On trouvera ici la traduction de l’article de Kamiel Vermeylen de « Knack », 10 décembre 2020

Namur, fin octobre 2016. Christia Freeland est alors la ministre canadienne du Commerce et elle doit retenir ses larmes en informant la presse internationale du veto de Paul Magnette (PS) contre l’accord CETA de libre-éhange. Tous les regards se tournent subitement vers le ministre-président wallon de l’époque. Certains y voient une manière habile de faire mousser sa popularité et de remplacer Elio Di Rupo à la tête des socialistes francophones. En attendant, la part européenne de l’accord CETA fonctionne déjà provisoirement depuis quelques années, contrairement au volet national.

Quatre ans plus tard, les rôles se sont inversés. Di Rupo est ministre-président wallon et Paul Magnette président du PS. Cette fois, c’est à Elio Di Rupo de frapper du poing sur la table. Au Comité européen des Régions, mercredi, il a fait savoir que son gouvernement était prêt à bloquer un accord sur le Brexit si les lignes rouges de la Wallonie étaient franchies. Bien que Di Rupo ait plaidé en faveur de la solidarité avec les régions les plus touhées, comme la Flandre, le président de la N-VA, Bart De Wever – qui est pourtant un partisan de la subsidiarité

La question est de savoir si Di Rupo pourra ajouter l’acte à la parole. La première condition est naturellement que le Royaume Uni et l’Union européenne parviennent à un accord. Dans le cas d’un Brexir dur, sans accord, le ministre wallon n’aura en effet rien à dire.

Si le Premier ministre britannique, Boris Johnson, et la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, parviennent à un compromis, alors le rôle éventuel de Di Rupo  dépendra de la nature de cet accord : s’agit-il d’un accord mixte ou non ?

Un accord mixte contient des choses qui concernent le niveau européen et national et – indépendamment de la répartition interne des compétenes dans les Etats membres –  parfois le niveau régional. Chaque niveau doit avoir son mot à dire pour les parties où il est responsable.

Si l’accord contient effectivement des dispositions pour lesquelles les régions ou les communautés sont compétentes, il faut alors que les parlements concernés l’approuvent d’abord. Dans ce cas, le Parlement wallon peut donc entrer en action et il peut – s’il le veut –  bloquer le processus.Certes, il ne s’agit alors que du volet national, la partie européenne pouvant, moyennant un accord au sein du Conseil de l’Union européenne, être provisoirement d’application.

S’il ne s’agit pas d’un accord mixte, seuls les gouvernements nationaux de l’UE – outre les parlements européen et britannique – doivent marquer leur accord. En Belgique, un point de vue européen se constitue au sein de la direction générale des Affaires européennes.

Pour l’instant, on ne sait pas clairement si l’accord sera mixte ou non. Bien que la plus grande partie des textes actuels concernent les affaires européennes, certaines questions, comme l’aéronautique et les affaires sociales ; touchent aussi les Etats membres.

Il revient finalement au politique de déterminer de quelle manière elle veut emballer l’accord. Vu le peu de temps qu’il reste – la période de transition du Brexit se termine au 1er janvier -, il sera pratiquement impossible de traduite le texte à temps. d’opérer son contrôle juridique et de le ratifier ensuite dans toute une série de Parlements nationaux et régionaux.

C’est pourquoi la préférence va à un accord non mixte, qui permettrait aux Etats membres d’opter pour l’exercice commun de leurs compétences (partagées) via le Conseil de l’Union européenne. « Nous devons être pragmatiques », dit un diplomate européen bien placé.

Selon Peter Van Elsuwege, professeur de Droit européen à l’Université de Gand, cette façon de travailler n’est pas un faut unique. « Lors de l’accord de Stabilisation et d’Association entre l’UE et le Kosovo, les Etats membres ont voulu aussi éviter les ratifications nationales et ont laissé le Conseil agir. »

On sait que, pour des raisons de souveraineté, la question est très sensible : le Parlement wallon ne pourra pas voter sur des affaires pour lesquelles il est compétent. Di Rupo ne pourra toutefois pas changer grand-chose.  Le ministre-président wallon peut de nouveau décider de s’opposer au point de vue belge, mais cela n’entraînera qu’une abstention belge au niveau européen, qui ne pourra pas bloquer le règlement exceptionnel.

Bref, ce n’est que si un accord intervient, mixte de surcroît, que Di Rupo peut inciter le Parlement à en bloquer le volet national. Bart De Wever ne doit donc pas se faire de soucis inutiles.