Jules Gheude,

Au cours de ces dernières années, j’ai été régulièrement invité par le Mouvement populaire flamand à venir exposer mon point de vue sur l’avenir de la Belgique. Je l’ai fait chaque fois dans la langue de Vondel.
De Hasselt à Bruges, en passant par Meise, Deerlijk, Grimbergen, Audenarde, Furnes, Cokside ou Ostende, j’ai ressenti, parmi les participants, ce sentiment puissant d’appartenance collective qui caractérise finalement une nation.
En 1973, Manu Ruys – il fut, durant de longues années, l’éditorialiste très influent du quotidien chrétien-démocrate « De Standaard » (avec le sigle « Alles voor Vlaanderen en Vlaanderen voor Kristus » à la Une ! « Tour pour la Flandre et la Flandre pour le Christ ») – avait sous-titré son livre « Les Flamands » : Un peuple en mouvement, une nation en devenir.
Aujourd’hui, il est clair que cette nation existe bel et bien, avec ses quatre éléments : un peuple, un territoire, une langue, une culture.
Ce qui amena François Perin à écrire en 1981 : « Qu’est-ce qui empêcherait les Flamands de proclamer unilatéralement leur indépendance et d’affirmer leur nation ? Ils ont créé tous les instruments de leur future légitimité. »
Voilà plus de sept mois que Bart De Wever, le leader des nationalistes flamands, tente de mettre sur pied cette fameuse coalition Arizona.
Hormis sa note consacrée à la défédéralisation des institutions scientifiques et culturelles fédérales, le formateur s’est jusqu’ici concentré sur les volets socio-économique et financier, sans parvenir à mettre d’accord le MR et Vooruit sur la manière de répartir les efforts à consentir.
Les négociateurs ont convenu d’aboutir (ou pas) pour le 31 janvier.
Mais voilà que, à 20 jours de la date-butoir, Bart De Wever évoque clairement la problématique communutaire. Samedi dernier, lors de son discours de Nouvel An à Malines, il reçoit une salve d’applaudissements en déclarant : « Nous sommes prêts à gouverner ce pays si des avancées communautaires concrètes à réaliser tombent et si le développement ultérieur de l’autonomie de la Flandre n’est pas un tabou. »
Dès le lendemain, Georges-Louis Bouchez s’empresse de recadrer le formateur : « Je suis attaché à la Belgique, qui est un Etat fédéral. »
Libre au président du MR de rappeler sa fibre belgicaine – pourquoi ne parle-t-il toujours pas le néerlandais, alors qu’il veut l’imposer dans les écoles francophones ? -, mais force est de constater qu’il se refuse à voir la réalité en face.
La réalité, c’est que, dès les années 90, la Flandre a exprimé sa volonté de passer à l’heure confédérale. La N-VA n’existait pas encore lorsque Luc Van den Brande, alors ministre-président flamand CVP, a lancé cette idée, qui fut avalisée par le Parlement flamand en 1999.
On ne parle plus ici d’entités fédérées, mais d’Etats, Flandre et Wallonie cogérant Bruxelles pour ce qui concerne les compétences personnalisables, tandis que le pouvoir central belge est réduit à sa plus simple expression.
En 2007, Wouter Beke, alors président du CD&V, n’avait d’ailleurs pas hésité à déclarer : « Nous voulons une véritable confédération où chacun pourra agir comme il l’entend. Si les francophones n’acceptent pas de lâcher du lest, nous n’aurons pas d’autre choix que l’indépendance. »
Pour les élections du 9 juin dernier, la N-VA a axé toute sa campagne sur ce thème. Et il est arrivé sur la première marche du podium politique belge.
Certes, Bart de Wever ne dispose pas de la majorité des deux-tiers requise pour entreprendre une telle réforme. Mais on le voit mal devenir Premier ministre sans obtenir la garantie de changements institutionnels conséquents. Il préférera alors se retirer sur ses terres anversoises pour poursuivre le combat.
Et ce combat est clairement défini par l’article 1er des statuts de la N-VA : faire émerger une république flamande au sein de l’Union européenne.
Devenue nation, la Flandre a, en effet, vocation à s’ériger en Etat.
Et comme le constatait fort bien Jules Destrée, dans sa fameuse « Lettre au Roi », en 1912 : « Le Flamand ne recule jamais. Il a la douce obstination têtue du fanatisme. »