Dans son livre « Rexit », Vincent Stuer mentionne un rapport rédigé durant l’été 1942 par des proches du roi. Léopold III entendait proposer à Hitler la création d’une Belgique réduite dont il serait resté le souverain. 

« Le Soir », William Bourton et Pascal Martin, 24 février 2025

Le dramaturge et homme politique libéral flamand Vincent Stuer a publié chez Borgerhoo & Lamberigts Rexit. Léopold III en het tragische misverstand, ouvrage qui s’est accompagné d’une pièce éponyme jouée l’an dernier au KVS.

Rexit fait mention d’un rapport de 22 pages daté de l’été 1942 et rédigé par un groupe de travail composé de proches de la cour. Ce groupe avait été chargé par le roi d’élaborer un scénario pour l’avenir de la Belgique. Selon ce document dont le contenu était inconnu jusqu’ici, Léopold III comptait rester à la tête d’une Belgique croupion une fois la Seconde Guerre mondiale terminée.

Léopold III pariait sur une « paix de compromis » négociée entre les Alliés et Berlin. A suivre ses désirs, cette paix aurait inclus la création d’un « Etat belge résiduel et neutre », réduit en superficie et relégué à l’écart des villes stratégiques qu’étaient Bruxelles et Anvers pour l’Occupant. Cette Belgique vassalisée, définitivement remise entre les mains d’un Léopold III débarrassé du parlementarisme, aurait pu trouver place « au sud de la Sambre et de la Meuse, dans les provinces du Hainaut et de Namur ». Elle aurait eu la taille « au minimum d’une province ou d’une superficie équivalente ». C’est à ce prix que le roi espérait continuer à régner sur la Belgique, quitte à la redessiner de fond en comble et à l’intégrer au IIIe Reich.

Les lettres demandant l’ouverture des négociations étaient prêtes. Celles-ci n’eurent jamais lieu.

« Même avec l’aide d’Hitler »

« En 1940 déjà, le souverain avait eu l’intention d’instaurer une sorte de régime de Vichy, à l’instar de la France. Mais qu’il le pense encore en 1942 ? C’est remarquable », enchérit Stuer, pointant la déconnexion totale du souverain avec la réalité du terrain. En 1942, la population belge était soumise à des privations. Les résistants, les Juifs et les Roms étaient traqués. Les Alliés s’étaient mis d’accord pour écraser l’Allemagne nazie… « Apparemment, Léopold ne ressentait rien de tout cela. Plus encore : il voulait à tout prix éviter que la Belgique ne tombe dans le camp des Alliés, même avec l’aide de Hitler. »

Bas du formulaire

Le rapport provient des archives du secrétaire de la cour Robert Capelle. Il était caché dans les archives privées de la princesse Lilian, la seconde épouse de Léopold. Ces documents sont devenus accessibles après son décès en 2002.

Hervé Hasquin, professeur émérite d’histoire de l’ULB et auteur de deux ouvrages sur Léopold III (Léopold III de Belgique. Le roi de l’aveuglement, 1934-1945 et Effacement de Léopold III, 1945-1951, Ed. du CEP), n’est guère étonné par le contenu du document révélé par Vincent Stuer car Henri De Man (dirigeant du Parti ouvrier belge et ministre dans les années 30 avant de passer du côté de l’Ordre nouveau et de devenir le principal conseiller de Léopold III) y fait référence dans ses mémoires (Après coup, Ed. de La Toison d’or).

« Dans ses mémoires, De Man fait part des interrogations qui étaient celles de Léopold III, qui se demandait comment on pourrait concevoir un mini-Etat belge dans l’ensemble de l’empire allemand, comme c’était le cas sous l’Ancien Régime », explique Hervé Hasquin. « Cela relève de ce que j’ai appelé “l’entêtement pathologique” de Léopold III, qui considérera Hitler comme un homme exceptionnel et qui, jusqu’en 1944, refusera d’envisager la victoire des Alliés, exigeant au contraire des excuses de la part des ministres de Londres… »

L’historien et directeur du Cegesoma Nico Wouters juge le rapport de 22 pages « très intéressant » et confirme son caractère inédit. « Il nous dit que Léopold III n’a pas changé d’attitude. Au contraire, il est sorti du cadre de la politique de moindre mal pour s’avancer davantage vers la collaboration. Une chose est d’exécuter des ordres sous la contrainte, une autre est d’être proactif, d’aller vers une situation politique nouvelle qui aurait changé fondamentalement le pays en le divisant. On est ici proche des idées du VNV (Ligue nationale flamande) ou de Léon Degrelle, des soutiens de la politique du IIIe Reich. »

Nico Wouters rappelle au passage qu’en avril 1942, Léopold III avait envoyé un télégramme à Adolf Hitler pour le féliciter à l’occasion de son anniversaire.

Les historiens Herman Van Goethem et Jan Velaers, auteurs de la biographie monumentale Léopold III (1994), confirment également l’importance de ce rapport dans le Morgen. « Nous savions que ce document existait, mais pas ce qu’il contenait. Désormais, nous le savons », déclare le professeur Velaers. Van Goethem ajoute : « Cela montre que, tout au long de la guerre, Léopold a continué à penser de la même manière, malgré l’évolution du conflit : pour lui, la Belgique n’était pas une partie prenante dans la guerre, et il devait donc pouvoir redevenir roi dans un régime autoritaire. » Toutefois, il nuance : « Aujourd’hui, cette position paraît inconcevable, mais au printemps 1942, l’issue de la guerre restait incertaine. Envisager un scénario dans lequel Hitler ou l’Allemagne conservait le pouvoir n’était pas si étrange. Ce qui est clair, c’est que Léopold ne voulait pas se ranger du côté des Alliés. »