Jules Gheude, biographe de François Perin et essayiste politique (1)

Professeur, homme politique, écrivain… De ces trois casquettes, c’est, sans conteste, la première que François Perin préféra porter. Par son érudition, son sens de la pédagogie, son verbe électrisant, son humour caustique, le professeur de Droit public à l’Université de Liège aura marqué bien des générations d’étudiants.

L’influence qu’il exerça dans le monde politique belge de la seconde moitié du XXe siècle fut, elle aussi considérable. Elle débuta en 1961, avec le rôle de propagandiste-conférencier qu’il joua aux côtés d’André Renard lors de l’aventure du « Mouvement Populaire Wallon », issue de la grande grève de l’hiver 60-61.

Un tribun, un agitateur d’idées était né qui, durant les deux décennies qui suivirent, allait se démener pour fustiger l’incurie et l’immobilisme des dirigeants politiques et amener ceux-ci à entreprendre l’indispensable réforme institutionnelle de l’Etat. Son nom reste aujourd’hui associé à cette loi du 1er août 1974 créant des institutions régionales à titre préparatoire à l’application de l’article 107 quatre de la Constitution ; loi qu’en tant que ministre de la Réforme des Institutions, il mit au point avec son homologue flamand, Robert Vandekerckhove.

François Perin avait approfondi l’histoire du Mouvement populaire flamand. Il avait parfaitement conscience que la Belgique ne pourrait résister aux coups de boutoir du nationalisme flamand et qu’elle finirait par « imploser ». Ce fut l’une des raisons qui l’amena à démissionner du Sénat, le 26 mars 1980 :

(…) Je ne parviens plus, en conscience, à croire en l’avenir de notre Etat. (…) La Belgique est malade de trois maux, incurables et irréversibles.

Le premier mal, je l’ai dit antérieurement, est le nationalisme flamand, qu’il s’avoue ouvertement ou non.

Le second, c’est que la Belgique est livrée à une particratie  bornée, souvent sectaire, partisane, partiale, parfois d’une loyauté douteuse au respect de la parole donnée et de la signature, mais très douée pour la boulimie avec laquelle elle investit l’Etat en jouant des coudes, affaiblissant son autorité, provoquant parfois le mépris public.

Le troisième mal, c’est que la Belgique est paralysée par des groupes syndicaux de toutes natures (…), intraitables et égoïstes, irresponsables, négativistes et destructeurs finalement de toute capacité de l’Etat de réformer quoi que ce soit en profondeur.

Et il n’y a rien, ni homme, ni mouvement d’opinion, pour remettre cela à sa place et dégager l’autorité de l’Etat au nom d’un esprit collectif que l’on appelle ordinairement la nation, parce que, dans ce pays, il n’existe plus de nation.

Voici, Monsieur Le Président, ma démission de sénateur. Je reprendrai, en conséquence, en solitaire, le chemin difficile des vérités insupportables. Adieu.

François Perin n’était pas qu’un « verbo-moteur ». Il possédait également le don de l’écriture. Une écriture aussi décapante que ses discours et avec laquelle, en 1981, il s’occupera des « Germes et bois morts dans la société politique contemporaine » (Editions Rossel).

Six ans plus tard, il se fera historien pour  nous relatera l’ « Histoire d’une nation introuvable » (Editions Paul Legrain).

Mais il y aussi l’intérêt de François Perin pour de nombreux thèmes de type philosophico-spirituel. Dans « Franc-parler », en 1996 (Editions Quorum), il plaidera en faveur d’une rénovation de la pensée humaniste dégagée des gangues du christianisme et du rationalisme.

Le jardin secret de François Perin nous révèle un être fasciné par la vie contemplative : L’apport de la pensée orientale éclaire d’un jour tout à fait lumineux l’insoluble problème de la Trinité qui, par son absurdité rationnelle, a amené le rationalisme critique et la déchristianisation de notre société. (…) Il faut rentrer en nous et y retrouver l’éternel qui dépasse notre contingence éphémère. Une telle attitude engendrera une morale du détachement, de la sérénité et du désintéressement total. Faute de retrouver une inspiration profonde susceptible de la rééquilibrer, notre société industrielle, avec son contexte d’agressivité, de compétition et d’énervement perpétuel, jettera l’espèce humaine dans l’autodestruction. (propos tenus lors d’une soirée organisée par le Lion’s Club au château de Spontin, le 13 novembre 1980).

Edmond Blattchen précisera qu’il doit à François Perin, qui fut son professeur, le fait d’avoir produit et présenté l’émission télévisée de la RTBF « Noms de dieux ».

Outre les trois ouvrages précités, notons encore d’innombrables chroniques de presse consacrées aux thèmes les plus divers.

François Perin possédait les qualités d’un homme d’Etat : vision des choses à long terme, désintéressement total. Mais il était né dans un non-Etat. A maints égards, il n’est pas sans nous rappeler Voltaire, dont il partageait d’ailleurs le profil acéré et le regard malicieux.

Le testament politique qu’il livra dans sa dernière interview au « Soir », le 6 août 2010, trouve un écho particulier après la dernière crise politique que nous venons de traverser :

Le nationalisme flamand est bien ancré. Il est porté tantôt avec une virulence, et une haine, par certains, tantôt avec un louvoiement prudent par d’autres, mais il ne s’arrête pas, il ne s’arrête jamais. (…)

Je souhaite donc le scénario suivant : la proclamation d’indépendance de la Flandre, une négociation pacifique de la séparation et du sort de Bruxelles, et la Wallonie en France. C’est mon opinion. On va hurler ! Mais enfin…

(1) Dernier livre paru : « La Wallonie, demain – La solution de survie à l’incurable mal belge », Editions Mols, 2019.

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