La capitale, comme la Flandre, contribue à la solidarité nationale, à raison de 1,1 milliard, dont bénéficie la Wallonie. « Et si l’on regarde les finances publiques, Bruxelles s’en sort aussi mieux que la Région wallonne », analyse Willems Sas (KULeuven).
Véronique Lamquin, « Le Soir », 17 avril 2021

En filigrane de toute discussion institutionnelle se profilent les questions de financement : quels moyens transférer avec les compétences, quelles dotations envoyer aux entités fédérées, Bruxelles et la Wallonie peuvent-elles assumer une plus grande autonomie ? Et, très vite, resurgit le débat sur les transferts. Avec cette idée, martelée au nord du pays, de milliards « transférés » chaque année au sud, d’une solidarité flamande dont abuseraient Wallons et Bruxellois.
Reprécisons d’abord que ces « transferts », ce ne sont pas des sacs de billets que l’on aurait pris dans la poche des citoyens flamands pour les glisser dans la main des Wallons et des Bruxellois. Pas non plus des enveloppes qui seraient transférées du budget de la Communauté flamande à celui de la Région wallonne. C’est un calcul obtenu en comparant toutes les « contributions » de chaque Belge aux caisses de l’Etat et les « dividendes » qu’il en retire. Pour le versant contributif, on prend notamment en considération l’impôt des personnes physiques, les cotisations sociales, la TVA, les accises, le précompte mobilier, la taxation du capital, l’impôt des sociétés. Pour le côté redistributif sont intégrées notamment les pensions, les allocations de chômage, l’assurance maladie invalidité… Ces montants sont ensuite rapportés au nombre d’habitants. Ce qui permet de calculer les transferts entre Régions, sur la base du domicile. Mais il s’agit d’une lecture politique d’un concept de solidarité (entre riches et pauvres, entre actifs et non-actifs…). Que l’on pourrait appliquer, dans une même Région, entre provinces, ou, au sein du Royaume, entre jeunes et vieux, etc.
Des Bruxellois de plus en plus contributeurs
Willem Sas, professeur d’économie publique à l’Université Stirling et affilié à la KULeuven, est l’un des experts belges en la matière. Avec André Decoster, il étudie régulièrement, notamment pour les autorités flamandes, le montant des transferts. La dernière actualisation, par l’administration flamande, de leur modèle évalue à 6,9 milliards le montant que la Flandre « distribue ». Un montant en légère hausse ces dernières années. Et, surprise, Bruxelles « envoie » elle aussi de l’argent vers la Wallonie : 1,1 milliard en 2020, 1,2 en 2022 (contre 440 millions en 2015). Plus frappants encore, les chiffres par habitant : chaque Flamand « contribue » à hauteur de 1.043 euros à la solidarité fédérale, 910 pour les Bruxellois, les Wallons « recevant » 2.198 euros. « On est donc très loin de l’image du Bruxellois mendiant », insiste Willem Sas. Bien au contraire… Si l’on prend en compte d’autres données pour le calcul des transferts (le débat existe entre experts), « Bruxelles est, au pire, neutre : elle contribue autant qu’elle ne bénéficie ».
Une évolution positive, ces dernières années, pour la capitale, due à plusieurs facteurs, explique l’économiste. A commencer par la démographie : « La population de la capitale est plus jeune, il y a donc moins de malades et de retraités ; le revenu moyen par habitant y est plus faible, ce qui influence aussi à la baisse le poids des pensions. A l’inverse, le taux de chômage y est élevé, mais les prélèvements de l’impôt des sociétés aussi (18 % du total belge). » La Flandre, de son côté, encaisse le coût du vieillissement mais bénéficie de sa relative prospérité, synonyme d’impôts et de cotisations sociales plus élevées. Plus problématique est le sort de la Wallonie, à la traîne, sans signe d’amélioration.
La Wallonie en plus mauvaise posture
Et Willem Sas de réinsister sur le sens de ces transferts. « En réalité, ils sont au mieux un indicateur des différences régionales, en termes d’emploi, de productivité… En cela, ils peuvent être utiles. Par contre, les utiliser comme argument politique, en disant, par exemple en Flandre, que c’est de l’argent qu’on aurait en plus si on était indépendants, ce n’est pas correct. Parce que l’indépendance aurait aussi des coûts, à court et moyen terme. Et ça, ça ne figure pas dans le calcul des six milliards que la Flandre transfère vers le reste du pays. Et puis, si on regarde de plus près, on voit que les provinces les plus riches du pays, c’est l’ancien Brabant, alors que le Hainaut et Liège sont en bas du classement. »
Peut-on par ailleurs en conclure que la Région bruxelloise est donc finalement une institution en parfaite santé financière ? « Non ! Parce que les transferts, c’est en fait un concept fictif, insiste Willem Sas. Qui analyse simplement d’où vient et où va l’argent du fédéral. C’est un regard plutôt arbitraire sur les finances publiques, je le répète souvent. En Italie, en Espagne, en Allemagne aussi, il y a des parties du pays plus pauvres que d’autres. » Pour évaluer la santé d’une Région, il faut ausculter ses finances publiques : les dotations qu’elle reçoit, les dépenses qu’elle doit effectuer, son niveau de déficit… « Et là, on voit que la situation devient de plus en plus difficile pour la Wallonie, le problème va s’aggraver avec l’extinction progressive du mécanisme de solidarité fédérale, dès 2025, pointe Willem Sas. Alors que, pour Bruxelles, cela me semble soutenable, les prochaines années. La Fédération Wallonie-Bruxelles a aussi des problèmes financiers. De ces trois entités, c’est la capitale qui s’en sort le mieux. »
«D’ici à 2024, on a du temps pour réfléchir à la réforme de l’Etat»
Mis en ligne le 17/04/2021 à 07:00
Transférer des compétences, modifier les institutions passera, aussi, par la révision de la loi spéciale de financement. Les experts s’y préparent.
Transferts, dotations, clés de répartition… Autant de questions qui pèseront dans les négociations institutionnelles. Supprimer les Communautés, pour construire cette Belgique à quatre évoquée côté francophone n’est ainsi pas sans conséquences. Par exemple pour le financement de l’enseignement à Bruxelles. Pour rappel, la Communauté flamande investit chaque année un milliard dans la capitale, pour les écoles mais aussi dans le domaine de la culture, de la jeunesse (les chiffres officiels ne sont pas disponibles pour la Fédération Wallonie-Bruxelles)…
« Sur ce point précis, on peut réfléchir à différentes options, pointe Willem Sas. Envoyer la dotation fédérale pour l’enseignement vers la Région bruxelloise, puis la diviser entre la Cocof et la VGC, selon la règle 80/20. Ou selon la clé élèves, soit le nombre d’enfants entre 6 et 17 ans. Cette piste permet par ailleurs aux Régions d’investir dans « leurs » écoles, en complément de la dotation fédérale. On peut même imaginer de nouvelles clés de répartition, pour répartir les montants entre les nouvelles entités, et intégrer, en plus des clés basées sur le nombre d’élèves, comme les indicateurs socio-économiques, le manque de profs… On peut utiliser beaucoup de données pour répartir les montants, qui ne seraient plus transférés aux Communautés mais aux nouvelles entités. »
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Un exemple de la quantité de questions financières qu’une nouvelle réforme de l’Etat ne manquera pas d’entraîner. D’ailleurs, les grandes manœuvres ont commencé, les partis rappellent leurs experts, les gouvernements réfléchissent aux études qu’ils seraient bien inspirés de commander, les académiques, parmi lesquels Willem Sas, réfléchissent aux scénarios à étudier. Jusqu’aux plus hypothétiques, politiquement parlant. « Exemple : la perception de l’impôt des personnes physiques pourrait être organisée autrement, sur le lieu de travail au lieu du domicile. » Une formule, parfois évoquée par des Bruxellois en quête d’autonomie, qui, selon Willem Sas, « existe aux Etats-Unis, mais n’est pas courante en Europe. Le problème, c’est que cela provoque une concurrence fiscale, parce que la base imposable, les citoyens, est mobile, on le voit déjà entre communes, avec les additionnels. Sauf, peut-être, si on avait un système hybride : 50 % d’impôt perçu sur le lieu de travail, 50 % au domicile. Mais cela rend le système plus complexe. » Quid d’une régionalisation de l’impôt des sociétés ? « Je ne le ferais pas ! C’est encore plus mobile, un siège social ! »
Avant de faire tourner ses modèles, Willem Sas insiste : « Si on veut faire cette réforme de l’Etat sérieusement, et si l’efficacité est son objectif, on doit répartir les compétences de manière plus homogène. Cela supposera de revoir la loi de financement, c’est une opportunité pour l’améliorer, surtout la rendre plus transparente. Je constate par ailleurs que les Flamands et les francophones veulent une réforme de l’Etat, mais je ne suis pas certain qu’ils veulent la même chose. Veut-on un fédéralisme à quatre ou veut-on encore dépouiller le niveau fédéral pour rendre le système plus confédéral ? Alors, ce n’est pas l’efficacité qu’on vise, c’est un dessein purement politique. C’est dire qu’on est prêt à avaler une diminution du bien-être, simplement par dessein politique. Un peu comme le Brexit : l’autonomie avait un coût. »
Autant de questions que l’économiste, comme nombre d’académiques, espère pouvoir explorer « sans pression électorale ». « A priori, on a le temps d’y travailler jusqu’en 2024. Ça, c’est rassurant : il y a du temps pour la réflexion, pour impliquer les citoyens, on n’est pas dans l’urgence, c’est très bien. »