Jules Gheude a rédigé cet article à l’intention du public français.


Le gouvernement belge sera finalement dirigé par… Bart De Wever, figure charismatique du nationalisme flamand.
L’événement relève du surréalisme, mais n’oublions pas que nous sommes au pays de Magritte…
Bart De Wever, passionné par l’histoire de Rome, est incontestablement un fin stratège, à l’instar de son modèle, Jules César
Après avoir, en tant que bourgmestre d’Anvers, désendetté la ville, il est parvenu à hisser son parti, la N-VA, sur la première marche du podium politique flamand et belge, alors que les sondages annonçaient une large victoire du Vlaams Belang, la formation indépendantiste d’extrême droite.
Le Roi Philippe n’a donc eu d’autre choix que de lui confier la délicate mission de constituer un nouveau gouvernement fédéral.
Très vite, il est apparu qu’une seule coalition gouvernementale pouvait être sérieusement envisagée, après la décision des socialistes francophones et des libéraux flamands de faire une cure d’opposition.
Cette coalition, baptisée Arizona, devait comprendre, du côté francophone, le Mouvement Réformateur et Les Engagés (centre), et, du côté flamand, la N-VA, le CD&V (centre) et Vooruit (socialiste).
Plus de huit mois furent nécessaires pour aboutir à un accord de gouvernement et permettre à Bart De Wever de lâcher Alea jacta est ! Pas facile, en effet, pour les socialistes flamands de décrocher un trophée dans cet attelage fort marqué à droite.
La crise fut certes plus courte que celle de 2010-2011 (541 jours !), mais cela montre bien l’extrême fragilité du royaume. Il y a quatorze ans, un rapport de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française avait conclu que la division de la Belgique en deux groupes linguistiques de plus en plus cohérents et dissemblables rendait son existence de moins en moins probable.
L’article 1er des statuts de la N-VA parle expressément d’ « une République flamande au sein de l’Union européenne ».
Pour Bart De Wever, il n’est toutefois pas question d’adopter une stratégie révolutionnaire, mais d’y aller de façon évolutive, pas à pas.
Cela signifie passer du fédéralisme, officiellement reconnu par la Constitution belge en 1993, à une structure confédérale réduisant le pouvoir central à la portion congrue (trois à quatre compétences) et reposant sur deux Etats – Flandre et Wallonie -, ceux-ci assurant la cogestion de Bruxelles pour les matières dites « personnalisables » : impôt des personnes, sécurité sociale, etc. Chaque habitant de Bruxelles aurait en fait à choisir entre le paquet flamand et le paquet wallon.
Les responsables francophones s’opposent fermement à un tel projet, qui aboutirait in fine au démantèlement complet du pays. Ce serait, disent-ils, « l’antichambre du séparatisme ».
Aujourd’hui, la majorité des deux-tiers, nécessaire pour entreprendre une nouvelle réforme de l’Etat (la septième depuis 1970), fait défaut.
Est-ce à dire qu’en se focalisant sur le redressement économico-budgétaire du pays, Bart De Wever se serait métamorphosé en « bon Belge royaliste » ? Il serait naïf de le penser.
En plus d’être fin stratège, l’homme vient également de révéler ses qualités de comédien.
Et les francophones ne sont pas au bout de leurs surprises. Il suffit de lire ce que dit l’historien Bruno De Wever à propos de son frère : « (Il) n’est pas entré en politique pour assainir les finances publiques de la Belgique. (…) Veut-il qu’on se souvienne de lui comme l’homme qui a mis en ordre la dette belge, comme tant de Premiers ministres avant lui ? Ou comme celui qui a fait de la Belgique une confédération et a rendu la Flandre presque indépendante ? (…) Il y a beaucoup de manières pour construire la voix nationale flamande, surtout pour quelqu’un qui est au 16 (Ndlr : 16, rue de la Loi, siège du bureau du Premier ministre belge). La réforme de l’Etat est devenue tellement technique que, derrière les tentures, il y a de multiples façons de faire éclater la Belgique un peu plus. »
Lors de la cérémonie des vœux de Nouvel An de la N-VA, Bart De Wever a d’ailleurs été très clair : « Nous sommes prêts à gouverner ce pays s’il y a des progrès communautaires concrets à réaliser et si le développement ultérieur de l’autonomie de la Flandre n’est pas un tabou. »
L’autonomie de la Flandre, nous y voilà ! Il s’agit bien de l’objectifs final à atteindre.
L’accord de l’Arizona précise d’ailleurs que la préparation d’une nouvelle réforme de l’Etat sera la prérogative exclusive du Premier ministre.
Et l’institutionnel est loin d’être absent de l’accord gouvernemental. On trouve ainsi un chapitre intitulé « Fédéralisme de réforme renforcé », qui tend à réduire la voilure belge au profit des Régions et Communautés. D’autre part, le Sénat sera supprimé.
Quant à la N-VA, outre le poste de Premier ministre, elle assume la présidence de la Chambre et obtient les portefeuilles ministériels des Finances, des Pensions, de la Défense, du Commerce extérieur, de l’Asile et de la Migration. Du très lourd, donc.
Et voilà le républicain (et remarquable comédien) Bart De Wever se mettant à souligner « l’excellente conduite » du roi !
Mais la crise existentielle de la Belgique est loin d’être terminée.
En témoigne ce titre de Béatrice Delvaux, l’éditorialiste en chef du journal « Le Soir », le 2 février : « L’Arizona, une fusée à deux étages. Un, la remise en ordre du pays. Deux, sa liquidation ? »
Quant à la Région bruxelloise, la Jérusalem belge, elle n’est toujours pas parvenue à constituer son propre gouvernement, alors que l’on a voté le 9 juin dernier.
Dans son deuxième roman, « Le Suicidé de Porquerolles », paru dernièrement aux Presses du Midi à Toulon, Jules Gheude évoque notamment la fin de la Belgique et la perspective d’une intégration de la Wallonie à la France.