Pour Jules Gheude, la Belgique est condamnée à disparaître en raison de l’émergence d’une Nation flamande. Dans son deuxième roman, « Le Suicidé de Porquerolles », paru aux Presses du Midi à Toulon, il évoque notamment l’inéluctable démantèlement du Royaume et la perspective d’une intégration de la Wallonie à la France.

Interview
Voilà des années que vous annoncez l’apocalypse belge. Et le pays est toujours là…
Tout d’abord, j’ai toujours expliqué que la fin de la Belgique n’aurait rien d’apocalyptique. Quand je dis que « la Belgique est condamnée à disparaître à terme, à s’évaporer », je ne fais que reprendre les propos tenus en 2002 par Karel De Gucht, qui présidait à l’époque les libéraux flamands. Et il avait ajouté : « En attendant, elle n’apporte plus aucune valeur ajoutée à la Flandre. » Et ce n’étaient nullement des paroles lancées en l’air ! Lorsque, il y a quelque temps, le président du MR, Georges-Louis Bouchez, parlait d’une remise sur pied de « la famille libérale » avec l’Open VLD, Hervé Hasquin s’était empressé de lui faire remarquer : « Croyez-moi, un libéral flamand est un nationaliste flamand. » Et on pourrait dire exactement la même chose d’un démocrate-chrétien flamand. Comme l’avait déclaré l’ancien ministre CVP, Stefaan De Clerck : « La relation entre le nationalisme et la démocratie chrétienne est profondément ancrée dans l’ADN flamand. »

Vous voulez dire que le sentiment nationaliste transcende les frontières des partis ?
C’est tout à fait cela. Ces dernières années, j’ai eu régulièrement l’occasion de m’exprimer en Flandre, à l’invitation du Mouvement Populaire Flamand. De Hasselt à Bruges, en passant par Meise, Ostende, Grimbergen, Audenarde, Beveren, Furnes et Deerlijk. A chaque fois, j’ai senti ce sentiment très fort d’appartenance collective. On est « vlaamsvoelend » (qui se sent flamand) avant tout. En 1973, Manu Ruys, le très influent éditorialiste du journal chrétien « De Standaard », avait sous-titré son livre « Les Flamands » : un peuple en mouvement, une nation en devenir. Aujourd’hui, cette nation existe bel et bien, avec ses quatre caractéristiques : un peuple, un territoire, une langue, une culture. Et cette réalité menace la survie du royaume.
Vous pouvez préciser…
Georges-Louis Bouchez rappelle que la Belgique est un Etat fédéral. Mais le fédéralisme est devenu impossible, parce que la Flandre ne se considère plus comme une entité fédérée, censée appliquer le principe de la solidarité financière interrégionale, mais comme une Nation. D’où ce projet confédéral, dont l’idée fut d’ailleurs lancée au début des années 90 par Luc Van den Brande, alors ministre-président flamand CVP. La N-VA n’existait pas encore à l’époque. Et que signifie le confédéralisme ? Un pouvoir central belge réduit à sa plus simple expression et deux Etats -Flandre et Wallonie-, disposant de la majorité des compétences et cogérant Bruxelles au niveau des matières dites « personnalisables » (impôt des personnes, soins de santé,…). Si un tel projet devait voir le jour, il ne faudrait évidemment pas longtemps à la Flandre pour considérer que l’échelon central belge est devenu superflu. Et le documentaire de la RTBF de 2006 « Bye bye Belgium passerait de la fiction à la réalité !
Mais pour réaliser une telle réforme, il faut une majorité des deux-tiers, qui fait aujourd’hui défaut…
Lors de la cérémonie des voeux de Nouvel An, vous avez remarqué que le formateur Bart De Wever a insisté pour que des « avancées communautaires concrètes » tombent. Et il souhaite que l’autonomie flamande ne soit plus un tabou. Je vois mal le leader charismatique des nationalistes flamands endosser le costume de Premier ministre belge sans obtenir quelque chose de substantiel au niveau communautaire. Il jouerait gros vis-à-vis de son propre électorat. L’article 1er des statuts de la N-VA, dois-je le rappeler, parle bien d’une République flamande au sein de l’Union européenne. Lorsqu’il présidait le CD&V, Wouter Beke a déclaré de son côté, on était en 2007 : « Nous voulons une véritable confédération où chacun pourra agir comme il l’entend. Si les francophones n’acceptent pas de lâcher du lest, nous n’aurons pas d’autre choix que l’indépendance. » Difficile d’être plus clair, non ?
On vous sait très influencé par François Perin, dont vous avez été très proche et dont vous avez rédigé la biographie.
Il fut d’une étonnante lucidité. En 1981, ce qu’il écrivait dans « La Meuse » illustre tout à fait ce que nous vivons aujourd’hui : « Voilà des années que je pressens ce qui va arriver. Après d’éventuelles élections qui n’auront qu’exacerbé le malaise dû à une crise financière et économique insoluble, le malheureux chef de l’Etat se mettra à courir après un gouvernement introuvable : la Belgique peut disparaître par implosion. Qu’est-ce qui empêcherait les Flamands de proclamer unilatéralement leur indépendance et d’affirmer leur nation. Ils ont créé tous les instruments de leur future légitimité. » Aujourd’hui, les deux formations indépendantistes flamandes, la N-VA et le Vlaams Belang, détiennent chacune 31 sièges sur les 124 que compte le Parlement flamand… A propos de l’hypothèse de la disparition de la Belgique, Xavier Mabille, l’ancien président du Crisp, avait précisé : « hypothèse dont je dis depuis longtemps qu’il ne faut en aucun cas l’exclure. »

Dans votre deuxième roman, « Le Suicidé de Porquerolles », le héros est un professeur belge de Droit international qui a décidé de passer sa retraite dans le Var. Il ne croit plus en l’avenir de la Belgique et il estime que le destin de la Wallonie se trouve en France.
Le général de Gaulle le pensait également. A Robert Liénard, professeur à l’Université de Louvain, il avait en effet déclaré : « J’ai la conviction que seule leur prise en charge par un pays comme la France peut assurer l’avenir à vos trois à quatre millions de Wallons. »
Mais la France du général a bien changé. Elle est confrontée aujourd’hui à un contexte politique difficile, et le mot est faible…
Certes. Il s’agit d’une crise de régime, comme la France en a connu bien d’autres. Mais elle n’est pas menacée, elle, de disparition. Ce que vit la Belgique depuis la fameuse crise politique de 2010-2011 – 541 jours sans gouvernement de plein exercice -, c’est une véritable crise existentielle. C’est sa viabilité même qui est en jeu. Voilà près de 8 mois que les élections législatives et régionales ont eu lieu. Et on n’a toujours pas de gouvernement fédéral, ni de gouvernement bruxellois. J’entends encore François Perin me dire : « La Belgique n’a jamais été qu’un mauvais vaudeville. Il est temps de faire tomber le rideau ! ».