Béatrice Delvaux, « Le Soir », 3 février 2025

Le programme de l’Arizona connaît des zones d’ombre et des inconnues mais, sur le fond, c’est une évidence : l’Arizona est une fusée à deux étages. L’Arizona 1, lancé pour quatre ans (normalement) est la phase de la remise en ordre qui prépare une phase 2 : la redéfinition complète de la Belgique par une grande réforme de l’Etat. Comme si ce gouvernement De Wever n’était que le tremplin pour atteindre le véritable objectif.
Phase 1 : la remise en ordre. Elle est sévère, sombre et rappelle l’austérité du passé. Face caméra, le nouveau Premier ministre ne renonce pas au langage du candidat nationaliste évoquant « le pourrissement » du pays. D’où la cure de choc. Du sang et des larmes ? La remise en ordre est tous azimuts, et dans la ligne très à droite – avec quelques compromis – que la Flandre suit déjà comme nombre de pays européens désormais, mais qui est adoptée aujourd’hui par deux partis francophones. Preuve symbolique : la fin des allocations de chômage dans le temps, autrefois revendication flamande mais tabou wallon, est validée par le MR et Les Engagés comme l’instrument pivot de la remise à l’emploi.
Le rêve proposé par l’Arizona, à certains Belges plus qu’à d’autres ? Du salaire net en plus pour les classes moyennes, de la compétitivité pour les entreprises, avec le « tout au travail » en valeur cardinale. Les réformes sont nécessaires, en matière de pension, de stimulation de l’emploi notamment, et la revalorisation salariale du travail est une excellente nouvelle, mais les recettes utilisées, présentées comme miracles, auront-elles l’effet visé ? Qu’adviendra-t-il des chômeurs après deux ans si le CPAS n’arrive pas à les soutenir ou les guider ? Quid du traitement brutal, voire du rejet, appliqué aux migrants dont l’arrivée sur notre sol ne rime pourtant pas avec une submersion ? Quid des finances wallonnes et bruxelloises qui devront assumer de nouvelles charges qui peuvent les transformer en mendiants au tour gouvernemental suivant ? Quid des femmes ?
Phase 2 : redessiner le pays. Ce n’est pas l’Arizona qui va préparer la future réforme de l’Etat, mais le Premier ministre dont ce sera la prérogative. A ceux qui se demandaient ce que le président d’un parti nationaliste et indépendantiste flamand pouvait bien venir faire dans cette galère fédérale, la réponse est là : l’autonomie de la Flandre, cet impossible Graal, serait au bout de ce séjour au « 16 » par « évolution ». L’occasion est unique. Au Knack, il y a deux jours, Bruno De Wever, historien, le disait clairement : « Mon frère (Bart, NDLR) n’est pas entré en politique pour assainir les finances publiques de la Belgique. (…) Veut-il qu’on se souvienne de lui comme l’homme qui a mis en ordre la dette belge, comme tant de Premiers avant lui ? Ou comme celui qui a fait de la Belgique une confédération et a rendu la Flandre presque indépendante ? » Pour Bruno De Wever, la réponse est évidente. Maxime Prévot et Georges Louis Bouchez doivent écouter ce que ce fin connaisseur du système belge ajoute : « Il y a beaucoup de manières pour construire la voix nationale flamande, surtout pour quelqu’un qui est au 16. La réforme de l’Etat est devenue tellement technique que, derrière les tentures, il y a de multiples façons de faire éclater la Belgique un peu plus. »
L’institutionnel est en fait quasi à chaque page de l’accord de l’Arizona, sous l’appellation de « fédéralisme de réforme renforcé », ce qui revient quand on lit bien à faire encore davantage des Régions le centre de gravité du pays. L’argument cité pour justifier ces « transferts » est tout à fait recevable : l’amélioration de l’efficacité et de la coordination est une nécessité absolue dans un pays souvent en échec sur ces deux plans. Mais on constatera que le sens du vent est celui donné par la N-VA, comme avec la fusion des zones de police à Bruxelles ou le flou sur les institutions scientifiques et culturelles fédérales. Refédéralisation ? Le mot, pourtant souvent cité autrefois par le président du MR, ne figure dans aucune des dizaines de pages de l’accord.