et ce cadre pourrait-il alors être assez large pour permettre de satisfaire l’essentiel des exigences belgo-wallonnes comme belgo-bruxelloises, domaine par domaine ? Car ces exigences pourraient être nombreuses : institutions territoriales, compétences régionales étendues, sécurité sociale, droit du travail, droit des entreprises, droit fiscal, système éducatif et universitaire, système de santé, etc. Il y a peu de domaines dont les acteurs franco-belges ne souhaiteraient pas la conservation du régime juridique, au moins pour l’essentiel puisque des adaptations seraient quand même nécessaires.

Didier Maus : Il serait parfaitement possible de créer un titre spécial « De la Wallonie » qui contiendrait une mini constitution sur mesure pour cette région. Il en découle que, sur le fondement de cette mini-constitution, il serait parfaitement réalisable de conserver en l’état, au moins pour l’essentiel, et pour une durée à déterminer le droit belge du travail, celui de la sécurité sociale, et certains droits « connexes », des pans du droit fiscal, le droit des affaires, du commerce, etc. La région wallonne, et aussi la région bruxelloise si la question était posée, conserveraient les compétences qui sont aujourd’hui les leurs, y compris le système éducatif, avec l’enseignement supérieurCe ne serait pas une difficulté de faire de la sorte puisque il en est déjà ainsi, même si c’est avec moins d’ampleur, dans certains territoires français, qui, selon les cas, disposent d’une sécurité sociale propre (Polynésie, Calédonie,…), d’un droit du travail propre (même s’il est largement copié sur celui de la métropole), de nombre de dispositifs fiscaux particuliers, et d’autres régimes spéciaux dans divers domaines (en Corse comme Outre- mer).

La principale difficulté serait d’identifier le noyau dur des principes constitutionnels auxquels il ne serait pas possible de déroger, par exemple l’égalité des hommes et des femmes, les libertés fondamentales, l’accès à la justice et le rôle central du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat, certains aspects de la fiscalité et de la protection sociale. La laïcité, souvent considérée comme un des éléments les plus significatifs de l’identité constitutionnelle française, est susceptible de plusieurs aménagements possibles, dans le respect d’une part de la liberté religieuse, d’autre part de l’égalité entre les religions. L’Alsace-Moselle vit toujours sous le régime du concordat de 1801 et la loi de séparation des églises et de l’État de 1905 ne s’applique pas en Guyane.

Il est évidemment difficile, à ce stade, d’être plus précis, mais – sous les réserves politiques évoquées – des approfondissements peuvent être examinés.

Jacques Lenain : Vous dîtes « un titre spécial », lequel titre constitutionnel spécial pourrait contenir « une mini-constitution sur mesure »… La possibilité d’un « titre » constitutionnel spécialement dédié à la Wallonie (voire, si on se cantonne strictement au terrain juridique, qui pourrait l’être également à Bruxelles…) ne choque pas qui connaît, au moins un peu, la Constitution française, et qui sait donc que, déjà, une petite collectivité française fait l’objet d’un tel titre spécial, la Nouvelle-Calédonie. Mais, votre affirmation que le contenu de ce titre « De la Wallonie… » pourrait avoir la portée d’une « mini-constitution », tant par l’étendue que par la substance des matières concernées, peut étonner et laisser perplexe, surtout toute personne belge, même juriste, même constitutionnaliste, convaincue que le droit constitutionnel d’une France toujours vue comme « jacobine » ne permettrait pas d’aller aussi loin. Dit autrement, cette « mini-constitution» dans la Constitution est-elle compatible avec les deux grands principes 4 constitutionnels d’unité et d’invisibilité de la République ?

Pour prolonger cette interrogation, absolument majeure pour les décideurs franco-belges, je reviens sur le terme « sur mesure ». Un statut constitutionnel « sur mesure » pourrait-il donc bien garantir à une Wallonie qui ferait le choix de la France comme nouvel Etat une autonomie qui serait équivalente à la sienne actuelle dans le cadre de l’Etat belge ? Et pour préciser cette notion d’autonomie équivalente, prenons un exemple « extrême » : la Wallonie dispose (comme la Flandre), au-delà de la longue liste des compétences que la loi constitutionnelle belge lui attribue, de ce que celle-ci nomme « l’autonomie constitutive », soit le pouvoir de fixer ses règles propres d’organisation et de fonctionnement (organes politiques, statut des élus, etc.). Est-il envisageable que la Wallonie puisse continuer à disposer, une fois en France, de la reconnaissance constitutionnelle de ce pouvoir d’auto-organisation ?

Didier Maus : Il n’y a pas dans la structure constitutionnelle française d’aujourd’hui d’exemple d’une collectivité aussi « autonome » que l’est la Wallonie dans le cadre de la fédération belge.

Les collectivités les plus autonomes (La Nouvelle-Calédonie ou La Polynésie) bénéficient d’une  capacité d’auto-législation, dans les domaines définis par la loi organique (article 74 de la Constitution). Elles ne bénéficient pas du pouvoir de définir leurs institutions ou leur organisation.

Il faudrait que le titre spécial de la Constitution sur la Wallonie définisse les règles d’adoption et de contrôle des « lois wallonnes » et les domaines concernés. Le dispositif adopté en Grande-Bretagne pour la dévolution en faveur de l’Ecosse, du Pays de Galles ou de l’Irlande

du Nord ou l’autonomie asymétrique mise en place en Espagne, par exemple en Catalogne, offrent des pistes de réflexion, même si, à chaque fois, le contexte national, historique et politique, est prédominant.

En théorie pure, il faut toujours partir du fait que la Constitution peut tout faire. Il ne serait donc pas impossible d’inscrire dans la Constitution des compétences plus larges au profit d’une collectivité spécifique.

La faisabilité politique est une autre question. Dans la mesure où la situation wallonne entre plus dans le cadre de l’article 53, 3e alinéa, précité, de la Constitution que dans celui du démembrement de territoire d’ores et déjà sous souveraineté française, toutes les possibilités demeurent possibles. L’exemple de la Communauté franco-africaine de 1958-1960 a montré que l’on peut aller très loin et quasiment avoir deux constitutions à l’intérieur d’un même texte constitutionnel. Il faut reconnaître que le contexte historique belge est profondément différent de celui de l’époque.

La question « Jusqu’où la spécificité wallonne peut-elle être garantie ? »  ne peut être réglée que par des négociations politiques. L’unité de la République ne signifie nullement le régime unique. Stricto sensu, «l’unité » de la République » ne fait partie du droit positif que dans le domaine des libertés publiques. L’expression elle-même ne figure pas dans la Constitution de 1958. Il est très délicat de dire où se situe le curseur qui remettrait en cause l’unité. Pour la monnaie la question est réglée avec l’euro ; pour la justice, il faudrait admettre la suprématie de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat ; il n’y aurait qu’une seule diplomatie et une seule armée, avec néanmoins des possibilités d’associer les autorités wallonnes à ce qui les concerne en propre ; on peut imaginer un système éducatif plus décentralisé que l’actuel, mais les diplômes nationaux (à côté de ceux des universités) ont toujours été préservés. On peut néanmoins interpréter le monopole de la collation des grades de manière assez souple. En réalité il faut examiner point par point et imaginer ce qui serait possible. Il est également possible de prévoir une longue période transitoire avec des possibilités régulières de modification ou d’adaptation.

L’indivisibilité est toujours très délicate à définir. Elle exclut, pour l’instant, la reconnaissance de peuples autres que le peuple français (par exemple pour la Corse). Elle est souvent interprétée comme ne permettant pas le fédéralisme, ce qui reste à démontrer. La limite la plus probable est l’impossibilité juridique pour un territoire d’accéder à l’indépendance à la suite de sa seule décision, c’est-à-dire en faisant sécession. L’indivisibilité conduit également la France à se méfier des notions de minorités ou de langues minoritaires. C’est la raison pour laquelle une révision constitutionnelle, impossible pour l’instant à obtenir, est nécessaire en préalable à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. La question linguistique ou le risque de sécession ne devraient guère se poser avec la Wallonie.

Comme toujours, l’aspect politique est primordial. Si les acteurs politiques wallons et français entrent dans un processus de discussions, et ensuite de négociations, il leur appartiendra très rapidement de définir les exigences majeures que la Wallonie souhaite conserver, à court terme ou à moyen terme. Des réflexions « hors sol » peuvent être menées par des experts compétents, mais l’art du juriste est souvent de mettre en forme un accord politique.

L’histoire européenne, pour n’évoquer celle-ci, a connu suffisamment de mutations territoriales et de souveraineté, consenties ou imposées, pour considérer que la faisabilité de la perspective ici esquissée est positive.

L’option réunioniste via le statut d’intégration-autonomie

Les arguments le plus souvent invoqués pour réfuter ou mettre en doute l’option réunioniste sont : Trop de mandats sont en jeu ;   la Wallonie y perdrait son âme ; la majorité des Wallons n’y sont pas favorables ; jamais l’Union européenne ne laissera la Belgique se disloquer.

Trop de mandats sont en jeu. La Wallonie y perdrait son âme

Dans son livre « Splendeur de la liberté », Paul-Henry Gendebien rapporte l’entretien qu’il eut avec Jean Gol à Paris, alors qu’il y exerçait les fonctions de Délégué général de la Communauté française de Belgique (de 1988 à 1996) :

Il m’avoua qu’il ne croyait plus à la nation belge ni même à l’Etat. (…) Il avait été ulcéré par les avancées du nationalisme chez les libéraux flamands, auxquels s’était d’ailleurs ralliée l’une des ailes marchantes de la Volksunie. (…) C’est alors qu’il ajouta, et ceci compta, ce que j’avais déjà deviné sans difficulté : à savoir qu’il pensait que notre avenir (…) serait français. Dans quelles circonstances, sous quelle forme, à quelle date ? Nul ne pouvait le conjecturer avec précision, sinon par une hardiesse excessive et prématurée.

Néanmoins, en manipulant soit par jeu soit par anticipation très consciente un certain nombre d’hypothèses, nous en arrivâmes bien vite à calculer le nombre de départements, de conseillers généraux et régionaux, de députés qui reviendraient à la Wallonie. Sa férocité se déchaîna quand nous évoquâmes ceux de ses amis qu’il faudrait recaser à l’Assemblée nationale. « De toute manière, ajouta-t-il, ils seront fiers de porter l’écharpe tricolore et quelques décorations feront le reste… ». Nous évoquâmes aussi diverses formules d’association et de réintégration dans la République, le précédent de l’Alsace-Lorraine n’étant pas sans intérêt.

Dans sa dernière interview qu’il livra au « Soir » en août 2011, François Perin avait, lui aussi, expliqué la raison pour laquelle les élites wallonnes tenaient tant à conserver la Belgique :

C’est que cela fournit un grand nombre d’emplois de ministres, et de cabinets ministériels. Alors, on tire sur la corde.

Il convient de souligner ici que la France n’est pas un pays uniforme, qui serait incapable de proposer un cadre institutionnel  et juridique adapté à une collectivité territoriale qui émettrait le souhait de la rejoindre. Le vrai débat n’est donc pas de savoir comment substituer le système juridique français de droit commun au système juridique belge, mais de voir de quelle manière il serait possible d’intégrer au sein de la République ce système juridique belge, ainsi que l’autonomie wallonne, en conservant l’essentiel de l’un et de l’autre.

Une formule peut être envisagée, à mi-chemin entre l’union-association, dramatiquement insuffisante, et l’union-assimilation, impopulaire et inapplicable.

Un mot, tout d’abord, à propos de cette option « association ».

La première question, d’importance vitale, qui se pose à un nouvel Etat, après celle de son unité nationale et de l’organisation du pouvoir politique qui l’exprime, est celle de sa viabilité financière, de l’équilibre de ses comptes publics et extérieurs. C’est une question qui appelle une réponse immédiate, un traitement efficace en l’espace de quelques semaines ou de quelques mois, pas plus.

La question se poserait avec d’autant plus d’acuité pour une Wallonie indépendante que son niveau de protection sociale et la dimension de ses services publics sont aujourd’hui largement assurés par des transferts financiers en provenance de Flandre, transferts dont l’extinction progressive est d’ailleurs programmée à partir de 2025.

Outre cette considération, une Wallonie indépendante aurait la charge du financement de sa dette publique, majorée de sa quote-part de celle héritée de la Belgique défunte. Dans l’état actuel des choses, ce serait la banqueroute immédiate !

L’article 88 de la Constitution française prévoit la possibilité d’accords d’Etat à Etat. Mais il est clair qu’une association contractuelle de l’Etat wallon indépendant avec la République française, aux termes de laquelle celle-ci fournirait des financements de substitution, ne pourrait constituer une solution structurelle et durable. Car il est inconcevable, que la République française s’engage pleinement aux côtés de l’Etat wallon souverain – Etat « associé » mais « indépendant » – dans des mécanismes institutionnalisés et pérennes  d’aide financière, avec un enjeu de plusieurs milliards d’euros par an, sans véritable contrepartie au bénéfice de l’intérêt national français. Une solidarité financière de la France ne pourrait donc être que provisoire, limitée et conditionnelle. Elle ne résoudrait assurément pas, de manière durable et complète, les problèmes financiers de l’Etat wallon indépendant.

Nous en arrivons ainsi à la formule d’intégration-autonomie.

Cette formule aurait le mérite de préserver, dans ses grandes lignes, l’héritage juridique belge et d’offrir à la Wallonie un statut particulier qui sauvegarderait ses acquis. Cette forme d’union pourrait tout aussi bien être qualifiée d’union-autonomie. Mais parce qu’elle fait des Wallons des citoyens français à part entière et qu’elle assure un faut niveau de solidarité nationale, nous lui préférons le terme d’union-intégration.

Cette formule prend pleinement en compte le fait que l’Etat français n’est plus un Etat jacobin, centralisé, autoritaire et uniforme. La Constitution française de la Ve République, largement amendée depuis 1958, fonde les bases d’une large décentralisation. Et, de fait, la France n’est plus aujourd’hui un Etat monolithique, dont les territoires seraient exclusivement gouverné par des fonctionnaires galonnés aux ordres du pouvoir central, comment tant de commentateurs mal intentionnés essaient de le faire croire aux Wallons.

La Constitution française autorise, par son article 72, des statuts particuliers pour certains de ses territoires. En métropole, seule, présentement, la Corse bénéficie d’un tel statut (et aussi, mais avec une portée moindre, la Région d’Ile de France). Notons ici que les Corses ont rejeté, en 2003, une réforme renforçant l’autodétermination de leur région.

En outre, la Constitution prévoit explicitement une différenciation des statuts des collectivités territoriales d’outre-mer, pour tenir compte des spécificités de chacune, avec la possibilité de larges transferts de compétences de l’Etat (articles 73 et 74). Dès lors, une très grande variété de statuts est possible, qui vont du droit commun aménagé à de véritables statuts d’autonomie. C’est ainsi le cas en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, ce qui signifie non seulement des pouvoirs locaux plus puissants et pour lesquels les termes de parlement, gouvernement, ministre sont d’usage, mais aussi des corpus juridiques distincts, qui peuvent concerner de nombreux domaines du droit, tant du droit public que du droit privé, régis par les lois locales (« lois de pays ») et des règlements locaux (exemple : le code civil polynésien est largement distinct du code civil français de droit commun). L’Etat français n’exerce donc pour ces territoires autonomes qu’une compétence d’attribution pour des matières expressément réservées.

Il est donc évident que la République française a les aptitudes et les capacités nécessaires à proposer à et faire vivre en son sein un statut propre pour la Wallonie. Non seulement son ordre juridique le permet, mais l’état d’esprit de ses milieux dirigeants comme de sa population le rend possible.

Dès lors que le statut d’autonomie actuel de la Wallonie n’est en rien incompatible avec le cadre politique français, il pourrait être aisément repris tel quel. Mieux encore, les compétences d’une Wallonie française pourraient même être élargies à celles exercées par la Communauté française, laquelle aurait de facto cessé d’exister.

Rien de comparable donc avec la Corse, dont le statut d’autonomie reste modeste, ni avec le supposé statut alsacien-mosellan.

Cela est tout à fait réalisable, comme l’a confirmé le constitutionnaliste français Didier Maus :

Il serait parfaitement possible de créer un titre spécial « De la Wallonie » qui contiendrait une mini constitution sur mesure pour cette région. Il en découle que, sur le fondement de cette mini-constitution, il serait parfaitement réalisable de conserver en l’état, au moins pour l’essentiel, et pour une durée à déterminer le droit belge du travail, celui de la sécurité sociale, et certains droits « connexes », des pans du droit fiscal, le droit des affaires, du commerce, etc. La région wallonne, et aussi la région bruxelloise si la question était posée, conserveraient les compétences qui sont aujourd’hui les leurs, y compris le système éducatif, avec l’enseignement supérieurCe ne serait pas une difficulté de faire de la sorte puisque il en est déjà ainsi, même si c’est avec moins d’ampleur, dans certains territoires français, qui, selon les cas, disposent d’une sécurité sociale propre (Polynésie, Calédonie,…), d’un droit du travail propre (même s’il est largement copié sur celui de la métropole), de nombre de dispositifs fiscaux particuliers, et d’autres régimes spéciaux dans divers domaines (en Corse comme Outre- mer).

Concrètement, cela signifie que la législation et les institutions wallonnes, qu’elles soient régionales, provinciales et municipales, pourront être intégralement conservées. Les compétences actuelles de la Région wallonne seront également maintenues, avec de rares exceptions comme, par exemple, l’octroi des licences de vente d’armes. Elles seront même enrichies de la plupart des compétences exercées aujourd’hui par la Communauté française, notamment l’enseignement.

Pour ce qui est de l’enseignement, précisément, il restera de cadre juridique inchangé au jour J de l’intégration. Mais rien n’empêche que des convergences puissent advenir ultérieurement. Si, par exemple, une demande wallonne s’exprimait pour un régime de baccalauréat, elle pourrait se concrétiser via un double changement législatif, en droit wallon obligatoirement et en droit commun français si nécessaire. En fait, ce raisonnement logico-juridique vaudra pour l’ensemble des matières de compétence wallonne.

Le statut des élus wallons ainsi que les règles électorales resteront intacts. Rien n’exclut cependant des négociations ultérieures avec Paris, dans une logique de donnant-donnant.

Point capital pour la Wallonie : son financement est garanti, puisque l’Etat français reprend à son compte les transferts actuels en provenance de Flandre (quelque 7 milliards d’euros).

Pour ce qui est du droit fédéral et des institutions fédérales, coupées en deux avec la partition du pays, ils relèveront de la compétence de l’Etat français. Une partie sera abandonnée le jour J  (ex : diplomatie, armées, droit de la nationalité et de l’immigration,…),  une autre le sera    plus tard (ex : institutions et procédures judiciaires). Tout le reste est conservé pour une durée indéterminée (notamment le droit et les institutions de la sécurité sociale), sauf négociations, dans une logique de donnant-donnant ou de simple convergence souhaitée de part et d’autre.

Prenons le cas précis de la Justice. L’essentiel pourra être conservé, sauf contradictions pénales. Certains problèmes  seront soumis, au fil de l’eau, au Conseil constitutionnel par la voie de la question préjudicielle de constitutionnalité, s’ils n’ont pas été traités en amont, lors de l’adoption du cadre d’intégration de la Wallonie. Ce cadre devra préciser, si besoin, en quoi il déroge au cadre constitutionnel de droit commun, aux principes généraux du droit français, etc.

La situation des ex-corps fédéraux sera envisagée secteur par secteur, mais l’intégration dans les corps homologues français devrait se faire sans licenciements, avec indemnité compensatoire si nécessaire, comme c’est la règle, et obligation éventuelle de mobilité géographique ou fonctionnelle.

Les élus « nationaux belges » deviendront des élus « nationaux français » et relèveront donc complètement du Droit français, en ce compris les règles électorales.

Mais pas de quoi s’inquiéter à cet égard. La France compte 925 élus nationaux (sénateurs et députés) pour 67 millions d’habitants. Les 11 collectivités d’outre-mer sont très surreprésentées. Pour les 3,6 millions de Wallons, cela donnerait 5%, soit 40/45 élus nationaux. Certes, il y a ce projet d’Emmanuel Macron visant à réduire de 20% l’effectif des élus nationaux. Mais cela resterait néanmoins très correct !

Comme le général de Gaulle l’avait confié, en 1967, à Alain Peyrefitte :

Ils (les Wallons) retrouveraient au sein de la France la fierté d’appartenir à une grande nation, la fierté de leur langue et de leur culture, le goût de participer aux grandes affaires su monde et de se battre pour de grandes causes humaines.

La majorité des Wallons ne sont pas favorables à l’option réunioniste

Il n’est pas sans intérêt de comparer l’évolution de la Wallonie avec celle de la Savoie et de Nice.

Durant plus d’un millénaire, les Savoyards et les Niçois se montrèrent d’une totale loyauté à l’égard de la Maison royale de Savoie, malgré la grande proximité linguistique et culturelle avec la France.

A la suite de la Révolution française, le Royaume du Piémont, dont ils faisaient partie, fut militairement conquis et rattaché à la France (1792-1793). Cette annexion dura une petite vingtaine d’années, au cours desquelles les populations savoyarde et niçoise se virent imposer le système institutionnel et juridique de l’Etat français républicain puis impérial.

Après l’effondrement de l’Empire napoléonien, la France fut contrainte de revenir à ses frontières de 1792.

En 1860, les Savoyards et les Niçois choisirent de quitter le Royaume du Piémont et la Maison royale de Savoie parce que la voie italienne adoptée par celle-ci leur était devenue étrangère et que l’indépendance ne leur paraissait pas crédible.

Les régions qui composent la Wallonie furent, quant à elles, ballotées au fil des siècles d’un régime étranger à un autre, tout en se plaçant clairement, dès le XIIIe siècle, dans la sphère d’influence intellectuelle de la France. Elles aussi se virent imposer, durant vingt ans (de 1794 à 1814, le régime étatique français.

Comment, concrètement, se déroula l’intégration de la Savoie et de Nice à la France ?

Il n’y avait aucun consensus au départ. La période 1858-1860 se caractérisa par l’hésitation des élites et populations concernées.

La Savoie ressentait un attrait certain pour la Suisse, la Suisse romande plus précisément. A Nice, en revanche, le caractère italien restait fortement présent.

La France de 1860, unifiée, forte, prospère, aux institutions stables, à la culture identique ou proche, aux mœurs connues, paraisait finalement plus accessible aux Savoyards et aux Niçois que l’Italie, à l’unification territoriale inachevée, aux populations étrangères, à l’avenir économique incertain, et qui menaçait directement les intérêts de l’Eglise.

Il revenait donc à l’Etat français de rassurer et de séduire les élites dirigeantes et les populations concernées. Dans la mesure où celles-ci ne demandaient pas un régime politique et administratif particulier – les deux pays avaient déjà relevé du cadre français à peine quarante-cinq plus tôt -, les choses se déroulèrent de manière aisée.

L’Etat français put ainsi garantir des conditions d’intégration favorables aux catégories d’intérêts en cause. Seule, l’attraction de la Suisse sur le Nord de la Savoie justifia un traitement territorial particulier, avec la création d’une grande zone franche couvrant les territoires proches de Genève et du Lac Léman.

Les populations savoyarde et niçoise furent ensuite invitées à se prononcer séparément – une première en Europe – pour valider le transfert pacifique d’un territoire d’un Etat à un autre. Validation obtenue à 99%.

On le voit, entre la Savoie et Nice d’une part et la Wallonie d’autre part, nombre de similitudes s’imposent, tant dans les situations héritées du passé que dans les évolutions subies conduisant à la remise en cause d’une appartenance étatique pour lui en substituer une autre.

De même que l’Etat français fut hier le nouvel Etat apte à accueillir les Savoyards et les Niçois, devenus des étrangers au sein de l’Etat-nation italien en devenir, il peut être demain celui dont auront besoin les Wallons lorsque l’émergence d’un Etat-nation flamand aura entraîné la désintégration du Royaume de Belgique.

Quel est aujourd’hui l’état d’esprit des Wallons ?

Selon une étude réalisée par l’Institut wallon de l’Evaluation, de la Prospective et de la Statistique, la population wallonne reste fortement attachée à la Belgique. 92% ne souhaitent pas la voir disparaître.

Toutefois, les résultats d’un sondage organisé conjointement par « La Voix du Nord » et « Le Soir », en juillet 2008, révèlent qu’en cas de disparition du Royaume, 49% des Wallons se tourneraient vers la France, une option acceptée par 60% des Français. Selon, une autre enquête Ifop/ « France-Soir », le taux français était même de 75% dans les régions transfrontalières.

Sans doute faudra-t-il attendre qu’ils se retrouvent mis devant le fait accompli pour que les Wallons réalisent pleinement le sérieux de la situation et adaptent leur comportement en fonction du contexte  socio-économique auquel ils seront alors confrontés. Une Wallonie indépendante connaîtrait une évolution à la grecque, qui ne manquerait pas d’entraîner une baisse drastique des prestations sociales. Et la grosse majorité des Bruxellois (73,9%) optent pour un statut autonome en cas de disparition de la Belgique, ce qui met à mal le rêve de certains de voir émerger cette Belgique résiduelle, qualifiée de Wallo-Brux.

Jamais l’Union européenne ne laissera la Belgique se disloquer

Le problème de la partition de la Belgique n’est en rien comparable avec celui de la Catalogne.

On se trouve ici en présence d’un pays constitué de deux communautés que tout oppose et qui ne parviennent plus à former un gouvernement commun.

Comme l’avait fait remarquer François Perin en 1981 : Jamais l’Europe ni l’0tan, dira-t-on, ne laisseront éclater la Belgique. Que pourraient-ils faire : débarquer les « Marines » pour nous apprendre par la France à vivre ensemble ?

L’Union européenne devra faire preuve de pragmatisme. Dans un message placé sur Facebook, Michel Hermans, professeur de Sciences politiques à l’Université de Liège, déclare : La fin de la Belgique n’est plus de la pure fiction, mais un scénario de plus en plus envisageable.

Et d’expliquer :

Les Communautés flamande et française sont largement favorables à l’Union européenne. Actuellement, on ne pourra plus accuser l’une ou l’autre Communauté, comme pour la Catalogne indépendantiste, de vouloir mettre fin à l’Etat belge, même si ce sont les Flamands qui sont les plus favorables à une « Nation » flamande indépendante. De toute façon, le Confédéralisme, dans un cadre légal, envisagé par une majorité politique flamande, comme solution à la subsistance de la Belgique, est quasi dépassé. Par conséquent, pour éviter une crise dans un des pays fondateurs de l’Union européenne et essayer de trouver un statut pour Bruxelles, capitale de l’Union, entre les deux grandes Régions ou Communautés, les autres membres de l’Union européenne accepteront cette évolution particulière.

Un élément important doit retenir ici notre attention. Si la Wallonie rejoint la France, la question de son appartenance à l’Union européenne est automatiquement réglée. Par ailleurs, c’est la France qui sera amenée à négocier, au nom de la Wallonie, les modalités pratiques de la scission belge, comme l’épineux partage de la dette ou le désenclavement de Bruxelles. Rien à voir avec le Brexit, au niveau des rapports de force !