Jules Gheude, essayiste politique

Certains poussent des cris d’orfraie, se scandalisent parce que, interviewé à La Haye par la chaîne NPO, le Premier ministre belge, Bart De Wever, a déclaré que « la séparation des grands Pays-Bas au XVIe siècle était la plus grande catastrophe qui nous (ndlr : les Flamands) soit arrivée.

Et à l’issue’ du dîner d’Etat offert par le couple royal néerlandais, le même a écrit dans le Livre d’or :  « Hier en aan de overkant, daar en hier is Nederland » (ici et de l’autre côté, là et ici, ce sont les Pays-Bas), une citation de l’écrivain flamand Theodoor van Rijswijck (1811-1849), qui sera relayée en son temps par le groupe d’extrême droite ultranationaliste Voorpost.

En tant qu’historien, Bart De Wever n’a fait que rappeler l’histoire.

Dans mon ouvrage « Lettre à un ami français – De la disparition de la Belgique », préfacé par François Perin et publié par Mon Petit Editeur en 2013, j’ai d’ailleurs consacré un passage intitulé : « Le drame de la Flandre se joue au XVIe siècle ». Et j’explique :

« A cette époque, la population flamande est répartie en comté de Flandre et duché de Brabant, l’un et l’autre sous la couronne lointaine de Philippe II d’Espagne.

Celui-ci entend bien ramener dans le giron de l’Eglise catholique ses ‘territoires d’en haut’ (non seulement la Flandre et le Brabant, mais aussi la Zélande, la Hollande…), largement acquis à la réforme calviniste et qui se sont soulevés contre son autorité. La répression sera cruelle. On connaît ces mots du redoutable duc d’Albe : ‘Il vaut infiniment mieux conserver pour Dieu et pour le Roi un royaume appauvri et même ruiné que, sans la guerre, l’avoir entier pour le démon et les hérétiques, ses sectateurs.

Siège des Etats généraux des révoltés, Anvers tombe en 1585. En raison des opérations qu’il décida de mener contre Elisabeth Ière d’Angleterre et ruiné par le désastre de l’Invincible Armada, Philippe II dut finalement renoncer à la reconquête de ses provinces au nord d’Anvers, lesquelles purent s’ériger en ‘Provinces-Unies’, préfiguration des Pays-Bas actuels.

Les persécutions religieuses auront donc arraché les Flamands à leur destin naturel. Anvers aurait pu devenir la capitale des Pays-Bas. Tandis que la langue néerlandaise va pouvoir s’épanouir dans les Provinces-Unies, grâce à la traduction de la Bible, la Flandre, poursuivie par la redoutable Inquisition, se morcelle en patois locaux. »

Est-ce commettre un crime que de rappeler cela ? Que de dire que, sans la répression sanglante de Philippe II d’Espagne, la Flandre aurait fait partie des Provinces-Unies ?

Je suis né à Braine l’Alleud, à proximité de ces champs où l’étoile de Napoléon cessa de briller, le 18 juin 1815.  Et s’il avait remporté la bataille ?

J’ai souvent dit que je me considérais comme un Français que les hasards de l’Histoire ont contraint à évoluer en dehors de l’Hexagone.

Interviewé par le journal français « Libération » en août 2006, Yves Leterme, alors ministre-président flamand, n’avait pas hésité à déclarer que la Belgique était « née d’un accident de l’histoire ».

Ce sont, en effet, les puissances alliées contre Napoléon – l’Angleterre en tête – qui ont imposé, après la bataille de Waterloo, la création artificielle de cet Etat-tampon. Le Congrès national belge résulta du vote d’à peine 2% de la population. Et le choix du monarque nous fut imposé par Londres.

Talleyrand, quant à lui, avait vu clair, en déclarant à la princesse de Lieven : « La Belgique ? Deux cents protocoles n’en feront jamais une nation. »

De fait, s’il y a aujourd’hui une nation, c’est au Nord du pays qu’on la trouve : une Nation flamande ! Et ce fait ne peut qu’entraîner, à terme, l’implosion du Royaume.