Jules Gheude

On se souvient de l’insistance avec laquelle le président du MR, Georges-Louis Bouchez, a souhaité l’arrivée de son homologue de la N-VA, Bart De Wever, à la tête d’une coalition Arizona.

Situation pour le moins étonnante, pour ne pas dire surréaliste, lorsqu’on sait que le leader nationaliste flamand est à mille lieues du « belgicanisme » revendiqué ouvertement par le patron des libéraux francophones.

Sans doute ce dernier pensait-il que, sans la majorité des deux-tiers requise pour entamer une nouvelle réforme de l’Etat, Bart De Wever ne pourrait donner corps à son projet confédéraliste. Un projet visant à faire du pouvoir central belge une coquille vide qui apparaîtrait, à terme, superflue. L’antichambre du séparatisme, en quelque sorte.

Sauf que Bart De Wever a plus d’un tour dans son sac et que, à l’instar de son modèle Jules César, il s’y connaît remarquablement bien en stratégie.

Il y a un an, le 26 juin 2024, on trouvait dans la presse francophone un papier intitulé : « Comment Bart De Wever peut contourner les règles des 2/3 pour réaliser une réforme de l’Etat ».

Un nationaliste flamand reste un nationaliste flamand, c’est-à-dire quelqu’un qui n’a aucun affect pour la Belgique et dont l’unique préoccupation consiste à veiller aux intérêts fondamentaux de la Flandre.

Depuis 1993, la Belgique est officiellement un Etat fédéral, composé des communautés et des régions.

S’il n’y a pas de modèle unique en matière de fédéralisme, on constate toutefois que la plupart des Etats fédéraux (les USA avec les divers Etats, l’Allemagne avec les Länder, la Suisse avec les cantons) fonctionnent sur la base d’un système bicaméral, censé permettre aux « entités fédérées » de disposer d’un lieu de débat/réflexion propre, à côté de la Chambre nationale.

Sauf que la Flandre, qui a fini par s’ériger en Nation, ne se comporte plus en entité fédérée, mais bien en véritable Etat.

La coalition Arizona s’est engagée à supprimer le Sénat, dont le personnel et les compétences devraient être transférées à la Chambre.

Pour les partenaires francophones, opposés farouchement à tout dépeçage de l’Etat qui irait dans le sens du confédéralisme, il s’agit avant tout de simplifier le paysage institutionnel et de le rendre plus efficace. Mais, pour la Flandre, il est clair que la suppression du Sénat revêt une signification hautement symbolique.

On sait que, sous la Vivaldi, deux ministres (la CD&V Annelies Verlinden et le MR David Clarinval) avaient été chargés de préparer une nouvelle réforme de l’Etat et que cela n’a débouché sur aucune concrétisation.

Cette fois, le Premier ministre Bart De Wever s’est arrangé pour s’occuper « personnellement » de la chose…

Par ailleurs, Bart De Wever n’ignore pas que la suppression de l’indemnité de chômage après une période de deux ans, aura un impact financier bien plus grand en Wallonie et à Bruxelles qu’en Flandre. De quoi creuser encore le fossé abyssal entre le Nord et le Sud.

Or, l’on sait que les « demandeurs de rien » francophones ont toujours fini par céder en échange d’argent…

Quant à la paralysie bruxelloise, elle ne fait qu’apporter de l’eau au moulin des confédéralistes, qui entendent cogérer la Région bruxelloise au niveau des matières dites personnalisables. Chaque habitant aurait, en effet, à choisir entre le paquet flamand (nettement plus avantageux !) et le paquet wallon. « Nous achèterons un jour Bruxelles », avait déclaré l’ancien ministre-président flamand CVP Gaston Geens…

Enfin, il convient de souligner deux événements majeurs : la désignation d’un Flamand, Stijn Bijnens, en tant que CEO de Proximus, alors que, depuis vingt ans, ce poste revient à  un francophone si la tête de la Poste est flamande. Et le fait qu’avec 39% des parts, la Flandre se retrouve être le premier actionnaire de Brussels Airport, avec un siège au comité stratégique où se prennent les décisions capitales.

« Ce rachat est un tournant pour ‘notre’ aéroport », s’est empressé de déclarer le ministre flamand du Budget au Parlement flamand, tandis que le journal « Het Laatste Nieuws » se réjouit de constater que  « Le gouvernement flamand fait usage de ses moyens financiers pour accroître le pouvoir des Flamands, et pour étendre ce pouvoir. »

La Flandre, manifestement, sait où elle va.

A la Chambre, s’adressant au Premier ministre Paul Magnette, le président du PS, hurle : « On sait bien où vous voulez aller. Mais nous ne vous laisserons pas faire. »

Léger sourire de Bart De Wever. Que de fois les responsables francophones n’ont-ils pas roulé des mécaniques pour finalement céder ! On ne craint pas les matamores au sabre de bois…