Jules Gheude, essayiste politique

Heureusement que les archives existent pour rappeler opportunément certains faits.
Durant la seconde moitié du XXe siècle, le parti démocrate-chrétien flamand a joué un rôle majeur au point que l’on a pu parler d’ « Etat-CVP ».
Lorsqu’il s’est agi, après la première réforme de l’Etat de 1970, de donner vie aux nouvelles institutions reconnues par la Constitution – les Communautés française, flamande et germanophone ; les Régions wallonne, flamande et bruxelloise -, il est apparu que le CVP n’avait en fait de réel intérêt que pour la Communauté flamande, qui permettait d’atteindre l’un des objectifs prioritaires du Mouvement flamand, à savoir l’autonomie culturelle. Celle-ci se concrétisa donc très rapidement, tandis que tout fut mis en œuvre pour retarder la naissance des Régions. En fait, le CVP n’avait aucune intention de faire de Bruxelles, où la population flamande était très largement minoritaire, une troisième Région à part entière.
En 1974, malgré les tergiversations du Premier ministre CVP Léo Tindemans, François Perin, ministre de la Réforme des Institutions, parvint néanmoins à mettre sur les rails un système de régionalisation préparatoire pour la Wallonie et la Flandre.
Sous le quatrième gouvernement de Léo Tindemans (3 juin 1977 au 11 octobre 1978), la Volksunie et le FDF – l’eau et le feu ! – réussirent, contre toute attente, à trouver un compromis sur l’épineuse question bruxelloise : ce fut le Pacte d’Egmont, que s’empressa de torpiller le Premier ministre en allant remettre sa démission au Roi.
François Perin stigmatisa sévèrement cette attitude qui n’avait en fait d’autre but que de renvoyer la Volksunie et le FDF, nus devant leurs électeurs : « Voilà encore une idée obsessionnelle au CVP : affaiblir les partenaires ! Quand on se place du point de vue de l’Etat en mutation, mettre fin à une réforme de ce genre, alors que tous les ministres avaient contresigné le projet, les siens compris, c’est tout de même d’une déloyauté incroyable. C’est un coup de poignard dans le dos ! »
L’opposition du CVP à l’émergence d’une Région bruxelloise se poursuivit. Lors du congrès du 16 décembre 1979, le parti défendit l’option d’une Belgique bicommunautaire, avec un territoire de Bruxelles-Capitale à gestion paritaire. Et Eric Van Rompuy, le fougueux président des CVP-Jongeren, d’obtenir un tonnerre d’applaudissements après avoir lâché : « Bruxelles ne deviendra ni aujourd’hui ni demain une Région à part entière ! »
Il fallut attendre 1989 pour que, sept ans après la Wallonie et la Flandre, la Région bruxelloise vît enfin le jour, au prix du sacrifice de José Happart dans la question fouronnaise.
Mais le CVP n’allait pas tarder à remettre le couvert. Dès le début des années 90, Luc Van den Brande, ministre-président flamand CVP, lança l’idée du confédéralisme, précisant, le 13 janvier 1993 : « Mes collègues de l’exécutif flamand, socialistes compris, se rallient à mes déclarations sur le confédéralisme. »
On eut ensuite, de 2004 à 2009, le cartel CD&V/N-VA, avec cette déclaration de Wouter Beke, président du CD&V, au journal québécois « Le Devoir », le 22 septembre 2007 : « Nous voulons une véritable confédération où chacun pourra gir comme il l’entend. Si les francophones n’acceptent pas de lâcher du lest, nous n’aurons pas d’autre choix que l’indépendance. »
Aujourd’hui, cela fait exactement un an que les dernières élections législatives et régionales ont eu lieu et la Région bruxelloise n’est toujours pas parvenue à se constituer un gouvernement.
Du pain bénit, en fait, pour les adeptes du confédéralisme, dont Bart De Wever, l’actuel Premier ministre : « Si Bruxelles vient réclamer de l’argent au fédéral, je mettrai la Région sous tutelle. Car je poserai des conditions très claires d’assainissement pour arrêter la mal gouvernance bruxelloise. Ils vont évoluer vers une dette de près de 300 % de leur budget. C’est scandaleux! »
Si Bart De Wever ne dispose pas de la majorité des deux-tiers requise pour entreprendre une réforme de l’Etat de type confédéral, la paralysie bruxelloise pourrait cependant déboucher sur un nouveau conflit communautaire aux implications imprévisibles.
En attendant, l’on apprend que le gouvernement bruxellois en affaires courantes de Rudy Vervoort a adressé une missive aux diverses instances européennes pour leur expliquer les difficultés posées par l’aménagement du rond-point Schumann.
Une initiative qui a fait bondir le Premier ministre Bart De Wever : « C’est une véritable honte, une humiliation totale : la Région bruxelloise qui va quémander de l’argent pour aménager une place. J’ai dû m’excuser »
Et de réaffirmer que si la Région bruxelloise devait s’adresser à l’échelon fédéral pour obtenir une contribution financière, il se comporterait comme le Fonds monétaire international à l’égard des failed states…